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07/02/2020


Le 21 novembre fait déjà partie de l’histoire de la Colombie. De manière plus importante, il fait aussi partie de notre présent et de notre avenir. Après deux semaines de manifestations massives qui témoignent de la révolte, de la diversité et de toutes les couleurs d’une société blasée, les visages ternes, inexpressifs et indifférents des Colombiennes et de Colombiens de toutes races se sont rafraîchis et illuminés d’espoir, de joie, de solidarité, de complicité et de courage.

Les dirigeants d’aujourd’hui, comme ceux d’avant et de toujours agissent dans l’ombre de leurs privilèges obtenus par le pillage, le vol, le déplacement forcé et l’assassinat. Ils croyaient que le téflon avait recouvert les corps et les âmes de toutes celles et ceux d’entre nous qui sont nés dans ce pays magnifique et déchiré. Leur politique injuste, résultante de ce qu’ils appellent l’« institutionnalisme », leur sert de prétexte pour, la bouche pleine, continuer à nous passer sur le corps avec un tracteur. Cependant, ils se sont attaqués à la mauvaise génération et cela s’est retourné contre eux.

Les rues étaient surtout remplies de jeunes et de lycéens comme Dylan Cruz, qui a littéralement perdu la vie dans la lutte pour l’émancipation. Dylan est désormais un symbole de résistance et un moteur de changement. Sa mort a d’ailleurs suscité un débat sur la nécessité de démanteler l’ESMAD. Aussi, des jeunes, à peine des adultes, comme Brandon Cely, soldat courageux et rebelle qui, en uniforme militaire, a osé défier l’institution la plus réactionnaire de Colombie avec une vidéo de dénonciation soutenant la grève nationale. Après quoi, Cely a décidé de se suicider, un événement qui a creusé un très grand fossé et qui remet de l’avant la nécessité de réviser l’impitoyable et inhumaine doctrine militaire colombienne. Des milliers de jeunes professionnels restent sans emploi ou sont exploités dans le cadre d’emplois précaires et non rémunérés. De plus, beaucoup de femmes, depuis leur apparition dans les espaces publics, ont subverti la société. Elles ont contribué à la transformation de la société par leurs actions, leurs slogans et leur juste lutte contre le patriarcat et le capitalisme.

Cette génération n’a rien à gagner et rien à perdre. C’est pourquoi ils ont écrit sur leur affiche : « Nous avons même perdu la peur ». La gauche traditionnelle, les syndicats, les peuples afrocolombiens et autochtones et tous les mouvements sociaux et populaires qui ont lutté depuis des décennies contre la mort par l’injustice du modèle économique et culturel néolibéral ont vu dans ces protestations et manifestations hétéroclites le résultat longuement attendu de leurs efforts de résistance et leur persistance. Cela dit, ces mouvements ont aussi eu droit une leçon et un avertissement en ce qui a trait à leurs rigides structures physiques, idéologiques et politiques. Ils accusent un retard dans leurs méthodes de mobilisation, de contestation, d’observation et d’écoute. Ainsi, elles n’ont pas été en mesure de mettre à jour leurs revendications dans le cadre social, environnemental, ouvrier et culturel actuel.

Les sujets qui mettent la viande à la broche aujourd’hui sont variés, divers dans tous les sens du terme. Ce ne sont pas des militants de parti ni des moutons de cliques ou de bureaucraties. Certains n’ont presque jamais délaissé leur emploi pour protester, précisément parce qu’ils n’avaient pas été bouleversés, secoués ou interpellés. Les masses qui aujourd’hui donnent d’autant plus de poids à leurs problèmes qu’elles voudraient leur donner plus de sens. Elles ont besoin d’organisation, mais elles ne demandent pas à quelqu’un de les ordonner et de les diriger. Au contraire, elle souhaite un leadership à caractère collectif et en mesure de les écouter et de les inviter à construire de nouveaux espaces où leurs demandes seront entendues, quand bien même il s’agirait de listes d’épicerie.

Personne ne peut ni ne doit s’approprier cet éveil collectif, l’éveil de la nation. Même si les mouvements sociaux traditionnels ont eu de bonnes raisons de résister et de persister pendant des années, ils doivent accueillir avec sagesse et humilité le sang neuf qui alimente le sujet en transformation que les luttes et l’exemple ont contribué à former. L’unité, tant ancrée dans les discours des uns et des autres, est un impératif éthique et politique. Elle se renforce dans la pratique, dans les rues, les rassemblements de casseroles, les danses de rue, les rassemblements de tambours, les manifestations dans les prisons, les sit-in, les assemblées populaires, les barrages routiers. Dans les villes et maintenant dans les campagnes, la Colombie palpite et s’élève encore et encore, digne, belle, hautaine. L’exemple de Notre Amérique a finalement touché le cœur endormi de sa sœur, baignée dans la mer, la jungle, les montagnes, la peau noire et autochtone, la jeunesse urbaine irrévérencieuse. Allons de l’avant, le chômage continue, donnons-lui une chance.

Auteur.trice
Periferia - traduction PASC