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26/11/2019

Nous avons traversé la guerre, et tous ceux qui ont connu la guerre ne veulent plus jamais la vivre - alors nous avons pris la décision de retourner sur notre territoire après les déplacements.(Témoignage confidentiel)

Dans les jungles denses du nord du Chocó se trouve la région du Bajo Atrato, qui doit son nom à sa relation intime avec le fleuve Atrato, qui est d’une grande importance pour le département en raison des possibilités de livraison et de transport de nourriture qu’il offre. Le Chocó est le département qui a le plus haut niveau de besoins fondamentaux non satisfaits en Colombie. La région du Bajo Atrato comprend les villes d’Apartadó, de Chigorodó, de Turbo et de Carepa dans la sous-région Urabá du département d’Antioquia. De l’autre côté de la frontière départementale du Chocó, Riosucio et Carmen del Darién possèdent une immense biodiversité, avec des zones marécageuses, des écosystèmes de mangroves, des côtes et des montagnes. L’environnement est humide, avec des températures allant de 25 à 34 °C, et les précipitations sont torrentielles.

Le Bajo Atrato est un centre d’opérations pour les industries du bois, de la banane, du palmier à huile et, plus récemment, de l’industrie minière. Cela s’ajoute à la présence d’éléments armés et à l’absence de conditions de vie décentes, le contexte est marqué par le conflit, la peur, la tristesse, la douleur et le pillage. Encore une fois, l’histoire de la lutte pour la terre, avec toutes ses vicissitudes, s’est déroulée sur fond de détermination farouche des communautés à défendre leurs vies et leurs territoires.

La beauté de la campagne et la puissance brute du Bajo Atrato contraste avec les pâturages pour le bétail et les vestiges des palmeraies à huile qui recouvraient la région avant d’être coupées par les communautés, au prix de nombreuses vies. La répression militaire des habitant.es de ce territoire a été cruelle et impitoyable. La négligence délibérée du gouvernement pour ces personnes reste scandaleuse et les intérêts économiques en jeu motivent l’émergence de nouveaux acteurs dans le conflit armé. Cette sinistre situation assombrit le visage des gens. La souffrance et la joie de ces peuples afro-colombiens, métis et indigènes se fondent dans un amalgame de rire, de douleur, de tristesse et d’espoir. La peur et la pauvreté dans lesquelles le gouvernement les plonge sont palpables. En dépit des ressources naturelles, ils sont apparemment condamnés à l’exil humain, au silence, à la négligence et à l’exploitation.

L’arrivée de l’agro-industrie a été précédée historiquement par l’arrivée d’éléments armés comme les paramilitaires des AUC. En coordination avec les hommes d’affaires et les propriétaires fonciers, ces groupes ont entrepris d’exproprier les terres des communautés, élargissant ainsi leurs propres propriétés et semant la mort et l’exil. Beaucoup de choses ont été écrites à ce sujet et ce n’est un secret pour personne, tout comme il est de notoriété publique que les paramilitaires ont travaillé main dans la main avec la police et l’armée pour protéger les capitaux privés tout en déplaçant de force les communautés. Ils ont créé un théâtre de guerre et de conflit territorial dont les populations locales sont les perdants.

L’arrivée d’hommes armés dans cette région remonte au milieu des années 1960, mais la situation en matière de sécurité et de droits de l’homme s’est aggravée avec le déploiement d’opérations anti-insurrectionnelles par l’armée et la police nationale en collaboration avec les paramilitaires. Des assassinats sélectifs, des massacres, des tortures, des séquestrations et des harcèlements ont été perpétrés entre le milieu des années 1990 et 2005, provoquant une vague de déplacements. (Témoignage confidentiel)

Les communautés qui avaient fait confiance au processus de paix pour produire des changements significatifs dans leurs conditions de vie craignent maintenant les conséquences de la réouverture du mégaprojet minier Mandé Norte [1], autrefois exploité par la Muriel Mining Corporation et maintenant par AngloGold Ashanti. Ces deux multinationales ont utilisé la guerre comme bouclier pour s’installer dans la région. Le projet Mandé Norte a déjà une certaine histoire dans cette région; il a pour but d’exploiter le pic Care Perro ou Usa Kirandarra, qui est sacré pour les communautés Embera.

En 2009, Mandé Norte a obtenu un permis d’exploration et d’extraction pour une superficie de 160 km2 (16 000 ha), située au milieu des réserves et territoires indigènes appartenant collectivement aux communautés noires de Jiguamiandó et Murindó. Une partie de la jungle a été défrichée et des trous ont été forés jusqu’à des profondeurs de 300 à 400 m. La société a commencé à creuser, à construire des camps et à soudoyer des fonctionnaires et des membres de la communauté. Aucun consentement éclairé préalable n’a jamais été obtenu.

La même année, le jugement T-769 de la Cour constitutionnelle ordonnait la suspension de l’exploration et de l’exploitation minière dans le cadre de la concession de ce projet, [2] qui portait sur le cuivre, l’or, le molybdène et d’autres minéraux, en raison d’irrégularités procédurales et aux droits de onze communautés autochtones et de deux communautés afrocolombiennes.

Malgré cette décision, un article en ligne paru en février 2018 dans le magazine économique Portafolio affirmait que Mandé Norte est l’un des quatre projets nationaux marquants dans l’histoire de la production de cuivre dans ce pays. Selon une source, « le gouvernement considère le cuivre comme un minéral d’intérêt stratégique national, de telle sorte que les organismes gouvernementaux chargés de délivrer les permis environnementaux et autres permis d’exploitation doivent faire preuve de diligence et assurer leur délivrance sans délai afin de garantir les investissements dans la production de cuivre » [3]. L’article précise que, selon les études réalisées, les permis d’exploitation doivent être valables pendant au moins 30 ans. Ces nouvelles sonnent l’alarme pour les communautés. Elles peuvent voir que, avec les changements apportés par le nouveau gouvernement et le transfert des titres entre Muriel et AngloGold, le projet pourrait être remis en œuvre et, si c’est le cas, sera sûrement soutenu par une occupation militaire et paramilitaire.

Cette année seulement, la Comisión Intereclesial de Justicia y Paz a publié plus d’une douzaine de rapports dénonçant les conditions de sécurité au Bajo Atrato. La Comisión a documenté la persécution, l’intimidation, les assassinats, les déplacements forcés et les disparitions, les menaces, l’expropriation illégale de terres, la crise humanitaire générale, le harcèlement et la présence de mines terrestres et de paramilitaires, provoquant la panique parmi les membres des communautés. Cette réaction est justifiée par la violence des années 1990, au cours desquelles les mêmes groupes armés ont déplacé les communautés et saisi leurs terres à des fins purement économiques. Si certaines communautés sont aujourd’hui protégées au sein de « zones humanitaires » et reconnues comme telles par la Commission interaméricaine de droits humains, il n’en reste pas moins que les paramilitaires ont maintenu une présence sans cesse croissante dans la région, semant la peur dans le cœur des communautés.

Au-delà du maintien de la terre et d’une position antiguerre, les communautés du Bajo Atrato doivent maintenant renforcer leur tissu social pour que les problèmes qui les tourmentent soient rendus visibles aux niveaux national et international. Ce travail doit rassembler les organisations de mouvements sociaux, les organismes de défense des droits de l’homme, les acteurs internationaux et les membres des médias désireux de visiter la région, alors même que la stratégie de l’extrême droite de développer des projets économiques s’intensifie et que les communautés sont de nouveau, comme dans un passé récent, victimes de la guerre et des expropriations.

[1] Projet Mandé Norte, Murindó, Colombie
[2] Judgment T-769 of the Constitutional Court of the Republic of Colombia Décision T-769 de la Cour constitutionnelle de la République de Colombie
[3] Le Chocó célèbre une étape importante dans la production colombienne de cuivre

Auteur.trice
Trochando Sin Fronteras