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28/05/2010

Le Fonds Mondial pour la Nature (WWF) est devenu le secrétariat environnemental de la production globale de matières premières. Les Tables Rondes pour la Production Durable des pires monocultures de l’agriculture mondialisée sont dirigées par le WWF. La Table Ronde du Soja Responsable (RTRS), à laquelle participent des firmes comme Monsanto, Syngenta, Cargill, Bunge y ADM, est le cas le plus flagrant. Une gigantesque opération de greenwashing pour cacher la destruction sociale et environnementale causée par le soja en Amérique du Sud ; déforestation, pollution des milieux naturels et des personnes. Des listes sans fin de violations des Droits de l’Homme perpétrées par l’agrobusiness sont ignorées par le WWF afin de « préserver des Zones de Haute Valeur de Conservation ».

Le WWF est entré dans les principaux groupes de lobbying de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), pour promouvoir la privatisation des dernières forêts et les certifications « vertes ». Le rôle de la RTRS et du WWF au sommet de Copenhague sur le climat et à la réunion de l’OMC à Genève est néfaste. En Mai 2009, à la 4ème conférence de la RTRS (i), une voie nouvelle a été ouverte pendant la discussion finale, par la proposition de mécanismes de compensation et de marchés du carbone pour l’agrobusiness du Soja. L’exposé a été donné par Jason Clay, directeur de la section « marchés » du WWF et vice-président du WWF-Etats-Unis. Clay est un adepte enthousiaste du modèle néolibéral et de la mondialisation économique, et un fervent défenseur des agrocarburants. Il a présenté le marché du carbone comme la nouvelle opportunité pour l’agrobusiness. Clay défend, pour le futur protocole sur le climat, la prise en compte du soja par deux mécanismes financiers possibles ; les mécanismes REDD (1), par lesquels les producteurs de soja seraient récompensés pour maintenir une certaine couverture arborée dans leurs latifundium, et l’accès aux crédits de carbone pour des pratiques agricoles cataloguées comme « conservationnistes ».

En juin 2009, dans un communiqué de presse de la Table Ronde du Soja Responsable, Jason Clay a affirmé que : « Le défi maintenant est de trouver des mécanismes pour récompenser les producteurs qui protègent les forêts et le sol, en leur permettant de vendre du carbone en même temps que leur soja. Tout le monde y gagnerait ; les bois et le sol sont protégés, les producteurs ont une source supplémentaire de revenu, les revendeurs aussi bien que les marques peuvent acheter du Soja Responsable comme une manière de réduire leur empreinte carbone. Les études préliminaires suggèrent qu’en zone forestière, les producteurs peuvent obtenir plus de revenu net par la vente du carbone qu’avec le soja. Ceci change complètement le soja, et le transforme en un nouveau type de matière première.(ii) Une publication récente de l’Université d’Utrecht révèle la tentative d’obtenir des crédits carbone pour le soja, laquelle est interprétée par Clay lui-même comme le moyen de sauver la RTRS. Il soutient qu’aujourd’hui, selon les critères de la RTRS, il n’y a pas de meilleur stimulant ni de plus grand bénéfice direct pour l’agrobusiness. Les grands producteurs ne sont pas disposés à améliorer leurs pratiques, si en échange ils n’obtiennent pas une récompense économique substantielle. Ceci pour la raison que le soja est un modèle de production invisible pour le consommateur, avec un marché et un chiffre d’affaires illimités pour les producteurs. Dans ce sens, la Table Ronde serait sur le point d’échouer, vu que les grandes organisations de producteurs n’y participent pas sérieusement. Actuellement la RTRS n’intéresse plus l’agrobusiness du Soja, qui s’est rendu compte qu’il n’y avait pas de campagne médiatique pouvant affecter son marché. Pour cette raison APROSOJA, un des plus gros collectifs de producteurs du Brésil, a abandonné la RTRS à la 4ème conférence.(iii)

« Pour le WWF il importe peu que le soja continue son expansion. Sa priorité est de s’approprier des restes de forêts qualifiés comme Zones de Haute Valeur de Conservation, ou assurer la gestion environnementale des restants de forêts épargnés par les latifundistes producteurs de soja. » La proposition concrète du WWF est que la RTRS appuie le développement de mécanismes permettant aux producteurs de soja d’accéder au marché international des crédits carbone selon la superficie de forêts préservées. Dans ce cas, le soja pourrait être vendu conjointement à des crédits carbone d’une valeur moyenne de 5 à 10 dollars US la tonne (iv). Au WWF il importe peu que le soja continue son expansion. Sa priorité est de s’approprier des restes de forêts qualifiés comme Zones de Haute Valeur de Conservation, ou assurer la gestion environnementale des restants de forêts épargnés par les latifundistes producteurs de soja.

Sous une couverture supposément environnementaliste, l’agrobusiness pourrait bénéficier économiquement de la privatisation des dernières forêts restantes, tout en causant l’expulsion de populations indigènes et paysannes. Au Nord, les compagnies pourraient continuer à acheter du soja tout en réduisant leurs quotas de pollution. Le succès des négociations de Copenhague pour le WWF, selon Jason Clay, pourrait démontrer de nouveau aux grands producteurs l’intérêt de faire partie de la RTRS et même convaincre APROSOJA de revenir à la Table Ronde.(v) Simultanément, sous le terme « Agriculture de Conservation », l’agrobusiness exerce un fort lobbying à l’Organisation pour l’Agriculture et l’Alimentation (FAO) et à la Convention Cadre des Nations Unies sur le Changement Climatique (CCNUCC), dans le but d’obtenir des bons de carbone pour les monocultures. Les critères de durabilité de la RTRS dans ce cas pourraient être la base de futures méthodologies pour les Mécanismes de Développement Propres (MDP) et/ou les organisations membres pourraient même opérer comme certificateurs nationaux (vi).

L’approbation du premier projet de méthodologie de MDP portant sur la production de soja a déjà été obtenue. Le projet consiste dans l’inoculation des semences de soja avec des bactéries fixatrices d’azote, afin de diminuer l’emploi de fertilisants. Le projet a été développé par Becker Underwood qui a passé un accord avec Monsanto sur la production et la commercialisation de ce type de bactéries. Egalement, sous le couvert de modes de gestion supposés conservationnistes, des crédits sont demandés pour le Semis Direct (3), élément fondamental du paquet biotechnologique du soja transgénique. L’AAPRESID, Association Argentine de Producteurs en Semis Direct, allant au devant des nouvelles politiques, a lancé un programme d’Agriculture Certifiée (AC) potentiellement en mesure de se réclamer des MDP. De son côté, Monsanto a déjà obtenu que la loi sur le climat sur le point d’être votée aux Etats-Unis inclue l’accès au marché du carbone pour l’agriculture et le semis direct. De plus, l’année suivant sa fondation, le Centre d’Information pour les Technologies de Conservation (CTIC, son acronyme en anglais) (4) a organisé aux Etats-Unis, conjointement avec la FAO et avec l’appui technique de la CCNUCC, un colloque sur l’Agriculture de Conservation pour la Compensation de Carbone.

Au sein du lobby de l’agriculture de conservation, pro Semis Direct, nous tombons de nouveau sur le WWF et Jason Clay, dans la plateforme sur le Changement Climatique, l’Agriculture et le Commerce, des organisations ICTSD-IPC. Depuis l’année 2008, monsieur Clay, en tant que représentant du WWF, est membre du Conseil International des Politiques Alimentaires et du Commerce Agroalimentaire, dont l’abréviation usuelle est IPC (5). L’IPC est un lobby au sein de l’OMC. Il est contrôlé essentiellement pas Cargill, Monsanto, Bunge et ADM. L’ICTSD est le Centre International du Commerce et du Développement Durable, dont l’acronyme en anglais est ICTSD.(6) La plateforme de l’ICTSD-IPC a publié en octobre une série de recommandations pour les deux grandes conférences de la présente année : la 7ème Conférence Ministérielle de l’OMC et la Conférence des Nations Unies sur le Changement Climatique. Le document propose dans ses grandes lignes de conclure les négociations de Doha, d’intensifier la production d’aliments en utilisant les nouvelles technologies, d’appuyer l’agriculture de conservation et les mécanismes du marché du carbone comme moyen principal d’adaptation au changement climatique.

« Autant l’agriculture de conservation que les technologies nouvelles peuvent réduire la dépendance aux combustibles fossiles et augmenter notre capacité à retirer le carbone de l’atmosphère pour littéralement l’enterrer dans le sol, tout en augmentant les rendements agricoles »(vii) Eviter que les nouveaux accords internationaux sur le changement climatique ne contreviennent au cadre de libre commerce et aux principes de l’OMC est une des principales préoccupations de ce document. Selon eux, les deux niveaux doivent être en cohérence. Ils définissent même la libéralisation du commerce comme une mesure écologique qui : « améliorerait le flux des produits depuis les régions qui produisent de la nourriture avec peu d’émissions de carbone vers des régions où ces émissions seraient supérieures »(viii) Il ne faut pas sous-estimer le pouvoir de l’IPC. Cette organisation a été dénoncée comme étant à l’origine de la réclamation devant l’OMC contre le moratoire sur les OGM en Europe. Elle a été également impliquée dans l’affaiblissement de la Convention sur la Biodiversité, pour que celle-ci reste soumise aux accords de l’OMC (ix). D’une manière surprenante, nous sommes informés sur sa page d’accueil que le WWF est membre financeur. Ce qui montre clairement que le WWF ne s’oppose ni au libre commerce ni aux OGM (7). L’approbation des OGM par le WWF est de plus en plus évidente. Depuis Août de cette année, nous voyons qu’il participe au dialogue : l’ « Initiative Récolte Globale » des multinationales Monsanto, DuPont, et ADM. Il s’agit d’une campagne de marketing pour appuyer le développement des biotechnologies. A cette campagne participent le WWF et Conservation International. A la conférence de lancement de la campagne, Clay a fait un exposé sur « la durabilité et la capacité à alimenter le monde » (x). En septembre, le WWF a établi une alliance avec la firme Novozymes, appelée « Ensemble sur l’Initiative des Biosolutions – Eliminons le premier milliard de tonnes de CO2 » (8). Novozymes, leader industriel dans les biotechnologies, est spécialisée dans les enzymes et bactéries. La compagnie promeut fortement le développement des agrocarburants de deuxième génération. Auparavant, le WWF-Danemark a publié une étude « Réduction des gaz à effet de serre (GES) par les biotechnologies industrielles », basée sur des calculs de l’équipe de Novozymes. Le document promeut essentiellement la « biotechnologie blanche » (9) ; la bioéconomie (10) et le nouveau concept industriel de bioraffinerie (11), lesquels impliquent par essence l’usage d’OGM (cellules et enzymes) pour l’industrie et la production d’énergie (xi). Dans un document en ligne sur Internet, on mentionne aussi la collaboration du WWF avec Novozymes à propos de la conférence sur le climat. Ce document traite de l’agenda d’Europabio, le groupe de lobbying des biotechnologies le plus important d’Europe (xii). Clay s’est également déclaré publiquement favorable aux agrocarburants de deuxième génération, comme l’éthanol cellulosique (xiii).

La 4ème conférence de la RTRS a confirmé la compatibilité du soja transgénique avec les critères de durabilité. Par rapport aux pesticides non plus, il n’y a eu aucune condamnation de la production : on qualifie de « responsable » l’épandage de pesticides jusqu’à 30 m des personnes, 200 m en cas d’épandage par avion ! Les critères ne sont pas davantage restrictifs par rapport à la déforestation ; le soja responsable peut pousser sur des zones déforestées jusqu’à mai 2009. Et des champs ouverts postérieurement à cette date peuvent être qualifiés, s’ils ne sont pas considérés comme Zones de Haute Valeur de Conservation (xiv). Les critères de la RTRS sont l’accomplissement de la volonté de ses éminents membres, firmes aussi controversées que Unilever, Monsanto, Syngenta, Cargill, Bunge, Carrefour, ADM, BP, IFC qui fait partie de la Banque Mondiale, entre bien d’autres multinationales. A la RTRS sont aussi présents les plus gros producteurs de soja du continent : le groupe Grobo, d’Argentine, qui possède des terres dans tout le Cône Sud, le groupe Maggi de l’exgouverneur du Matto Grosso qui est le premier producteur mondial de soja et à la tête de tout un clan économique et politique brésilien. Un autre membre choisi est AAPRESID, une institution argentine de techniciens et producteurs, patronnée par Monsanto (xv).

Les seules ONG participant à la RTRS sont des organisations « conservationnistes » comme The Nature Conservancy, Conservation International, et les directions locales sudaméricaines du WWF et de Birdlife. La RTRS a fait face depuis son début au refus de participation des ONG écologistes et des organisations à caractère social, principalement celles du Sud. Elle a été dénoncée comme une initiative de greenwashing destinée à légitimer l’expansion du modèle du soja. « L’organisation adhère officiellement au principe de précaution par rapport aux OGM, bien que ses pratiques démontrent exactement le contraire. Elle fait en réalité la promotion des OGM. Cette action hypocrite est à un haut degré source de confusion pour le public, et pour les militants de base de l’organisation elle-même » Les informations précédentes révèlent le cadre d’action du WWF.

L’organisation adhère officiellement au principe de précaution par rapport aux OGM, bien que ses pratiques démontrent exactement le contraire. Elle fait en réalité la promotion des OGM. Cette action hypocrite est à un haut degré source de confusion pour le public, et pour les militants de base de l’organisation elle-même. Il faut souligner que le WWF soigne particulièrement le marketing et la stratégie de sensibilisation à l’égard de ses propres membres. Pourtant, ceux-ci n’ont pas idée de la sphère internationale et managériale de l’organisation. Ils n’ont pas non plus de moyen d’accéder et/ou de dénoncer le jeu politique international de la division internationale du WWF.

A la veille des conférences de l’OMC et de la Convention du Climat de Copenhague, il ne reste aucun doute sur la complicité du WWF avec le monde des affaires. Ses actes ne peuvent être justifiés, il ne s’agit pas simplement d’une stratégie correspondant à une vision étroite et conservationniste. Par son comportement, il couvre et protège directement les multinationales, et parvient à détourner les discussions et négociations politiques internationales. Les alliances du WWF avec l’industrie transforment cette organisation en un nouveau type de lobby. Un des rôles du WWF semble être de faire obstruction aux dénonciations et affirmations des mouvements sociaux écologistes et des organisations sociales et scientifiques critiques. Le Panda a fini par devenir le serviteur fidèle qui joue la symphonie environnementaliste pour que le modèle de mondialisation économique puisse présenter une apparence de durabilité supposée. L’heure est venue que quelqu’un démasque les affaires sales de cette organisation et que le WWF reçoive la réprobation populaire qu’il mérite.

Références et notes :

(1) Réduction des Emissions consécutives à la Déforestation et à la Dégradation des Forêts

(2) APROSOJA produit à peu près 25 % de la récolte annuelle du Brésil.

(3) Le semis direct est une technique agricole qui dispense de labourer ou travailler la terre. Au moment du semis, les graines sont littéralement enfoncées dans la terre. La combinaison du soja RR (Roundup Ready) et du semis direct est un succès commercial. Au désherbage mécanique (par le travail de sol) est substitué le désherbage chimique, réalisé avec du glyphosate (matière active du Roundup). Le semis direct rend indispensable l’usage des herbicides pour le désherbage ; en ce sens, il serait plus adéquat de l’appeler « Semis Direct Chimique ».

(4) Le CTIC est un centre de recherches agricoles dont le conseil d’administration comprend des membres des firmes Monsanto, John Deere, The Nature Conservancy (TNC), le Fertilizar Institute, Syngenta et CropLife America.

(5) International Food and Agricultural Trade Policy Council (IPC)

(6) International Centre for Trade and Sustainable Development

(7) l’IPC a été créé en 1987 dans le but explicite de faire en sorte que les règles sur l’agriculture du GATT de l’OMC soient adoptées au moment de l’Uruguay Round. L’IPC demande l’élimination des barrières douanières des pays en développement et reste neutre devant les subventions massives à l’agrobusiness des Etats-Unis. De fait, l’IPC est manipulé par les géants américains Cargill, Monsanto, Bunge, ADM, dont les intérêts sont servis par les principes de l’OMC qu’ils préparent eux-mêmes.

(8) Coming together in the Biosolutions Initiative – Eliminating the first billion tonnes of CO2

(9) La biotechnologie blanche se rapporte en général aux bactéries transgéniques et aux enzymes issus de ces bactéries, utilisés dans des processus industriels.

(10) La bioéconomie se réfère à « une économie basée sur la biotechnologie utilisant des matières premières renouvelables, particulièrement la biomasse et ses gènes, pour produire des produits et de l’énergie à moindre coût environnemental, en générant du travail et du revenu ».

(11) La bioraffinerie est un concept homologue à la raffinerie pétrochimique, dans lequel de multiples produits sont obtenus dans des installations intégrées. Bioraffinerie signifie une industrie qui intègre différents procédés de conversion pour produire depuis des carburants pour le transport (éthanol et diesel) jusqu’à des produits chimiques de haute valeur.

(i) www.responsiblesoy.org

(ii) http://www.worldwildlife.org/who/me...

(iii) Nikoloyuk, J. 2009 “Sustainability Partnerships in Agro-Commodity Chains : A model of partnership development in the tea, palm oil and soy sectors.” Utrecht-Nijmegen Programme on Partnership

(iv) Ibid.

(v) Ibid.

(vi) http://lasojamata.iskra.net/es

(vii) http://www.forbes.com/fdc/welcome_m...

(viii) http://www.agritrade.org/documents/...

(ix) http://www.globalresearch.ca/index....

(x) www.globalharvestinitiative.... .pdf

(xi) www.biofuelsandclimate.files...

(xii) http://lasojamata.iskra.net/es

(xiii) http://www.guardian.co.uk/environme...

(xiv) http://www.corporateeurope.org/agro... fronts

(xv) www.responsiblesoy.org

Commentaire

A propos de l’Agriculture de Conservation et du semis direct Javiera Rulli écrit en notes :

Le semis direct est une technique agricole qui dispense de labourer ou travailler la terre. Au moment du semis, les graines sont littéralement enfoncées dans la terre. La combinaison du soja RR (Roundup Ready) et du semis direct est un succès commercial. Au désherbage mécanique (par le travail de sol) est substitué le désherbage chimique, réalisé avec du glyphosate (matière active du Roundup). Le semis direct rend indispensable l’usage des herbicides pour le désherbage ; en ce sens, il serait plus adéquat de l’appeler « Semis Direct Chimique ».

La définition ainsi donnée du semis direct n’est pas fausse, mais beaucoup trop restrictive. Plus haut, dans le texte de son article, elle écrit : « …le Semis Direct, élément fondamental du paquet biotechnologique du soja transgénique. » A mon avis, il s’agit là d’une erreur profonde et potentiellement lourde de conséquences. Le semis direct est l’une des nombreuses appellations par lesquelles on désigne un vaste ensemble de techniques agronomiques concernant au premier chef la culture de plantes annuelles à graines (céréales, oléoprotéagineux) et ayant en commun un abandon plus ou moins complet du travail du sol. Le renoncement au travail du sol a deux conséquences principales :

- il faut trouver le moyen de contrôler la végétation adventice sans labour ni sarclage ; ce contrôle est assuré pour partie par les désherbants chimiques, pour partie grâce à la couverture permanente du sol par la végétation active et les résidus de culture. Ce principe de la couverture permanente du sol est systématiquement associé au semis direct.
- Sous sa couverture permanente, le sol évolue comme un sol naturel : il voit son taux d’humus monter rapidement vers l’optimum atteint spontanément dans les milieux non perturbés, les populations d’animaux du sol et la microflore microbienne retrouvent des niveaux naturels toujours beaucoup plus élevés que sous le labour, l’érosion cesse totalement et définitivement, les rendements sont potentiellement aussi élevés sinon plus que sous labour, le besoin en énergie de traction est divisé par deux ou plus, de même que le temps de travail à l’unité de surface, enfin la biodiversité proprement agricole s’épanouit, et avec elle les régulations naturelles de nombreux parasites et maladies. C’est une voie d’évolution de l’agriculture contemporaine, complètement distincte sur le plan technique des biotechnologies et des OGM. Le semis direct s’adresse à toutes les plantes annuelles cultivées, il se pratique et s’expérimente sous tous les climats, sur tous les continents, dans toutes les conditions socio-économiques de la production agricole, et dieu sait si elles sont variées. Il est tout à fait vrai que pour l’heure, l’aboutissement le plus spectaculaire de ces techniques s’observe dans les systèmes agricoles bien particuliers : les latifundia d’Amérique du Sud, où précisément on cultive du soja très souvent transgénique, pour le marché mondial, dans un cadre socioéconomique quasi complètement dominé par les multinationales. Mais ces techniques sont aussi appliquées en Amérique du Nord à des cultures de blé, de maïs, de colza, etc., en Afrique, à Madagascar, en Asie, en Europe, dans des systèmes agroéconomiques extrêmement variés, parmi lesquels des céréalicultures spécialisées, des systèmes mixtes culture-élevage, des exploitations en agriculture biologique, de la production vivrière en culture attelée ou à la main, du jardin familial mulché et couvert. La surface aujourd’hui cultivée en semis direct, dans le monde entier, est de l’ordre de 100 millions d’ha. A l’origine de ces techniques (d’après Claude Bourguignon, communication personnelle), il y a le travail de pionnier de Masanobu Fukuoka, agronome et paysan japonais ayant ouvert par l’exemple, à l’échelle de sa ferme de 6 ha, la voie d’une agriculture très productive, parfaitement naturelle, parfaitement respectueuse des sols, indéfiniment durable. Fukuoka a fait beaucoup d’émules, mais son « paquet technique » est délicat sinon difficile à s’approprier, en grande partie à cause du problème du contrôle de la végétation adventice. En Amérique, les pionniers ont vu la possibilité d’adopter ses principes sans renoncer aux désherbants chimiques, ce qui facilite grandement le processus de transition, et accessoirement laisse à Monsanto son débouché pour le Roundup. Il est important de reconnaître à ces techniques leurs mérites, qui ne sont pas minces : outre les effets écologiques favorables précédemment cités, la prétention à « enterrer dans le sol » le carbone par milliard de tonnes est parfaitement justifiée (ordre de grandeur : 1 à 2 tonnes de carbone pur réincorporé dans le sol par ha et par an pendant la phase de remontée du taux d’humus, qui peut durer 20 ou 30 ans). A l’échelle de la Terre on a là un énorme puits potentiel de carbone. Evidemment il faut relativiser : par ce type de technique agronomique, on ne fait que remettre dans le sol le carbone que le labour lui a précédemment arraché, et ce carbone ne restera dans le sol que tant que celui-ci ne sera pas relabouré. Il est clair qu’il serait plus qu’hypocrite de raser la forêt et de revendiquer immédiatement des crédits carbone sous le prétexte de cultiver sans labour.

Rendons à César ce qui est à César : l’explosion du soja en Amérique Latine est une catastrophe à plus d’un titre, sur les plans sociopolitiques et écologiques ; la prétention de l’agrobusiness du soja à être récompensé pour « séquestrer » le carbone qu’il a lui-même libéré dans l’atmosphère est insupportable ; le comportement du WWF sans doute parfaitement condamnable. L’idée tordue de confier au « Marché », au moyen des crédits carbone, la réparation des dégâts écologiques majeurs qu’il engendre lui-même est le plus sûr moyen d’échouer. Les « certifications écologiques » qui s’élaborent là sont de toute évidence destinées à entretenir l’opacité, non seulement sur les conditions écologiques de la production, mais aussi sur ses conséquences sociales et politiques. La revendication de faire subventionner pour motif écologique cette agriculture, qui expulse par la violence paysans et indigènes, déboise à grande vitesse, produit du grain OGM destiné à l’élevage industriel des pays riches (dont les produits sont à la fois de luxe et de mauvaise qualité), n’est qu’une provocation de plus. Mais gardons-nous de rejeter d’un même mouvement le pire et le meilleur. L’agrobusiness du soja est l’image même de ce que l’industrie et le libéralisme réunis peuvent faire de pire en matière de production agricole, mais les techniques de culture qu’il met au point et utilise à très grande échelle sont parmi les meilleures qui soient.

Traduction et commentaire : Pierre Besse

Auteur.trice
Javiera Rulli