La Piedra, no.3, 2007.
Le TLE est une opportunité pour que le pays pense en grand, projette en grand et agisse en grand. Alvaro Uribe Velez, Président de la Colombie 1
En 2006, les États-Unis et la Colombie ont conclu un traité de libre-échange bilatéral - TLE, qui est toujours en attente d'approbation auprès des congrès des deux pays. Ce TLE s'inscrit dans le contexte de la politique de " Sécurité démocratique " du gouvernement Uribe et dans la lutte au " narco-terrorisme " soutenu par les États-Unis. " Ce traité est d'une grande importance dans le cadre de la lutte courageuse et sans compromis que livre la Colombie, avec l'appui décisif des États-Unis, contre le trafic de drogues et le terrorisme ", a affirmé Jorge Humberto Botero, alors qu'il était Ministre colombien du Commerce, de l'Industrie et du Tourisme.2 Pour les élites colombiennes, au niveau économique, le TLE est présenté comme la " panacée ". Alors que l'intérêt profond des États-Unis de signer un traité de libre-échange avec la Colombie n'est pas d'intérêt commercial, ce pays ne représentant qu'une infime partie de leur commerce, leur intérêt est géostratégique. “Dans le document Santa Fe IV de la fin de l'année 2000 -qui oriente la politique états-unienne dans la région- il est mentionné qu'un des éléments géostratégiques fondamentaux pour la sécurité nationale des Etats-Unis réside dans la disponibilité des ressources naturelles de l'hémisphère afin de satisfaire leur demande."3 Les États-uniens cherchent à consolider leurs sources de matières premières, et surtout d'énergie. Ils convoitent le pétrole colombien et depuis peu les combustibles d'origine végétale, comme le biodiesel de palme africaine, production dans laquelle s'est lancée la Colombie. Lors de la visite du Président Bush à Bogota en mars dernier, il a réitéré sa volonté de travailler avec Uribe pour combattre le "narcoterrorisme" tout en affirmant l'importance du traité bilatéral pour les deux pays. 4
Les États-Unis sont déjà le principal partenaire commercial de la Colombie, destination de près de 50% de ses exportations et origine d'environ 40% de ses importations .5 En 2005, les exportations de la Colombie vers les États-Unis étaient constituées à 82% de matière première.[6] Si on soustrait le pétrole, le café, les fleurs et les pierres précieuses, toutes des matières premières, des exportations colombiennes vers les États-Unis, ce pays ne représente alors que 8.8% du total du commerce de la Colombie.7 La grande majorité des exportations des pays andins vers les Etats-Unis est constituée de matières premières et les TLE reproduisent le modèle productif exportateur primaire, caractéristique de la majorité des économies latino-américaines. Mais selon le Ministre du Commerce, Luis Guillermo Plata, la Colombie doit s'internationaliser et devenir un pays d'exportation, et surtout, il vaut mieux vendre à des riches qu'à des pauvres....
Agroindustrie
Les Etats-Unis ont une " superproduction " agricole et ont nécessairement besoin d'exporter, en fait c'est la principale proposition de ce pays en matière de commerce agricole. Les prix internes des matières agricoles sont plusieurs fois inférieurs aux coûts de production, et l'État donne une certaine somme pour chaque tonne produite, car la politique nationale est de garantir la production alimentaire, un enjeu de sécurité nationale. Les denrées agricoles états-unienne vendues à l'extérieur sont donc largement subventionnées. Réellement, le géant nord-américain fait du dumping agricole. Comme compensation à la compétition états-unienne, le programme Agro, ingreso seguro (Agriculture, investissement sûr) est mis en place en Colombie, sous-tendu par deux stratégies pour " renforcer les investissements ": 500 000 millions de pesos annuellement pour 10 ans pour " protéger et reconvertir " la campagne, et la composante " Appui à la compétitivité " pour les produits tropicaux seulement.8 En fait, la politique nationale agricole est dirigée au soutien de monocultures pour l'exportation, et non pour les produits alimentaires de base. La proposition du gouvernement colombien avec le TLE est de spécialiser le pays dans la production de variétés tropicales, et d'importer les aliments depuis les États-Unis, c'est à dire de provoquer la perte de la souvertaineté alimentaire colombienne. À propos de l'importation des excédents agricoles états-uniens, citons l'ancien Ministre colombien du Commerce, Jorge Humberto Botero: "Mille et mille mercis pour les subsides, parce qu'ils nous permettent, par exemple, d'acheter du blé à bas prix et de le transformer en pains et pâtes pour la consommation populaire". 9
Initialement, dans les négociations du TLE Colombie/Etats-Unis, 14 produits étaient qualifiés de sensibles (les mêmes que ceux protégés par le Système andin de bandes de prix depuis 1995[10]), mais finalement seulement trois sont dans l'accord, qualifié comme " sauvegarde spéciale " : le riz, le maïs et les morceaux de poulet. À chaque année, est établie une certaine quantité de ces produits en provenance des États-Unis qui peut entrer en Colombie (au-delà, les États-Unis doivent payer un tarif préétabli) 11. Cette quantité augmentera chaque année jusqu'à la libre entrée totale. La même méthode a été utilisée au Mexique, en 1994, avec l'Accord de libre-échange nord-américain - ALENA, pour le riz et le maïs, mais n'eut aucun résultat.
Biodiversité
Le TLE est basé sur la conception que la biodiversité, les ressources génétiques et les connaissances traditionnelles doivent être utilisées pour le développement capitaliste, et élabore un cadre pour qu'elles puissent être utilisées en toute légalité pour la création d'inventions qui seront brevetées à l'étranger. Ce qui est une source énorme d'inquiétudes pour les communautés indigènes, afrodescendantes et paysannes colombiennes: "Dans ce processus, ni les États détenteurs de ces ressources ni les populations indigènes ne reçoivent de compensations, et doivent par contre faire face au coût que représente l'obtention du produit créé (en payant des brevets) à partir desdites connaissances et ressources."12 La Colombie est qualifié comme un des cinq pays avec la plus grande biodiversité naturelle dans le monde et les communautés concernées s'opposent en général son brevetage et sa commercialisation, comme l'ont exprimé plus de 70 organisations indigènes et paysannes colombiennes lors d'un forum sur la biodiversité et la souveraineté alimentaire: "La biodiversité et les connaissances traditionnelles qui y sont associées, sont le patrimoine collectif des communautés indigènes, noires et paysannes, de ce fait aucune forme de propriété intellectuelle à travers des brevets ne peut s'appliquer sur elles."13
Avec le TLE, les brevets bénéficient de protection accrue, spécifiquement pour les produits pharmaceutiques et les produits chimiques à usage agricole, et la piraterie et la falsification sont criminalisées. De plus, la loi colombienne 1032 de 2006 modifie le code pénal par rapport à l'usurpation des droits de propriétés intellectuelles dans l'industrie et l'agriculture. Des peines de prison et des amendes sont possibles pour l'usage non autorisé de semences enregistrées ou brevetées. Selon les communautés indigènes, afrodescendantes et paysannes colombiennes, "c'est une claire violation des droits des agriculteurs et des communautés locales à améliorer, conserver et utiliser les semences traditionnelles. (...) Cette loi est d'évidence en faveur des brevets et du contrôle monopolistique des multinationales agricoles, qui conduirait à ce que les agriculteurs n'utilisent pas leurs propres semences."14
L'agenda interne du TLE est clairement exprimé par le gouvernement Uribe: transformation de la structure productive, augmentation de l'offre d'exportation, et promotion des produits colombiens à l'étranger, surtout aux États-Unis. Le Ministre Plata considère que la compétitivité est une priorité pour la Colombie: "dans les dernières 16 années, l'insertion active de la Colombie dans l'économie globalisée a été accompagnée de politiques de productivité et de compétitivité, comme le Plan stratégique exportateur 1999-2009, la Vision 2019 du gouvernement du Président Uribe, et le Plan national de développement 2006-2010, qui a beaucoup de points en commun avec l'agenda interne du TLE" 15. Une compétitivité recherchée notamment par l'insertion dans des chaînes de production spécialisées dans la fourniture de matières premières pour la demande des pays riches.
La Colombie envisage déjà de nouveaux accords commerciaux, notamment avec le Canada, et le pays voit grand, comme l'exprime le Ministre du Commerce colombien Luis Guillermo Plata: "Dans les quatre prochaines années, la Colombie entreprendra l'agenda de négociations commerciales et d'investissement le plus ambitieux de son histoire, lequel inclut la négociation et souscription de 20 accords de double contribution et la souscription de quatre nouveaux traités de libre-échange."16
D'un autre côté, fin mars 2007, les Démocrates états-uniens ont exigé des changements au trois traités bilatéraux actuellement en attente de ratification (Colombie, Pérou, Panama), surout concernant les clauses du travail (peur des syndicats du dumping social). Et le cas de la Colombie est particulier selon eux: "Ce Congrès doit regarder avec beaucoup de prudence, doit réaliser une discussion sérieuse, profonde, et de haut niveau avec l'administration Bush et le gouvernement de Colombie pour déterminer comment allons-nous manier un traité avec un pays où il y a des centaines de personnes assassinées. Nous devons être satisfaits du gouvernement Uribe et des paramilitaires avant d'agir face au TLE et au Plan Colombie." 17
1Cité dans Acosta M., Amylkar D. 2006. "El TLC: Ganadores y perdedores". Latin America in Movement - ALAI, 10 mars. http://alainet.org/active/10818&lang=en
2 "Colombia y EE.UU. firmaron el Tratado de Libre Comercio", Agencia Periodística del MERCOSUR - APM, 22 novembre 2006 http://www.prensamercosur.com.ar/apm/nota_completa.php?idnota=2541
3 Ariela Ruiz Caro, "El TLC de los países andinos y los recursos naturales", Programa de las Américas (Silver City, NM:International Relations Center, 16 de noviembre de 2005), http://www.ircamericas.org/esp/2928 Traduction : Benoît Audenaerde, pour RISAL www.risal.collectifs.net/
4 ""Voy a trabajar muchísimo para lograr la aprobación del TLC", dice Bush", Ministerio de Comercio de Colombia, 11 mars 2007 http://www.tlc.gov.co/eContent/TLC/NewsDetail.asp?ID=5670&IDCompany=37&Profile=
5 "Colombia y EE.UU. firmaron el Tratado de Libre Comercio", APM
6 Red Colombiana de Acción frente al Libre Comercio y el ALCA - RECALCA, TLC: un salto al vacío, 16 novembre 2006. http://colombia.indymedia.org/news/2006/11/52593.php
7 Acosta M., Amylkar D. 2005. "El TLC no es como lo pintan". Latin America in Movement - ALAI, 12 décembre. http://alainet.org/active/10555&lang=en
8 RECALCA. 2007. Agenda rural y TLC : Abonando Terreno para Esterilizar el campo.
9 Cité dans Acosta M., "El TLC: Ganadores y perdedores"
10 Le Système andin de bandes de prix est un accord des pays de la Communauté andine qui vise à adoucir les fluctuations des prix internationaux de certaines denrées agricoles. http://www.comunidadandina.org/comercio/franja.htm
11 Asociación Nacional por la Salvación Agropecuaria et RECALCA El sector agropecuario colombiano frente al Tratado de libre comercio con Estados Unidos, p. 33.
12 Ruiz Caro, "El TLC de los países andinos y los recursos naturales"
13 Declaración del Foro por la Defensa de la Biodiversidad y la Soberanía Alimentaria, Cartagena, 27 octobre 2006 [En ligne] http://RECALCA.org.co/AATLEcolombia/biodiversidad_271006.htm
14 Ibid.
15 "Ministro de Comercio: Competitividad una prioridad para el país" Ministerio de Comercio de Colombia, 15 mars 2007. http://www.tlc.gov.co/eContent/TLC/NewsDetail.asp?ID=5684&IDCompany=37&Profile=
16 "Colombia fija agenda de negociaciones internacionales", Ministerio de Comercio de Colombia, 29 mars 2007.http://www.mincomercio.gov.co/eContent/NewsDetail.asp?ID=5713&IDCompany=1
17 Sergio Gómez Maseri, "Demócratas revelan exigencias: enmendar el TLC en tres frentes", El Tiempo, 28 mars 2007.