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07/11/2016

«Le Canada est de retour», a dit Justin Trudeau – charismatique et bilingue – à des réunions internationales pour montrer les orientations qu’il souhaite donner à la politique extérieure du Canada par rapport à son prédécesseur, Stephen Harper. Le premier ministre du Canada a utilisé dans ses discours des termes très précis: la justice, la protection de l’environnement, la démocratie, les droits humains. Il a même évoqué certains d’entre eux lors de sa visite officielle en Chine il y a quelques semaines. Les Chinois, toutefois, ne l’ont pas applaudi pour cela, mais plutôt pour ses sourires et ses propositions d’affaires.

Trudeau est déjà allé de l’avant avec quelques mesures. Il a accueilli des milliers de réfugiés syriens, réintégré le Canada dans la lutte contre les changements climatiques et offert des troupes aux Casques bleus. L’Amérique latine commence aussi à ressentir les effets de ce changement diplomatique. À partir de décembre, les Mexicains ne seront plus obligés d’obtenir un visa pour voyager au Canada. En outre, le gouvernement canadien a annoncé il y a quelques jours un programme d’aide à la Colombie – dans le cadre de la signature des accords de paix – pour aider les déplacés et soutenir la réforme des forces policières. Ce qu’il adviendra de cette aide suite à la victoire du Non au plébiscite demeure toutefois inconnu.

La Trudeaumanie avance dans le monde grâce à certaines actions, à un style rafraîchissant et à des paroles de velours, mais il va peut-être trop loin dans ses promesses. Trudeau a soulevé tant d’espoirs qu’il est difficile de comprendre son silence devant une des questions les plus importantes pour les Latino-américains; celle-là même qui a fait en sorte que l’image du Canada soit aujourd’hui grandement ternie: les agissements condamnables de plusieurs mines dans la région, surtout que depuis que Harper a promu avec ténacité la présence canadienne dans le secteur extractif hors des frontières du pays. Au cours des dernières années, entre 50% et 70% de l’activité minière en Amérique latine a été le fait d’entreprises canadiennes.

Des travaux journalistiques et des rapports tels que celui du Conseil des affaires hémisphériques et du Groupe de travail sur les activités minières et les droits humains en Amérique latine ont montré que les entreprises canadiennes nuisent à l’environnement, qu’elles entraînent des déplacements forcés, ignorent la voix des communautés autochtones, tentent d’influencer la conception de lois nationales et soutiennent la criminalisation de la protestation sociale, entre autres.

Des autochtones du Guatemala accusent HudBay Mineral Inc. d’être responsable de leur expulsion des terres où elles vivaient. Les femmes ont été agressées sexuellement et leurs maisons ont été brûlées pendant l’expulsion. À Zacatecas, au Mexique, des groupes blâment l’entreprise Goldcorp pour la contamination des eaux souterraines et des impacts sur la faune liés aux activités de la mine Peñasquito. En plus du Guatemala et du Mexique, la situation est préoccupante dans des pays tels que le Pérou, le Chili, l’Argentine, le Panama et le Honduras. Ce sujet a été soulevé devant la Commission interaméricaine des droits humains. De même, un rapport de l’ONU sur le Canada et les droits humains publié en juillet 2015 évoquait la préoccupation de l’organisme au sujet des abus commis à l’étranger par des entreprises minières canadiennes.

L’arrivée de Justin Trudeau comme premier ministre a entraîné des réactions oscillant entre espoir et pessimisme quant à la cessation de ces pratiques. Il faut se souvenir que lors de ses rassemblements pendant la campagne électorale, Trudeau affirmait qu’il serait l’antithèse de Harper en politique étrangère. Un signe positif est que, en tant que député, Trudeau avait voté en faveur d’un projet de loi présenté au Parlement par son collègue libéral John McKay en 2010. Le projet de loi C-300 cherchait à imposer des sanctions aux entreprises extractives canadiennes impliquées dans des activités illégales hors du pays. Le projet a finalement été vaincu par les votes conservateurs. Cependant, les libéraux n’ont pas abordé la question depuis qu’ils sont au pouvoir. Peut-être préparent-ils une agréable surprise, ou peut-être veulent-ils simplement préserver le statu quo?

En avril dernier, Trudeau a reçu une lettre où plus de 180 organisations non gouvernementales de l’Amérique latine et d’ailleurs lui demandaient de faire des réformes pour encadrer sérieusement l’activité des entreprises minières canadiennes à l’étranger. En 2009, Harper a créé le Bureau du Conseiller en matière de responsabilité sociale des entreprises de l’industrie extractive, mais cet organisme se limite à donner des conseils techniques et à favoriser le dialogue entre les parties en conflit. Les libéraux estimaient l’initiative insuffisante quand ils étaient dans l’opposition, mais à présent qu’ils sont au pouvoir, ils continuent de s’en satisfaire. Et, jusqu’à présent, il n’y a pas eu de réponse officielle à la lettre adressée à Trudeau.

Il ne faut pas avoir le cerveau de Kasparov pour comprendre que la culpabilité va au-delà des entreprises canadiennes. La longue liste des problèmes en Amérique latine contribuant à cette situation est connue: des lacunes dans les systèmes de justice, de la facilité à modifier les lois en échange d’enveloppes pleines de dollars, une volonté de créer des sources d’emploi malgré les coûts sociaux, économiques et environnementaux, entre autres. Cependant, le gouvernement canadien doit aussi assumer ses responsabilités. Les rapports soulignent que les autorités canadiennes ont soutenu vigoureusement les entreprises minières à l’étranger sans nécessairement avoir l’information pour assurer le respect des droits de l’homme et de l’environnement. En outre, le discours officiel crie haut et fort que les choses changent, que le soleil est sorti après tant d’années nuageuses.

La transition vers une diplomatie qui prend en compte les nombreuses préoccupations mondiales soulevées par Trudeau n’est pas une tâche facile, surtout quand cela implique de toucher à des points névralgiques de l’économie canadienne. Selon l’Association minière du Canada, cette industrie a contribué pour 3,5% du PIB en 2014, et 66% des actifs miniers canadiens sont situés à l’étranger. Justin Trudeau n’est pas le premier homme politique qui doit faire face à des dilemmes de cette nature, bien que nous nous rappelons de peu d’exemples de dirigeants maniant autant de drapeaux en même temps. Comme on le sait : la cohérence entre les paroles et les actes est la preuve d’une grande stature politique. Trudeau ferait bien d’adhérer sans exception aux principes énoncés dans sa vision internationale.

Les différents rapports évoqués comprennent des recommandations pour lutter contre le problème, en particulier la création au Canada d’un organisme de surveillance doté de vrais pouvoirs, la possibilité de poursuites judiciaires de la part d’individus ou de groupes affectés à l’étranger devant les instances juridiques au Canada et la cessation de toute aide gouvernementale pour les entreprises impliquées dans des violations des droits humains. Des actions de ce type contribueraient de manière significative à réduire l’impact négatif de l’exploitation minière canadienne à l’extérieur de ses frontières. En intervenant sur ces enjeux, Trudeau défendrait à la fois la justice, la protection de l’environnement, la démocratie et les droits humains. Il a la possibilité de faire d’une pierre deux coups et d’obtenir la reconnaissance permanente de millions de personnes qui ont pris au sérieux ses engagements au niveau international. S’il en est autrement, la déception sera colossale.

Auteur.trice
New York Times - Jaime Porras Ferreyra