Le 21 mars 2020 dès 21h00, alors que sont établies des mesures d’urgence dues à la présence du virus causant le syndrome respiratoire aigu sévère, Sars-Cov 2 (COVID-19), les personnes privées de la liberté ont organisé une journée de protestation à l’intérieur des établissements pénitenciers du pays. Elles exigent la prise de mesures sanitaires effectives pour protéger les personnes qui sont sous la garde de l’État.
Les revendications présentées par les personnes privées de la liberté portent sur des mesures qui permettraient de baisser la surpopulation qui, en Colombie, atteint la proportion alarmante de 153%, et sur des mesures de sanitaire de base pour prévenir la contagion à l’intérieur des centres carcéraux. Le manque de réponse de la part du gouvernement a déclenché une série d’émeutes au niveau national qui se sont terminées par la mort de plus de 20 personnes privées de la liberté à l’intérieur des établissements pénitenciers.
Il faut souligner que selon les chiffres de novembre 2019, la population carcérale colombienne est composée à 33,5 % de personnes prévenus, non encore jugées, c’est-à-dire innocentes. 24,9 % des personnes incarcérées sont du troisième âge, 10,9 % sont en situation de handicap, 0,9 % sont des mères enceintes ou qui allaitent et il y a actuellement 60 mineurs âgés de 3 ans qui vivent avec leurs mères. Le Mouvement National Carcéral a demandé les mois passés que des mesures adaptées soient appliquées à ces populations.
Suite au silence prolongé envers les revendications présentées par les prisonnier-es et dans un contexte de panique généralisée provoquée par le peu de mesures de santé prises dans les établissements carcéraux, la réponse du gouvernement se traduit par un massacre dans la nuit du 21 mars et le matin du 22 à la prison de la Modela, dans la ville de Bogotá. Il est important de signaler que deux jours après les faits il y a toujours un refus de donner l’information officielle sur les personnes mortes et blessées, ainsi que des mesures punitives prises à l’encontre des prisonnier-es telles que la privation prolongée d’eau, d’aliments, la nudité forcée et les agressions physiques. Ces traitements cruels, inhumains et dégradants ont été établis principalement dans les prisons de Combita, Modelo, Cúcuta, Picota, Picaleña y Puerto Berrio.
Les organisations de défense des droits humains, les organisations sociales et les associations des proches de personnes privées de liberté, nous exigeons l'application du Protocole du Minnesota1 pour enquêter sur les décès causés par la répression des émeutes. On ne peut cacher l'ineptie, la procrastination et la négligence avec des morts. Chacune des personnes qui ont perdu la vie est une omission systématique et prolongée de l'État colombien.
Les minimums des droits humanitaires ont été violés de manière flagrante tout comme les normes envers le traitement de la population privée de liberté sont constamment négligées. Deux déclarations le démontrent, dénonçant des situations inconstitutionnelles dans les affaires pénitentiaires, publiées et réitérées par la Cour constitutionnelle, la plus haute cour du pays.
Dans ce scénario, nous voyons avec frustration comment l'urgence fait tomber ses effets les plus graves sur la population la plus vulnérable. Nous ne demandons rien de moins que l'application des droits fondamentaux de la population privée de liberté, l'application de l'interdiction des traitements cruels, inhumains et dégradants et des mesures efficaces prises par le Gouvernement national pour faire face à l'aggravation imminente de la crise de santé publique.
Dans l'exercice en matière universelle pour les crimes contre l'humanité et les violations graves des droits humains, nous demandons à la communauté internationale :
1) Exprimer le rejet des traitements qui violent les droits humains de la population privée de liberté.
2) Exiger une enquête efficace, impartiale et indépendante, avec la pleine application du Protocole du Minnesota1au gouvernement colombien sur les graves événements survenus dans la nuit du 21 mars et aux premières heures du 22 mars, dans les centres pénitentiaires situés sur l'ensemble du territoire national.
3) L’exécution de toutes les mesures visant à sauvegarder la vie et l'intégrité des personnes privées de liberté, dans le cadre des mesures d'urgence prises pour contrer les effets de Sars-Cov 2 (COVID-19).
4) Demander la visite du Rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits des personnes privées de liberté dans les différents centres pénitentiaires du pays, ainsi que l'application effective des mesures d'urgence prises pour contrer les effets de Sars-Cov 2 (COVID-19) sur les personnes privées de liberté.
[1]Le Protocole du Minnesota a pour objet de protéger le droit à la vie et de promouvoir la justice, la responsabilité et le droit à réparation, en promouvant une enquête efficace sur toute mort potentiellement irrégulière ou soupçonnée d’être une disparition forcée. Le protocole est utilisé pour enquêter sur les décès qui se produisent lorsque la personne a été détenue ou était sous la garde de l'État, de ses institutions ou de ses agents. Cette hypothèse inclut, par exemple, tous les décès de personnes détenues dans des prisons, dans d'autres lieux de détention (officiels ou autres) et dans d'autres établissements où l'État exerce un plus grand contrôle sur leur vie.