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02/04/2011

Les leçons de Santurbán

La mobilisation sociale ou la prise de conscience des effets environnementaux que provoquerait l’éventuelle opération de l’entreprise Greystar dans les étendues de Santurbán sur le climat et la contamination de l’eau — eau qui approvisionne une partie des habitants de Santander et alimente les rivières Lebrija, Pamplonita et Zulia de même que les affluents des rivières Catatumbo et Arauca — a joué en faveur du désistement temporaire de la multinationale et démontre clairement les possibilités d’élaboration de nouvelles expressions sociales. Toutefois, il est nécessaire de soupeser ces portées et de définir des stratégies à court et à long terme qui pourront s’appliquer à d’autres situations similaires, lesquelles mettent en jeu le futur et la vie de millions de Colombiens qui pourraient être affectés par l’extraction minière et d’hydrocarbures. Il ne faut pas oublier que plus de 391 titres miniers ont déjà été octroyés, affectant près de 109 000 hectares de terres, propriétés qui fournissent de l’eau à des millions de Colombiens; il ne faut pas oublier non plus que le Plan national de développement laisse clairement de côté la protection des Zones de réserve forestière et que la prospérité démocratique ne parvient pas à résoudre les contradictions entre le développement de privatisation néolibéral et l’éco-durabilité, ni les nécessités de base en matière d’emploi, toujours insatisfaites, des populations rurales où se trouvent la majeure partie des titres miniers octroyés. Le projet appelé Angostura fut traité par Ministère des mines et de l’énergie et qui demande une licence environnementale auprés du Ministère de l’Intérieur, s’est déroulé, au cours de la phase d’exploration, avec le consentement des communautés locales de California et de Vetas. Ces communautés comptent sur l’appui des autorités municipales. Sans doute ont-elles déjà consenti à un projet commercial, illusionnées par le futur offert aux populations. C’est ainsi que fonctionnent les multinationales avec des engagements de bénéfices pour la population. Les habitants ont été séduits par l’entreprise canadienne qui offre 1500 emplois directs à des populations qui, en des années de vie sur son propre territoire, n’a jamais eu de revenu fixe ou la possibilité d’une survie stable. Les possibilités de revenus par le biais d’un travail écologique ne leur vient pas à l’esprit, car leur sensibilisation a d’abord été biaisée par une mentalité commerciale et d’entreprise. Les propositions concernant la protection de la terre et de l’eau doivent interpeller ces populations. La réaction agressive de populations, dont certains conseillers municipaux, envers des journalistes qui ont contribué à faire connaître la gravité de la situation de l’exploitation commerciale — d’ailleurs remarquablement réalisée par le journaliste de CMI — est un reflet de cette mentalité contaminée par les logiques commerciales. L’entreprise a exploité à son avantage les nécessités des communautés, les vides en matière de législation environnementale et minérale, et a bâti l’illusion d’un emploi digne qu’elle donnerait aux habitants. Voilà une nouvelle démonstration de l’engagement de ces entreprises à «l’éthique des affaires et à la responsabilité sociale des entreprises». Les mises en garde citadines, dont le secteur commercial privé, n’ont pas permis de toucher suffisamment les habitants des alentours de Santurbán. Tel est le contexte de ces agressions injustifiées aux journalistes et des insultes dirigées contre les groupes environnementaux et des droits humains par les locaux, évidemment encouragés par les compagnies elles-mêmes. Ceux-ci sont absolument convaincus — manipulés et désinformés — par les offres des entreprises. Du pain pour aujourd’hui : voici quelques-unes des techniques des entreprises. Autant le gouvernement provincial que les associations économiques se sont réjouies de la décision de suspendre temporairement le projet. Cependant, aucun d’entre eux n’a assumé un point de rupture et de tension approprié pour les habitants de California et Vetas. Il est nécessaire d’aborder la question du droit au travail avec des salaires décents. Voilà un défi à court terme pour les mouvements citoyens. Ne pas construire ni afficher d’autre proposition: cet argument sera utilisé à l’avenir par le gouvernement lui-même pour accepter le développement de projets d’exploitation, en faisant valoir que sur le plan technique et environnemental, les effets seront atténués par greystar. Il est nécessaire de faire connaître quelques repères aux habitants. La Colombie a transféré à l’extérieur des ressources de plus de 10 000 millions de dollars entre 2002 et 2009; elle présente le deuxième taux de chômage en Amérique latine; les documents et les exemptions fiscales n’ont pas amélioré la qualité de vie des Colombiens, ses hauts niveaux d’inégalité ont peu d’équivalents sur le continent. Il faut construire une politique publique qui génère des emplois décents, qui pourraient même être liés à la protection de la nature. Du point de vue des droits et des liens entre les habitants de Santurbán et des alentours, l’exercice de la mémoire collective est de se rappeler comment, en plus de la pauvreté, le mode d’opération entrepreneurial a été associé au paramilitarisme. Les crimes contre l’humanité parrainés, appuyés par les exploitants du de la palme et de la banane de même que par la branche de l’extraction de Drummond, ont été un facteur pour assurer l’enrichissement et l’accumulation de richesses. Pour l’instant, le gouvernement de Santos a montré la décision de désistement comme une victoire. La MinMinas Rodado Noriega, dans un sens assez opportuniste, a assuré que la multinationale a écouté les objections et les mises en garde, en précisant que la loi colombienne est claire en interdisant tout type d’exploitation dans les « paramos » nationaux. Se voulant vert, elle a dit: «La politique minière de ce gouvernement est catégorique dans le sens que les richesses minérales du pays ne peuvent être utilisées que pour la prospérité de tous les Colombiens si les activités minières sont réalisées non seulement dans le respect des réglementations environnementales, mais aussi en utilisant les meilleures pratiques minières durables et reconnues internationalement.» De telles expressions dans la bouche de responsables de la mise en œuvre d’une locomotive du «développement» sont surprenantes, exagérées s’il en est. Ils ne font pas mention des mises en garde citadines et des questionnements de fond concernant ce projet. Quelques heures plus tard, suivant le même sens que la déclaration de Greystar quand elle a affirmé continuer de s’intéresser à l’exploitation, le ministre de l’Environnement a déclaré qu’ils étaient prêts à examiner les propositions d’affaires. Voilà l’expression claire de l’ambiguïté qui nourrit les deux parties. Celle de la guerre et de la paix, du respect et violations des droits humains, du prolongement de l’Uribe et de ses distances, tout cela entre le développement efficace de l’exploration et de l’extraction de ressources naturelles et d’hydrocarbures dans le respect de l’environnement, la restitution de terres et le respect de l’écoproduction paysane. Il serait très naïf de croire que l’entreprise canadienne renoncera à extraire 7 500 000 onces d’or durant 15 ans. Cette naïveté ne peut et ne doit pas se propager. L’entreprise n’a pas encore exploré ni exploité le territoire de Cerro Cara de Perro avec la Muriel Mining Corporation, qui compte désormais sur un «déguisement» avec d’autres multinationales canadiennes. En janvier, l’entreprise canadienne Sunward Resources a annoncé qu’elle s’alliait à l’entreprise américaine Muriel Mining Corporation et qu’elle revendrait à l’entreprise australo-britannique Rio Tinto les mines d’or, de cuivre et de molybdène de la colline sacrée d’Embera. Un nouveau mécanisme pour garantir les affaires, mettre de côté les responsabilités civiles et soutenir les propositions d’entreprises dont la Cour institutionnelle a freiné l’exploration par manque de consultation et de consentement. De retour à Santurbán, le ministère départemental et national n’a pas rejeté l’offre de 14 millions de dollars en redevances, un bénéfice minimum mais considérable des sociétés pour l’exploitation dans le désert de Santurbán. Il serait bien possible qu’ils ne cèdent pas cette offre aux pouvoirs officiels, mais qu’ils utilisent plutôt l’argent pour leur propre bénéfice ou celui de leurs clients, voire pour maintenir leur pouvoir et protéger les intérêts économiques d’autres entreprises. D’autre part, les espaces législatifs ne doivent pas être négligés. Non seulement la législation est fixée, mais les lacunes législatives sont surtout évidentes et favorisent les multinationales. Tout cela est fait malgré l’existence de la loi 1382 de 2010 — exception faite des zones d’exploitation qui se trouvent au-dessus de 3000 mètres d’altitude — et le renforcement de la Loi 685 sur la protection des parcs naturels. La sourde oreille des secteurs gouvernementaux et des multinationales quant à l’application des lois est évidente. Ils se baissent la tête, comme le font les Corporations Autonomes créées dans la loi 99 de 1993. C’est ainsi qu’ont été approuvés plus de cinq cents droits miniers privés, tandis que les économies locales et artisanales sont stigmatisées. Elles sont persécutées puisque assimilées à la guérilla, tout comme leurs successeurs que comme communautés ancestrales qui s’opposent et s’objectent à l’exploitation de leurs terres par des compagnies étrangères. L’opération de modernisation et d’extraction pour la prospérité démocratique accapare des secteurs de la population. La sensibilité et la possibilité d’une conscience environnementale opposée à ce point de vue est maintenant significative et confrontée à d’importants et nouveaux défis. Dans le domaine de l’information, de la sensibilisation et de la conscience collective et planétaire. 30 000 manifestants contre ce projet de Santurbán sont importants, puisqu’il faut des millions pour arriver à faire flancher la possibilité qu’une extraction minière vienne à bout des communautés et d’un territoire comme la Colombie qui, au niveau mondial, peut contribuer au bien-être de l’humanité, en respectant les écosystèmes et en protégeant ceux qui l’ont habité depuis des siècles. Ce conflit d’intérêts n’est pas terminé, une force sociale, médiatique, juridique et politique doit alimenter, protéger le droit à un environnement sain, qui est essentiel dans l’agenda social d’aujourd’hui et les droits humains. Une stratégie de changement au sein de la politique publique est urgente et cela vient d’un autre endroit, qui s’exprime par le biais de Santurbán et qui devrait se multiplier par millions. Sans cela, une autre opportunité de transformer le futur de la Colombie se perdra. 22 mars 2011 Commission Interclésiale de Justice et Paix
Auteur.trice
Justicia y paz