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04/04/2019

Dana Farraj est palestinienne. Elle a étudié le droit dans son pays et a réalisé un stage de quatre mois en Colombie avec El Equipo Juridico Pueblos. Dana fait partie du mouvement palestinien PULSE (Peuple palestinien uni pour la liberté, la solidarité et l’émancipation), qui fait partie d’un forum jeunesse appelé NABD. Dans la présentation formelle de PULSE apparait la nécessité d’initiatives et mouvements convergents luttant pour la liberté et la justice contre l’oppression, l’exploitation et la discrimination dans le monde entier. Nous croyons que l’unité des mouvements sociaux et politiques du monde entier aidera inévitablement à protéger et libérer des politiques néolibérales, de l’exploitation impériale, de l’oppression et des régimes autoritaires et réactionnaires les valeurs humaines, la justice communautaire, les libertés culturelles et politiques. Depuis sa terre palestinienne, Dana Farraj a octroyé cette entrevue que nous considérons de grande valeur dans la perspective de l’internationalisme qui doit caractériser les processus populaires mondiaux.

 

Nous savons que vous avez été à l’extérieur de la Palestine durant plusieurs mois; quelle situation avez-vous retrouvée en revenant au pays?

Cela fait un mois que je suis revenue en Palestine après deux ans et demi à l’extérieur. Pour parler de la situation, nous devons distinguer entre deux positions : celle de l’autorité palestinienne d’un côté et celle du peuple palestinien de l’autre. L’autorité palestinienne continue dans sa politique de coopération de sécurité avec les forces israéliennes contre le peuple palestinien et ses intérêts, tout en continuant sa politique économique libérale, donc on ne peut parler d’un réel changement de situation.

Concernant le peuple palestinien, de mon point de vue, nous attendons le moment propice pour nous soulever; le peuple palestinien n’arrête jamais de lutter. Peut-être qu’en ce moment, la lutte palestinienne n’est pas organisée et est plutôt fragmentée. Toutefois, je peux sentir toutes les tentatives des jeunes à débuter une nouvelle période de résistance, en particulier pour avancer dans la culture, la conscience et la culture de l’action communautaire et volontaire. Il y a beaucoup d’espérance et de travail à faire.

 

L’appareil répressif d’Israël a augmenté sa politique génocidaire contre son peuple; quelle a été la réponse des Palestinien.nes?

Israël nourrit un projet sioniste depuis les premiers moments, une politique génocidaire contre le peuple palestinien et son identité. Le projet d’Israël n’est pas seulement contre les Palestinien.nes, sinon contre toute la région arabe et fait partie d’un projet international d’impérialisme et d’exploitation des richesses des peuples. Cette politique continue de diverses manières.

La culture de la résilience, de la résistance et du défi se trouve en chaque Palestinien et Palestinienne. Israël a comme politique la destruction des maisons des familles, des martyrs et des prisonnier.es politiques. Ainsi, la mère palestinienne dont les enfants sont en prison ou ont été assassinés par les sionistes résiste en disant « tant pis, je construirai une autre maison » face à la démolition de son foyer. À cet acte de courage individuel s’ajoutent des formes collectives d’action quand les Palestinien.nes se regroupent et tentent d’empêcher la démolition des foyers des défenseur.es de la liberté.

Les Palestinien.nes de toutes parts luttent pour exister, pour protéger leur identité : les Palestinien.nes qui vivent dans le territoire occupé par Israël en 1948 et ceux de la Bande de Gaza sortent manifester chaque vendredi depuis un an pour exiger le retour à leurs maisons et stopper l’état de siège dans Gaza. Les Palestinien.nes de Cisjordanie et de Jérusalem utilisent de nouvelles manières et initiatives de lutte. Les Palestinien.nes en exil (soit la moitié de la population palestinienne) travaillent toujours pour le droit au retour.

En ce moment, tou.tes les Palestinien.nes rejettent « l’Accord du siècle », établi par les États-Unis, qui cherche en apparence à proposer une « solution » à la cause palestinienne. Cependant, il prévoit par exemple que les Palestinien.nes expulsé.es de leurs terres lors de l’instauration de l’occupation israélienne en 1948 ne puissent avoir un droit de retour sur celles-ci.

 

Quelle est la situation des prisonniers et prisonnières politiques palestinien.ne.s?

La loi israélienne dit que n’importe quel.le Palestinien.ne peut être détenu.e s’il « existe des arguments raisonnables pour présumer que la sécurité publique de la zone le requiert ».

De nos jours, il y a environ 5440 prisonnier.es politiques selon ADDAMEER (l’Association d’appui aux prisonniers et aux droits humains). Parmi eux, 48 prisonnières, 8 membres du conseil législatif palestinien, 209 enfants et 497 qui sont sous le statut polémique de détention administrative.

Le confinement en solitaire et l’isolement sont les deux mesures imposées durant la sentence d’emprisonnement. Le confinement en solitaire s’utilise ouvertement en Israël comme mesure disciplinaire et il s’agit d’une pratique commune lors des interrogatoires, qui s’utilise régulièrement immédiatement après la détention.

Les cellules d’isolement des différentes prisons israélienne sont similaires en terme de grandeur – généralement de 1,5 mètres par 2 mètres ou 3 par 3,5 mètres. Chaque cellule contient généralement une fenêtre mesurant 50 par 100 centimètres, qui souvent ne permet pas une entrée suffisante de lumière ou d’air de l’extérieur. Ces cellules incluent un urinoir et une douche; les prisonnier.es accrochent un rideau pour séparer cette zone du reste de l’espace.

Le Service israélien des prisonniers (SIP) a adopté une politique systématique de négligence médicale conte les prisonnier.es et détenu.es. Des organisations de droits humaines estiment que depuis le début de l’Intifada d’Al-Aqsa, qui a duré de 2000 à 2008, dix-sept prisonniers palestiniens sont morts dans les prisons israéliennes et centres de détention pour cause de négligence médicale.

Les forces d’occupation israélienne ont arrêté 509 Palestinien.nes du Territoire palestinien occupé (TPO) en janvier 2019 seulement. D’entre eux, 89 étaient des enfants et 8 des femmes.

 

Vous avez connu en partie la Colombie. Quelles similitudes voyez-vous entre l’occupation des territoires palestiniens par Israël et notre réalité?

La construction des colonies, l’isolement et l’enclavement des aires palestiniennes entre elles par la construction du mur de l’annexion. L’isolement et la judaïsation de la ville de Jérusalem, la confiscation des maisons et le déplacement des Palestinien.nes à travers les assassinats et les arrestations indiscriminées contre les femmes, les hommes et les enfants palestinien.nes, ainsi que les attaques quotidiennes des colons contre notre peuple et notre agriculture.

Les massacres dans les villages, dont l’objectif était de déplacer les gens, ont eu lieu en Colombie et en Palestine dès les années 1948 et présentent d’importantes similitudes.

Le plan mis en branle en Colombie par les États-Unis est un véhicule d’implantation des politiques néolibérales (prolifération des entreprises transfrontalières et privatisation des services publics, particulièrement dans le champ des entreprises extractives). Le problème prend racine non seulement dans le principe de l’extraction des minéraux et du pétrole, mais également dans la force et la violence utilisées quand les intérêts de ces entreprises s’opposent aux intérêts des personnes. Ainsi, les paysan.nes et les personnes issues de peuples autochtones sont les premier.ères affecté.es par ces politiques et sont constamment menacé.es d’assassinat et d’expulsion.

Le projet de développement économique implanté avec la création de l’Autorité palestinienne ne peut être décrit que comme un projet économique néolibéral. Il s’agit donc d’un système incompatible avec la situation palestinienne : il ne sert que la classe de l’élite politique et le capital économique et est loin des classes travailleuses et du concept de justice sociale. Logiquement, il est impossible de parler d'une économie palestinienne libre et indépendante si elle dépend de l’économie sioniste. Cette dépendance économique est assurée par le Protocole de Paris, signé dans la foulée de l’Accord d’Oslo en 1994 entre l’Organisation de libération de la Palestine et l’entité sioniste.

Il importe de mentionner que l’économie palestinienne, avant la catastrophe de 1948 était une économie agricole productive. Durant la période antérieur à 1967, l’agriculture représentait 69% des activités économiques. Ainsi, le système économique actuel s’éloigne des bases productives traditionnelles de l’État et tend vers une économie dont l’unique horizon est le développement d’une culture de la consommation.

Alors que nous défendons la liberté de nos prisonniers et prisonnières politiques dans les prisons et centres de détention sionistes en tant que prisonnier.es ayant été détenu.es pour défendre la liberté de la terre et des êtres humains, nous rejetons la détention politique utilisée par les gouvernements activistes dans les mouvements sociaux réclamant la dignité humaine.

Nous luttons aux côtés de tous les peuples, classes et groupes opprimé.es qui souffrent de persécution et de répression politique de la part de gouvernements capitalistes, comme c’est le cas présentement dans les mouvements sociaux en Colombie (actions de sécurité, arrêt des activités et menace de confiscation des terres des paysan.nes de la part du gouvernement, au bénéfice des entreprises multinationales).

Nous menons des campagnes conjointes contre la militarisation, particulièrement dans le contexte international de boycott, désinvestissement et sanctions contre Israël. En effet, les peuples des deux pays voient les mêmes essais d’arsenal militaire contre eux, qui rendent d’ailleurs celui-ci plus attractif au niveau mondial. Un exemple iconique est le leader paramilitaire Carlos Castano, qui, dans son autobiographie, relate son entrainement par Israël, où il a appris l’art de la guerre régulière et irrégulière, et suite à laquelle il a obtenu des armes israéliennes pour la guerre en Colombie.

Les organisations se sont aussi opposées à la signature d’un accord de libre-échange entre la Colombie et Israël, particulièrement pour les impacts d’un tel accord sur la paysannerie, tant en Colombie qu’en Israël. Les organisations d’agriculteurs des deux pays travaillent avec la Via Campesina.

Cette relation entre les luttes de Colombie et de Palestine présente des racines plus profondes encore. Le révolutionnaire Antoine Jamil Daoud nous rappelle un autre type de relation. Antoine est né à Bogota, la capitale de la Colombie, en 1909. D’origine palestinienne de la ville de Bethleem, il fut responsable du bombardement, en 1948, de l’édifice de l’Agence juive de Jérusalem, associé au mouvement sioniste. Son travail en Palestine n’était pas terminé, il prévoyait une grande opération en août 1969, mais est mort quelques jours avant son exécution.

 

Pour vous, qu’est-ce que l’internationalisme?

La lutte commune entre les peuples est un début à la réalisation de la démocratie, la liberté et la justice sociale pour tous les peuples du monde, peu importe où ils se trouvent. Pour faire entendre notre voix contre l’oppression, la répression et les arrestations politiques de leaders étudiants et paysans qui luttent pour leurs droits.

Encore une fois, j’ai confiance en l’inévitable victoire de tous les peuples opprimés. Laissons notre regard se tourner vers le ciel.

Dans une ère de globalisation de la répression, la lutte doit être globalisée.

En définitive, l’internationalisme est pour moi le sentiment de lutter pour la cause palestinienne alors que je participais à la lutte colombienne.

Auteur.trice
PASC