Aller au contenu principal
05/09/2019

La fracture des FARC (Forces armées révolutionnaires de Colombie) ouvre une nouvelle situation;

il devient plus urgent de clarifier de quoi nous parlons lorsque nous parlons de paix.

Bien que la décision de retourner en guerre ait un sens avec les arguments avancés par Márquez, le gouvernement actuel étant le principal responsable du non-respect des accords de paix, c'est aussi une décision qui affecte, en général, tout le pays et, en particulier, les bases du parti en cours de réintégration. La guérilla qui commence à opérer considère comme une erreur naïve le fait d'avoir remis les armes et cherchera donc à recruter d'autres ancienn.es combattant.es, imprégné.es du mécontentement de l'implantation des accords de paix et de l'extermination dont ils et elles sont victimes pour rejoindre le nouveau mouvement insurgé.

Pour cela il est nécessaire de prendre en compte :

La nouvelle guérilla compte de vieux et de vieilles guérilleros et guérilleras. Ivan Márquez, Jesús Santrich, “Romaña” et “El paisa”, entre autres que l’on voit sur la vidéo. Ils et elles savent bien comment faire une guerre de résistance et ils et elles ont de l'expérience dans les jungles et les montagnes du pays. Il y aura des combats avec les paramilitaires, qui se sont intensifiés au cours de l’année écoulée, et il y aura aussi le trafic de drogue, qui s’est multiplié.

Nous nous trouvons devant une vague de violence, qui bien qu'historique, s'est transformée dans ses dynamiques à la suite du processus de paix, et par conséquent on assiste à une reconfiguration du conflit. Le bellicisme du gouvernement actuel s'est chargé de détruire ce qui a été construit. L'uribisme (du parti Centre Démocratique, dirigé par l'ancien président et sénateur Álvaro Uribe) ne sait pas faire de la politique autrement qu'en générant de la peur et de la terreur. Ils sont les principaux bénéficiaires du retour aux armes de cette fraction de la guérilla, mais ils ne sont pas les seuls responsables de la situation.

En théorie, le gouvernement national devrait protéger les zones de réinsertion et éviter que d'autres ex-combattant.es reprennent les armes. Il est probable que cela ne se produira pas puisqu'il s'agit d'un gouvernement négationniste : il nie systématiquement l'assassinat des leaders sociaux, considère le paramilitarisme comme une question du passé, n'accepte pas que les FARC se soient conformées avec discipline aux accords de paix; il joue avec la mémoire du conflit et avec les victimes, les montages judiciaires et la persécution politique du mouvement social sont permanents : menaces, prison et exil.

Ce gouvernement n'a pas non plus écouté l'ELN (Armée de libération nationale) qui continue de manifester son intention de négocier au milieu des combats. Il ignore également les pétitions d'organismes internationaux qui exigent le respect des accords de paix. Il laisse de côté le processus de paix pour se consacrer aux attaques contre le Venezuela, tout en maintenant la tradition de soumission aux intérêts de l'impérialisme états-unien.

Il est à noter que seule la droite uribiste et la gauche la plus dogmatique célèbrent ce manifeste, et pas seulement en Colombie. Par exemple, dans d'autres pays d'Amérique latine certain.es gauchistes, depuis le confort de la ville, célèbrent la lutte armée, ignorant les nuances qu'elle a eu en Colombie et ignorant que, dans ce conflit, ce sont les pauvres qui meurent. D'autre part, dans les réseaux sociaux en Espagne, on voit des sectes staliniennes glorifier la lutte armée sans aucun contexte ignorant que, dans ce cas, la lutte armée est loin de poursuivre un horizon socialiste.

Quoi qu'il en soit, il est urgent de débattre du concept de paix dont la Colombie a besoin et des méthodes pour y parvenir : reprendre les rues, mais, cette fois, les gagner; contester le sens de la mémoire et dénoncer les crimes d'État au niveau international, car la désinformation et l'encerclement médiatique sur le conflit sont des problèmes importants. De même, face au concept de de paix, la position ultra-pacifiste, aussi néfaste que la position ultra-belliqueuse, est répréhensible. Être en faveur de la paix, c'est comprendre qu'il y a de multiples chemins pour y parvenir et que nous devons en choisir un qui soit à l'abri de la passivité et de l'indignation sélective.

Pour terminer, il convient de souligner que la violence en Colombie est une violence capitaliste. Le modèle post-accords a été reconfiguré sans penser à la paix, car il s'agissait d'une stratégie privilégiant les profits du grand capital. Elle peut aussi être comprise comme une paix néolibérale. La paix ne peut être comprise comme un moment ou un état spirituel; elle doit permettre une acceptation impliquant dispute et confrontation de modèles de pays et de société. Par conséquent, il convient de mentionner une déclaration de l'ancien ministre des finances Juan Carlos Echeverry, faite en 2016 : « La paix devient chaque jour plus importante pour l'économie colombienne, parce qu'elle va nous aider à construire une nouvelle économie. (…) Après le boom des produits de base, du pétrole, des minéraux, cette nouvelle économie sera fondée sur l'agriculture, le tourisme, l'industrie et les secteurs qui dépendent fondamentalement de l'obtention de la paix. »

Auteur.trice
Sergio Segura