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15/04/2015
Cahier d’accompagnateur.trice 2015   Il était une fois des paysanNEs qui cultivaient leurs terres et élevaient leurs bétails. Leurs bétails se déplaçaient sur leur territoire sans trop se poser de question, jusqu’au jour où une route qui divisait leurs promenades champêtres fut construite. Cette route, bien qu’une seule allée de terre battue, fut bientôt la source de plusieurs problèmes, considérant qu’elle passait sur les terrains de paysanNEs qui n’avaient pas été consultéEs pour la construction de ce nouvel armement qui allait bientôt servir à la translation de camions citernes.   Ceci est l’histoire de Paulo, dont le nom a été changé pour garder l’anonymat et préserver la sécurité de cet homme, qui n’a pas voulu accepter que ça ce passe comme ça avec ses bovins et son terrain. Paulo vit dans la région du Casanare en Colombie, une région cotée pour son pétrole et donc, riche en entreprises transnationales s’adonnant aux activités d’extraction de cette ressource naturelle.   L’histoire de Paulo commence lorsque PAREX Ressources, une entreprise pétrolière canadienne, demande un permis de construction pour une route qui traverserait douze terrains privés, dont le sien. De ces douze concernés, seules six familles furent consultées, sachant que les six restantes s’opposaient à l’exécution de ce projet, ayant pris connaissance que la dite-route affecterait les bovins et donc leur activité de subsistance. La consultation, qui porte le nom de socialisation, se déroula le 1er février 2014.   À bout de menaces et de processus légaux, la PAREX réussit à faire signer certains documents qui lui permettraient d’obtenir le permis de construction de cette voie de transport. Les travaux débutèrent le 7 février 2014, soit une semaine après la séance de socialisation. Cependant, la route fut construite et passa sur les terres d’individus qui continuaient à s’opposer au projet. Effectivement, certains des terrains sur lesquels passe la nouvelle route ne sont pas ceux indiqués sur le permis octroyé à l’entreprise. Erreur topographique? Les fermiers affectés n’ont pas laissé place au bénéfice du doute et ont préféré entreprendre des processus légaux contre l’entreprise pour que soit rectifiée cette erreur.    Aujourd’hui, la route est construite. PAREX l’utilise pour transporter le pétrole que l’entreprise extrait des sols du Casanare. Il était donc une fois où une route qui fut construite malgré la volonté de Paulo et de ses voisinEs. La frustration des familles fut d’autant plus croissante lorsqu’elles se rendirent compte des conséquences qu’engendrait la mise en utilisation de cette voie.    Effectivement, si l’élevage bovin en résultait restreint, les habitants commencèrent à dénoncer l’entreprise à nouveau, en découvrant les cadavres de nombreux animaux, frappés par des véhicules de la compagnie. Des animaux sylvestres, des vaches, des capibaras, des crocodiles, des tortues furent retrouvés mortEs sur le bord de la route.    Afin de dénoncer les actions de l’entreprise, une manifestation pacifique fut organisée en janvier 2015. Paulo et deux autres manifestants furent détenus et privés de leur liberté. La judiciarisation des opposantEs aux pétrolières n’est pas un cas isolé en Colombie où l’on compte plus de 7500 prisonnierEs politiques: des leaders sociaux, étudiantEs, paysanNEs, autochtones, afro-descendantEs.    La compagnie prétend à la légitimité de ses actes et estime qu’elle répond aux droits de servitude pétroliers (derecho de servidumbre), c’est-à-dire à l’indemnisation que l’entreprise se doit de payer aux propriétaires des terres où s’effectue le projet. Toutefois, certains propriétaires indiquent que la compagnie a encore des dettes envers eux et que malgré ce droit de servitude, les exigences en termes de respect du territoire ne sont pas respectées.   En 2014, une grande sécheresse a affecté la région du Casanare. Les conséquences de cette crise furent terribles et plus de 20 000 capibaras perdirent la vie. L’activité extractive n’est pas sans impacts environnementaux. Pour chaque litre de pétrole extrait, il faut 10 litres d’eau, ce qui trouble le débit des sources hydriques et contamine les cours d’eau. La PAREX a reconnu sa responsabilité dans cette catastrophe écologique.    Alors voici l’histoire de Paulo, qui chaque matin se lève pour défendre ses terres et celles de ses voisins. Pour défendre la souveraineté du territoire colombien. Pour continuer à faire respecter le droit de passage de ses bovins, cet homme et ces voisins ont construit deux postes de contrôle pour éviter le passage de camions passée une certaine heure. Du coup, Paulo et ses voisins se voient obligés de superviser la route, ce qui demande du temps et des ressources.    Considérant le manque de consultation, les abus judiciaires et les impacts environnementaux qui ont été perpétués par l’entreprise, les paysanNEs réclament de la part de PAREX, que du moins l’entreprise paie les vigilants qui s’occupent des postes de contrôle et que les poursuites légales contre les opposants cessent. De plus, la dernière étude d’eau de la région remonte à 2008: il serait temps que les institutions gouvernementales entreprennent de nouvelles études pour évaluer l’impact de l’exploration et de l'exploitation sur les cours d’eau du département.    Cette histoire en est une parmi plusieurs qui relatent la lutte des paysanNEs qui s’opposent aux projets extractifs. On les accuse par la suite de nuire au développement du pays, mais quel développement? Des 55 000 000 barils extraits chaque jour dans la région du Casanare, l’État n’en reçoit que 43. « Si on laisse aller les choses de cette manière, on va terminer enfermés, sans issus » indique Paulo, épuisé de la lutte légale, mais convaincu de ses droits et de ne pas baisser les bras.   En 2014, la PAREX s’est vu obligée de cesser ses opérations pendant plusieurs mois, suite à des mobilisations qui s’opposaient aux ambitions d’exploration et d’exploitation de la compagnie. Lors d’une rencontre avec un avocat qui soutient les victimes de violations commises par des entreprises, celui-ci indiquait « il faut toujours se rappeler que l’ennemi contre lequel on se bat est un ennemi de grande taille, avec beaucoup de pouvoir économique ».   Le message est clair dans la région du Casanare : «  Les entreprises canadiennes ici ne sont pas bienvenues. Elles ne respectent ni les licences environnementales, ni les droits des travailleurs. Elles ne font pas les études d’impacts demandées et nous n’avons qu’un conseil à leur recommander : de quitter le pays ».
Auteur.trice
PASC