L'exploitation minière et l’extractivisme sont deux des principaux éléments de discussion concernant le modèle de gouvernement, puisqu’ils sont des piliers du développement pour le président Santos. Pour faire face et arrêter ce qu’on appelle la locomotive minéro-énergétique, a été fondé en décembre le Coordonnateur national minéro-énergétique (Coordinadora Nacional Minero Energética). Colombia Informa a parlé à ce sujet avec Danilo Urrea de l'organisation environnementale Censat Agua Viva - Amis de la Terre Colombienne.
Colombia Informa (CI): Qu’en est-il de l'exploitation minière en Colombie?
Danilo Urrea: La Colombie exporte chaque année 75 millions de tonnes de charbon, dont environ 33 millions de tonnes qui proviennent de Cerrejón. On entend aujourd’hui qu’en 2015-2016, Cerrejón en exportera 40 millions de tonnes. Je veux montrer avec cet exemple que l’exploitation du charbon ne dépend pas de la Colombie mais du marché international, indépendamment de la hausse ou de la baisse du prix du charbon.
Et cela m’amène ainsi à parler du cas sur lequel nous venons de travailler qui est celui de La Guajira. C’est un excellente exemple pour démontrer que la croissance économique n’est pas synonyme du bien-être de la population et pour mettre en évidence toutes les conséquences désastreuses engendrées par un modèle minier et un modèle extractif comme nous l’avons maintes fois dénoncé : c’est un modèle désastreux qui privatise l'eau, qui déplace des populations, qui engendre de multiples pertes au niveau de la culture et qui génère une série de conflits relatifs à la manière d’exploiter le charbon dans le département.
On nous dit que Cerrejón est un exemple d’exploitation minière responsable non seulement pour la Colombie mais aussi pour l'Amérique latine… De quelle responsabilité parle-t-on ? Au contraire, je pense que l'exploitation minière est responsable de la privatisation et de la disparition des sources d'eau et du déplacement forcé des communautés qui maintenant ne trouvent pas d'endroits où continuer à rêver et à conserver une relation avec leurs croyances et leurs sagesses et qui n’ont plus de plantes traditionnelles pour traiter leurs maladies. Une minière responsable de la tentative de disparition d'une culture comme la Wayu.
Mais la minière n’est pas plus responsable en ce qui concerne la durabilité et la création d’emplois : ce sont des choses que l’on peut démontrer et La Guajira en est la preuve. Cerrejón est le meilleur exemple de ce que serait la Colombie avec une locomotive minéro-énergétique comme elle prétend la vouloir, c'est-à-dire que si nous avions une exploitation telle que la projette le gouvernement Santos, nous aurions beaucoup d’exploitations comme Cerrejón dans le département de La Guajira. Ceci signifie une Colombie avec davantage de difficultés pour accéder à l'eau, une Colombie avec un plus grand écart entre les riches et les pauvres et surtout un pays qui n’aurait pas la capacité de garantir le futur des générations à venir parce que l'avenir dépend de l'eau et de la garantie de territoires viables, or ces points sont précisément ceux qui sont touchés par le modèle dans les régions où il est déjà implanté et ils seront touchés sans doute dans de nombreuses régions de Colombie.
CI: Quelle serait la forme ou la possibilité d'un combat contre l'exploitation minière à grande échelle, après plusieurs années de mobilisations, de jugements éthiques et d’autres actions qui n’ont pas entravé durablement cette locomotive?
DU: Je pense qu’un premier élément est la construction de la politique depuis la communauté et le renforcement politique qui part de la base. Cela peut sembler discursif et on peut dire que tout le monde parle de comment construire une nouvelle politique, mais je pense qu’il existe des scénarios de participation dans le pays qui impliquent de faire attention à des mécanismes constitutionnels et légaux qui permettent de prendre des décisions souveraines à propos du territoire.
Je parle ici d’une construction de la politique basée sur la décision populaire. Pour ceci, nous disposons de consultations populaires, de référendums et de mécanismes de participation populaire en dernier recours qui permettent que les communautés et les peuples décident de ce qu’ils et elles veulent faire avec leurs territoires et cette décision doit engendrer d’autres discussions.
Je pense que ce qu’ont fait le Congrès du Peuple et les organisations réunies autour de la construction d'un coordonnateur minéro-énergétique est justement une étape dans cette direction. La façon de rapprocher les peuples ne concerne pas nos dirigeants qui aujourd’hui se contentent de construire du discours, cela concerne plutôt la relation entre différents processus qui se concentrent sur la défense et la lutte pour le territoire et qui cherchent des manières de discuter pour construire ensemble cette politique.
Ainsi, je pense également qu’avec ce qui se passe avec le Sommet national et le débat avec le gouvernement colombien dans lequel les enjeux minéro-énergétiques sont le principal point de négociation ou tout du moins le premier abordé dans la discussion, il est clair qu’il faut réviser toutes les licences et titres actuels qui sont liés à l’exploitation minéro-énergétique. Ces titres doivent être encadrés par la loi tout comme l’exploitation des biens naturels doit être prise en considération dans la loi - ainsi une telle exploitation pourrait être arrêtée dans les parcs naturels, et ainsi de suite.
Ceci dit, un temps de mobilisation est nécessaire pour engendrer une proposition suivie d’une décision populaire sur la question territoriale. Nous aurions peu sans la mobilisation populaire corrélative à la négociation avec le gouvernement afin de construire des propositions locales qui s’articulent dans une grande proposition de dialogues nationaux sur les enjeux miniers et énergétiques. La combinaison de ces formes d'organisation pourrait opposer à un gouvernement qui n'a pas l'intention de négocier sur la question du modèle minéro-énergétique une volonté populaire et une proposition sur la manière de gérer le territoire national et la souveraineté territoriale plutôt que de livrer des biens communs au modèle corporatif transnational.
CI: Comment analyser le fait que le gouvernement n’est pas prêt à négocier le modèle minéro-énergétique dans un contexte de consolidation de la paix en Colombie?
DU: Si le gouvernement n’est pas disposé à négocier les politiques minières et énergétiques, il est contradictoire qu’il affirme vouloir construire la paix dans le pays parce que ce sont précisément les politiques minières et énergétiques, parmi d’autres raisons historiques en Colombie, qui ont conduit à un affrontement entre différents secteurs de la population et aux confrontations historiques avec les gouvernements colombiens. Parce que la dépossession des terres a été l'une des conditions nécessaires pour installer ce modèle : il est bien connu de la population colombienne qu’entre 2002 et 2010, 4 millions de personnes en Colombie ont été déplacées et dépouillées et que 8.000.000 hectares ont été brûlés.
Que se cache-t-il derrière ces 8 millions d'hectares brûlés et le déplacement forcé de 4 millions de personnes de leurs terres ? Les grands projets miniers et énergétiques. Ensuite, il y a une relation directe entre la violence structurelle, paramilitaires et étatique et la dépossession des terres pour l'installation de mégaprojets. Donc, si le modèle n’est pas négociable, il n’y a pas de réparation pour celles et ceux ont été victimes de ces accaparements de terres et qui ont dû partir pour que s’implante ce modèle, soi-disant un avantage économique pour le pays ; ceci est un premier élément.
Je pense également, et pour ne pas parler en l'air, seulement en termes de projection théorique, à ce qui s’est passé au Salvador et au Guatemala après la signature des traités de paix des années 90. La paix a été signée. Cela a mis un terme aux conflits… Par la suite toutes les entreprises ont pu venir, obtenir tous les cadres réglementaires et toutes les facilités possibles pour l’exploitation.
Nous ne voulons pas que cela se produise en Colombie. De ce fait, si le gouvernement veut avoir une chance de consolider de la paix, la première chose à faire est d’ouvrir la possibilité d’écouter les peuples, de respecter ce qu’ils veulent sur leurs territoires et quelles sont les alternatives possibles en termes de production énergétique, de gestion de l’eau, de l’alimentation, de la production d’aliments… Sans cela, n’existe aucune possibilité de paix en Colombie. C’est la condition nécessaire.
La paix ne signifie pas la signature d'un accord avec un agent armé ou entre deux agents armés. La paix signifie la perspective de possibilités de construire une vie décente avec tous les secteurs de la population.
Et si nous voulons la paix, nous devons écouter tous les secteurs et nous devons parler de la volonté d’avoir ou non de l’exploitation minière dans certains territoires, de la volonté de répartir ou non les revenus à certains égards. Mais ce n’est pas une paix conditionnelle à la contradiction « guerre ou développement », contradiction soulevée par le gouvernement et qui selon moi est fallacieuse. L’élaboration de la paix en Colombie est plutôt conditionnelle à la construction d’une vie décente et digne.