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03/02/2024
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Les informations contenues dans cet article sont soutenues par : la Asociación de Víctimas y sobrevivientes del Nordeste antioqueño (ASOVISNA); el Sindicato nacional de trabajadores de la industria minera, extractiva, petroquímica, agrocombustible y energética (Sintraminenenergética); el Observatorio de Multinacionales de América Latina (OMAL) de la Asociación Paz con Dignidad; el Instituto Popular de Capacitación (IPC); Human Conet y la Mesa Minera de Segovia y Remedios.

 

La compagnie canadienne Aris Mining attaque l’État colombien, les communautés et les travailleurs 

En 2016, la compagnie minière canadienne Gran Colombia Gold (aujourd’hui Aris Mining) entame une poursuite de 700 millions $ US contre la Colombie, devant le CIRDI. L’entreprise se plaint du fait que des petits mineurs artisanaux des municipalités de Segovia et Marmato auraient envahi ses mines, soustrayant illégalement des minéraux et faisant des grèves affectant ses intérêts. Aris Mining considère que, devant ces faits, elle n’a pas eu droit à un traitement juste et équitable. Selon l’entreprise, l’État n’a pas réprimé efficacement ces différents acteurs de sorte que sa protection et sa sécurité n’ont pas été garanties entièrement, raison pour laquelle elle demande 700 millions $ US.

Cette situation est paradoxale, car, comme nous le verrons, la compagnie est dénoncée pour avoir bénéficié directement de l’expropriation frauduleuse de l’ancienne compagnie Frontino Gold alors que ses retraités et travailleurs en étaient les propriétaires légaux et légitimes; pour avoir commis un grand nombre de violations des droits humains; pour être complice et collaboratrice des groupes paramilitaires d’extrême droite; et pour avoir violé les droits du travail et s’être livrée à plusieurs actes de corruption.

 

La criminalisation des mineurs indépendants 

Dans les municipalités de Segovia (Antioquia) et de Marmato (Caldas), l’exploitation minière indépendante est une pratique ancestrale qui est en rapport conflictuel avec des entreprises nationales et transnationales. Ces dernières, fortes des capitaux et du pouvoir politique et militaire, ont développé l’exploitation minière à grande échelle en expropriant les communautés de leur source de revenus et en contaminant leur territoire. 

Les mineurs que la compagnie traite d’illégaux sont des associations de petits mineurs (comme aux mines El Cogote à Segovia et Villonza à Marmato) ou des dizaines de petits mineurs indépendants et artisanaux qui luttent pour leur survie. Les grèves dénoncées par la compagnie visent à défendre le droit d’exister pour ces communautés et leurs droits miniers ancestraux. Ces droits sont menacés par la présence de la compagnie Aris Mining qui se livre actuellement à un saccage des droits ancestraux des communautés minières par différents mécanismes légaux. L’arrivée de la compagnie dans ces régions a coïncidé avec une forte militarisation et des pressions sur les communautés pour qu’elles acceptent les desseins de la compagnie. Dans la municipalité de Segovia, ce problème a été renforcé par la présence des groupes paramilitaires qui intimident les petits mineurs.

 

La Frontino Gold Mines a été volée aux travailleurs et retraités 

En 1952, la compagnie étatsunienne International Mining Corporation (IMC) a acheté la compagnie Frontino Gold Mines (Frontino). L’achat comprenait, en plus des infrastructures, le titre minier RPP140 qui reconnait des droits de propriété perpétuels relatifs au sous-sol sur 2,871.45 hectares dans les municipalités de Segovia et Remedios. 

En 1973, l’IMC avait quatre compagnies en Colombie. Sous pression du gouvernement et des entrepreneurs colombiens, l’IMC a vendu trois de ses entreprises en Colombie et s’est déclaré dans l’impossibilité de remplir ses obligations vis-à-vis de ses travailleurs et pensionnés de la troisième compagnie, la Frontino Gold Mines. Donc, après avoir vendu ses autres filiales colombiennes, l’IMC a demandé un concordat pour la Frontino et est partie du pays.

Plusieurs documents officiels signés devant des autorités compétentes à New York et en Colombie (notamment en 1977 et 1979) et des communications internes montrent que l’IMC a cédé ses biens aux retraités et travailleurs en compensation de ses obligations légales. Ces informations ont été occultées aux retraités et aux travailleurs. L’administration de la Frontino et l’institution publique chargée de faire le suivi du concordat (la Surintendance des Sociétés) ont plutôt insisté pour dire aux travailleurs et retraités que l’entreprise n’avait pas les moyens de les payer et, que pour éviter de tout perdre, ils devaient collaborer avec l’administration et reconduire le concordat. Ainsi induits en erreur, les retraités et travailleurs ont dû accepter de prolonger le concordat à plusieurs reprises pendant 27 ans, et cela malgré leurs réticences. 

Entretemps, trois situations ont complètement changé la donne pour l’exploitation de l’or en Colombie. Premièrement, les prix internationaux du métal ont atteint des records ; deuxièmement, les groupes paramilitaires d’extrême droite ont consolidé le contrôle politique et militaire des régions riches en ressources naturelles, et troisièmement, sous les auspices des intérêts canadiens, et dans le contexte des privatisations et de l’adaptation au modèle néolibéral de l’économie, l’ensemble de la législation colombienne (de travail, environnementale, de mines, fiscale) a été modifiée pour favoriser l’exploitation massive des ressources et les capitaux internationaux, comme l’a démontré l’avocat Francisco Ramírez.

C’est dans ce contexte qu’en 2002, des entrepreneurs et politiciens colombiens ont décidé de liquider la Frontino. En réponse, les travailleurs et retraités commencent diverses démarches juridiques et protestent pour faire reconnaître leur propriété sur l’entreprise. Alors, la répression à leur encontre s’est intensifiée : « Entre 1998 et 2015, 12 dirigeants syndicaux et 34 travailleurs ont été assassinés, deux dirigeants syndicaux ont disparu, neuf ont été forcés au déplacement et il y a eu une tentative d’assassinat » (Comision de la verdad, 2022, p. 258).

Outre la répression, les propriétaires légitimes et légaux de la compagnie ont fait face aux actions frauduleuses des fonctionnaires de différents paliers et institutions et de la part du liquidateur et des administrateurs de l’entreprise. À titre d’exemple, rappelons qu’en 2006, un juge civil de Medellín a reconnu que les travailleurs et retraités étaient les propriétaires de l’entreprise. La décision a été contestée par la Frontino et a été ratifiée par la Cour suprême de Justice, à la Chambre d’appel en matière de travail. Par la suite, sous la pression de l’administration de la Frontino, d’autres tribunaux ont décidé que ce n’était pas au juge de décider à qui appartenait l’entreprise, mais à la Surintendance des Sociétés – la même institution qui avait occulté l’information aux travailleurs pendant 27 ans ! 

Une des personnes qui est intervenue pour faire invalider la reconnaissance des droits de propriété des travailleurs sur la Frontino est Luis Eduardo Otoya Rojas, qui était conseiller juridique de la liquidation et qui avait donné des contrats d’exploitation de mines d’or à des chefs paramilitaires reconnus. Les paramilitaires ont bénéficié, entre autres, des mines le Silencio et Providence, parmi les plus productives de la région. Ces contrats ont bénéficié, entre autres, à des paramilitaires, tels que le Tzar de l’or, qui a été condamné pour des assassinats et massacres contre des petits mineurs indépendants. En 2016, Luis Eduardo Otoya Rojas a été condamné pour financement du paramilitarisme, mais les actions qu’il a menées contre les travailleurs sont restées impunies.

La plus grande partie des crimes commis par les groupes paramilitaires visaient à empêcher les mineurs indépendants, travailleurs et retraités de bénéficier de la richesse de la mine. Ces actions ont créé les conditions pour l’acquisition de l’entreprise par la compagnie canadienne. 

 

La Gran Colombia Gold a bénéficié des crimes commis par la Frontino

Après 6 ans en liquidation, l’entreprise canadienne Gran Colombia Mines (Aris Mining actuellement) a acheté la

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Frontino à travers ses filières Medoro Ressource et Zandor Capital, pour 200 millions US $. Aris Mining n’est pas un tiers de bonne foi. Elle était au fait de la violence déployée contre les travailleurs, elle en a bénéficié et l’a poursuivie.

En effet, dès que la compagnie canadienne Gran Colombia Gold a pris possession de la Frontino, les conditions d’emploi des travailleurs se sont détériorées drastiquement. Elle a réalisé et nié une substitution patronale qui lui a permis de contourner tous les droits acquis des travailleurs en confiant la sous-traitance à des entreprises appartenant à la famille Araújo, de la région d’Antioquia. Cette famille de politiciens et d’entrepreneurs est judiciairement liée au paramilitarisme et au narcotrafic. María Consuelo Araújo a été la première présidente de Gran Colombia après l’achat.

L’an passé, le rapport de la Commission de la vérité sur les crimes contre le syndicalisme en Colombie affirmait que : « La lutte juridique pour la reconnaissance des droits du travail générés dans le cadre du concordat et pour le paiement des retraites a été la raison pour laquelle plusieurs syndicalistes et travailleurs de la [..] Frontino appartenant à Sintramienergética ont été assassinés ou menacés » (Comision de la verdad, 2022, p. 256).  

Ces crimes sont la responsabilité des réseaux mafieux étroitement liés aux capitaux canadiens qui bénéficient de la guerre en Colombie pour augmenter leurs taux de profit. Si les capitaux canadiens investis dans l’industrie extractive sont des plus rentables, c’est parce qu’ils sont lubrifiés avec le sang des populations et des travailleurs comme ceux des municipalités de Segovia et Marmato. Le gouvernement canadien le sait. Il défend cet ordre de chose sur le plan juridique et diplomatique, et canalise des capitaux canadiens pour l’industrie extractiviste à travers le système fiscal et boursier.

 

Selon un Rapport de la Commission de la vérité de 2012 : « Le paramilitarisme a eu recours à des formes de violence de plus en plus cruelles et massives, non seulement pour combattre la guérilla, mais… de nombreuses personnes en ont bénéficié, y compris des politiciens, hommes d’affaires et agents de l’État ».  Or, comme le dit le même rapport, en Colombie : « Bien que ces réseaux et relations soient officieusement connus ou aient été révélés par des scandales successifs, ils n’ont pas fait l’objet d’enquêtes approfondies ni été démantelés » (Comision de la verdad, 2012, p. 378).

Les communautés de Segovia et Marmato nous demandent de les aider à dévoiler ces crimes. 

 

Bibliographie

Comisión, para el esclarecimiento de la verdad, la convivencia y la no repetición. 2012. Hallazgos y recomendaciones de la Comisión de la Verdad de Colombia. Hay futuro si hay verdad. Informe Final. Bogota, Colombia. 

———. 2022. Verdades inaplazables: violencia antisindical en el marco del conflicto armado c. Bogota, Colombia.

Cubillos Jiménez, Amyult Derlynne. 2016. « Análisis histórico de la explotación minera en Marmato Caldas y su incidencia en la violación de los derechos humanos. » 

Gómez Vargas, Gonzalo. 2019. Oro y compañías mineras en Colombia. La historia de Mineros S.Ahttps://isbn.cloud/en/9789587206098/oro-y-companias-mineras-en-colombia/.

Auteur.trice
PASC