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17/10/2017

Deux minières canadiennes exigent 1000 millions de dollars US du gouvernement colombien, en vertu de l’Accord de Libre-échange Canada-Colombie signé en 2008. Le délit : avoir protégé une réserve hydraulique et ne pas avoir réprimé assez efficacement les manifestations.

Cette situation met en lumière d’un côté l’absence de mécanismes d’accès à la justice pour les populations affectées par les projets extractifs des compagnies canadiennes et de l’autre, la facilité avec laquelle ces compagnies profitent de lois, principalement issues du droit commercial, pour faire chanter les gouvernements et éliminer tout obstacle au profit.

Parmi ces compagnies, Gran Colombia Gold menace de poursuivre le gouvernement colombien à l’aide des mécansimes d’arbitrage de l’ALECC pour 700 millions de dollars US1. La compagnie canadienne accuse le gouvernement colombien d’avoir été incapable de garantir la sécurité de ses investissements. L'entreprise est arrivée en 2009 à Marmato, une zone traditionnellement minière. La compagnie a d’abord proposé de raser le village historique pour en faire une mine à ciel ouvert. Un conflit socio-environnemental d’envergure s’est alors initié et a couté la vie en 2011 à José Reinel Restrepo, prêtre du village qui s’exprimait publiquement contre le projet2. Depuis 2013, les mineurs traditionnels organisent des grèves et des blocages pour empêcher la compagnie de fermer leurs petites mines3. En février 2017, le Juge Vargas de la cour constitutionnelle avait émis un jugement condamnant l’entreprise à consulter les résidentEs au sujet de son projet minier.4


En 2010, cette même compagnie arrive à Segovia et Remedios (Antioquia) où elle a récemment acquis les titres de la Frontino Gold Mine. Cependant, cette mine avait été cédée aux travailleurs depuis 19775. Depuis 2010, cette mine se trouve donc au centre d’un conflit juridique et social dont l’entreprise avait pleinement connaissance à son arrivée dans la zone. La dernière grève en date a duré jusqu’à la fin août 20176 et a fait face à une répression d’envergure, notamment à travers l’usage excessif de la force de la part de la police anti-émeute. Rappelons que des dénonciations similaires s'étaient fait entendre alors que les forces de l'ordre réprimaient les manifestantEs bloquant l'accès au port de Buenaventura, quelques mois plus tôt7. L'anti-émeute était entrée dans les résidences des particuliers afin d'y détonner des gaz lacrymogènes et autres irritants. Dans un cas comme dans l'autre, l'Etat fait usage de la force pour défendre les investissements, les infrastructures et les voies de services du secteur extractif.

Le cas d’Eco Oro8 met en évidence une même dynamique. En s’appuyant sur les mécanismes d’arbitrage commercial de l’ALECC, l’entreprise (anciennement connue sous le nom de Greystar )exige 300 millions du gouvernement colombien. Elle estime avoir été flouée par un jugement de la cour constitutionnelle régissant la définition des zones protegées des paramos, empêchant l'exploitation dans ces zones. Les paramos sont des écosystèmes stratégiques de réserve d’eau.

“Depuis le début du projet Angostura, il était clair que la constitution et les normes de protection des paramos applicables pouvait affecter Santurban, et que le projet pouvait ne pas etre autorisé. Les États ne doivent pas etre sanctionnés pour protéger les sources d’eaux, en concordances avec leurs obligations nationales et internationales”, selon Carlos Lozano Acosta, avocat pour plusieurs communautés opposées au projet d’Eco Oro.9

Autre exemple, la Glencore10 exige 400 millions en vertu d’un traité avec la Suisse. Tobie Mining et Cosigo exigent11 quant à elles 16 500 millions dans le cadre de l’Accord de libre-échange avec les Etats-Unis puisqu’elles ont obtenu des concessions minières dans une zone préalablement déclarée comme parc naturel. Cette situation viendrait mettre en lumière un probable cas de corruption dans l’appareil colombien.


Le gouvernement colombien n’est donc plus en droit de protéger un parc naturel ou une réserve faunique d’une exploitation pétrolière ou minière, surtout si elle fait l’objet d’investissements étrangers. Comme le dénoncent depuis plus de 20 ans les organisations sociales canadiennes, les accords de libre-échange donnent tous les droits aux compagnies, et empêchent les gouvernements de légiférer en matière sociales, culturelles, environnementales, syndicales ou économiques12.

Selon Andrea Echeverry de l’ONG environnementale CENSAT, ces menaces n’ont pas besoin d’être mises en œuvre pour faire effet et exercer de la pression sur les autorités et les fonctionnaires. Même si l’Etat gagne, il doit faire face aux coûts de la poursuite. En effet, les poursuites agissent au-delà du jugement final comme un véritable mécanisme de chantage qui exerce une pression sur le législateur et le fonctionnaire dont les carrières pourraient être détruites si leurs décisions contrarient un investisseur étranger. Ces mécanismes sont à sens unique, c’est-à-dire que si le droit commercial protège les compagnies, rien ne permet d'être protégé face aux actions de ces dernières. Le système d’arbitrage se base sur le jugement d’un arbitre embauché au cas par cas, explique Echeverry. Puisque les compagnies étrangères sont celles qui peuvent initier le processus d’arbitrage, un arbitre, n’aurait-il pas tout intérêt à rendre un jugement favorable à l’entreprise dans l’espoir d’obtenir de futurs contrats?

Le comité des Nations-Unies sur les entreprises et les droits humains devrait déposer en octobre 2017 une proposition de cadre juridique international. La primauté de fait du droit commercial sur les droits pénal, environnemental ou sur l’intérêt commun lui-même est remise en question. Plusieurs organisations sociales et de défense de droits insistent sur l’urgence de mettre fin à l’impunité et au pouvoir absolu des compagnies. Un rapport du vérificateur général de Colombie alertait déjá en 2011 sur les risques du modèle économique actuel. Selon l’entité, les entreprises étrangères, loin de soutenir l’economie locale, prennent plus qu’elles ne laissent : "pour chaque 100 pesos de redevances payées par une entreprise étrangère, celle-ci reçoit 132 pesos d'exemptions d’impôts"13. Et maintenant, elles exigent des sommes faramineuses pour un bénéfice spéculatif auquel elles auraient pu s’attendre.

Les conflits sociaux-environnementaux liés à l’imposition des mégaprojets sont en constante croissance en Colombie et ailleurs dans le monde. En Colombie déjà 5 municipalités ont vu se dérouler des consultations populaires, mécanismes reconnus par la constitution de 1991, qui se sont soldées par un rejet de toutes activités minières et pétrolières sur leurs territoires14. Ces votes démontrent la volonté de voir les activités de la région s'orienter vers des activités agricoles à petite échelle. En 2017, en plus des grèves sociales dans les régions de Segovia, Remedios15 et de Buenaventura16, la ville de Bucaramanga a repris les rues pour la protection de l'eau du Paramo de Santurban et les habitantEs de La Mata, département de Cesar, ou de Pio XII se sont opposéEs à l'exploitation extractive dans leurs régions en bloquant des routes.

 

1 http://www.financecolombia.com/behind-gran-colombia-golds-dispute-colombia-government-700-million-usd-lawsuit/

2  http://pasc.ca/fr/action/communiqu%C3%A9-conjoint-suite-%C3%A0-lassassinat-du-p%C3%A8re-reinel-restrepo-%C3%A0-marmato-opposant-aux

3  http://pasc.ca/fr/search/site/marmato

4 http://thebogotapost.com/2017/03/08/gran-colombia-gold-threatens-usd700-million-lawsuit/

http://pasc.ca/fr/article/des-travailleurs-miniers-artisanaux-gagnent-un-proces-contre-la-multinationale-gran-colombia


5 http://pasc.ca/es/article/el-tlc-colombia-canad%C3%A1-y-la-venta-ilegal-de-frontino-gold-mines-0

6 pasc.ca/fr/article/chronique-dun-greviste-les-populations-minieres-de-segovia-et-remedios

7 http://pasc.ca/fr/article/18-jours-de-greve-civique-buenaventura

8 http://pasc.ca/fr/article/eco-oro-menace-damener-letat-colombien-en-arbitrage-international

9 http://www.eltiempo.com/archivo/documento/CMS-16537891

10 https://www.legalbusiness.co.uk/blogs/glencore-picks-freshfields-as-mining-giant-sues-colombia-over-coal-deal/

11 https://business-humanrights.org/en/colombian-govt-facing-165-billion-arbitration-filed-by-gold-companies-under-us-colombia-free-trade-agreement-over-mining-ban

12Par exemple: http://cnca-rcrce.ca/resources/international-advocacy/

13Garay Salamanca, «Minería en Colombia », Contraloría General de la Nación, mai 2013, p154. Cité dans, “La Colombie dans l’ombre Des abus de droits humains” Groupe de travail conjoint sur la colombie Juillet 2015

http://www.pasc.ca/sites/pasc.ca/files/articles/colombie_lombre.pdf

14 http://pasc.ca/en/article/98-cajamarca-residents-vote-against-gold-mining-colombia

15 http://pasc.ca/fr/article/chronique-dun-greviste-les-populations-minieres-de-segovia-et-remedios

16 http://pasc.ca/fr/article/la-greve-civile-buenaventura-sest-conclut-par-un-accord-avec-le-gouvernement-national

Auteur.trice
PASC