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28/06/2016

Au moment d'écrire ces lignes, la grève autochtone-paysanne prend la forme de nombreux bloquages d'autoroutes. Mais le dialogue continue à l'unique table de négotiation. Il apparaît important de faire quelques réflexions sur le "Sommet Agraire" (Cumbre Agraria), l'organisation à la tête de ces protestations.

La situation ne se résume pas qu'à de simples barrages routiers. Le gouvernement a dû démontrer une attitude prudente pour que les participant-e-s de la grève puissent au moins permettre la circulation de biens humanitaires. Et il en est bien ainsi; une simple démonstration de force pour libérer les voies aurait pu mener à un massacre aux conséquences imprévisibles.

Mais passons directement aux questions importantes : le président Santos se réunira le 22 juin prochain avec la table nationale. Que cherche-t-il et que pense-t-il de cette organisation?

À des fins de négotiation, le gouvernement a reconnu cette organisation comme personne juridique le 8 avril 2014 par le décret 870. C'est probablement ce qui aura coûté le plus cher au gouvernement afin de mettre fin à la grève cette année-là. On a ainsi légitimé le "Sommet agraire" comme contrepartie dans les interminables dialogues qui ont suivi depuis et qui continueront certainement d'avoir lieu dans le futur.

Que pense et que recherche le « Sommet Agraire »? Il est utile de le savoir pour ne pas être éventuellement pris par surprise. Ce qui est certain, c'est que ses objectifs vont plus loin, beaucoup plus loin que celui de perturber la circulation sur la Panamericana.

Si quelques unes et uns d'entre vous, aimables lectrices et lecteurs, prenez la peine d'accéder au fort bien conçu site web du Sommet Agraire, vous y trouverez sa panoplie de demandes, faites en date du 20 novembre 2014. Et afin de ne laisser planer aucun doute sur l'urgence de leur réalisation, on les a coiffées du titre éloquent : « Nous demandons et nous ordonnons ». Des soixante exigences qu'elles contiennent, en voici quelques unes :

Il y aura un nouvel ordre territorial en Colombie, où ce sont les communautés qui décideront de l'utilisation du sol et de celle du sous-sol.

Il y aura une réforme agraire complète avec des expropriations massives, apparemment non accompagnées d'indemnisations.

Tous les traités commerciaux de libre-échange négociés par la Colombie doivent être annulés.

L'importation de tout type d'aliments doit être interdite.

Tous les titres et permis d'extraction minière accordés sur des territoires autochtones ancestraux doivent être révoqués.

L'implantation de tous les projets hydroélectriques doit être suspendue à l'échelle nationale et les permis environnementaux octroyés à cet effet doivent être révoqués.

Et attention : les "consultations préliminaires", jusqu'à maintenant appliquées seulement aux cas touchant les communautés autochtones et afrodescendantes, en vertu de la convention 169 de l'OIT qu'a ratifié la Colombie, auront lieu maintenant avant l'adoption de toute politique publique touchant les communautés paysannes.

Ainsi, le Sommet Agraire a un idearium beaucoup plus radical que celui présenté par les FARC à la table de négociation de la Havane. À cette époque, le gouvernement avait annoncé dès le départ son intention de ne pas négocier le « modèle économique » du pays. Le Sommet Agraire cherche précisément à faire le contraire : renégocier le modèle économique colombien de A à Z.

Nous ne croyons pas que le fait qu'une porte se soit ouverte après quinze jours de bloquage signifie que la situation soit réglée. Au contraire, elle ne fait que commencer.

C'est à partir de maintenant que débutent les négociations sur le fond. Il faudra les faire avancer avec une extrême vigilance.

Auteur.trice
Juan Camilo Restrepo