Jeudi 12 septembre 2013. Grâce à l'impulsion de la récente Grève Nationale Agraire et Populaire, où nous sommes des millions de personnes à nous être mobilisés de long en large du pays, aujourd'hui nous nous sommes réunis pour lancer le Sommet National Agraire, Paysan et Populaire. Nous étions des milliers d'hommes et de femmes à nous rassembler, leaders de divers secteurs populaires, pour partager nos réflexions sur les réussites de la récente mobilisation et pour contribuer à la définition des points d'accords afin d’avancer vers l'unité du mouvement populaire colombien.
La Grève Nationale Agraire et Populaire a été un progrès pour le mouvement social colombien, spécialement pour les secteurs paysans, indigènes et afros. La grève représente la mobilisation la plus importante et frappante des dernières années dans le pays. Nous pouvons dire avec fierté que pour la première fois depuis longtemps, nous, les paysannes et paysans, avons réussi à montrer à la société colombienne notre capacité de rassemblement pour défendre notre dignité et nos droits.
Pendant 24 jours nous nous sommes mobilisés dans 22 départements du territoire national, pour exprimer notre mécontentement face aux politiques de vol et d'inégalité qui ont été lancées contre les plus humbles. En même temps, nous avons fixé, via un débat démocratique, une série d'exigences, de propositions et de solutions, compilées dans de nombreux documents qui rassemblent nos revendications.
Comme le pays et le monde le savent bien, le gouvernement a répondu à nos mobilisations et revendications par un usage excessif de la force contre les civils désarmés. Face à nos justes revendications, le gouvernement a répondu par la détention de nos leaders, par la militarisation de la ville et de la campagne, et en donnant un traitement guerrier à la protestation sociale pourtant légitime. La répression gouvernementale a provoqué des conséquences désolantes, comprenant la perte de 12 vies humaines, la disparition de 4 personnes, 600 cas de violations des droits humains individuels et collectifs dans tout le pays, 262 détentions arbitraires, 485 personnes blessées, 21 personnes blessées par arme à feu, 52 cas de harcèlements et de menaces contre les manifestantes et leaders sociaux, et 51 cas d'attaques injustifiées à la population civile dans divers départements du pays.
La Grève Nationale Agraire et Populaire est une réponse à la crise que traversent les campagnes et le pays en général, générée par des politiques qui ont appauvri particulièrement la population rurale. Les gouvernements successifs ont stimulé un modèle économique conçu pour favoriser les grands propriétaires fonciers, les éleveurs et les entreprises transnationales, ignorant les peuples de paysans, d'indigènes et d'afros. Ils ont fait la promotion des accords de libre commerce ; ces accords ont alors facilité l'importation de produits subventionnés, qui provoquent la faillite des petits producteurs colombiens. Une politique a été mise en place pour développer la grande industrie minière transnationale, ce qui a dépouillé les communautés, frappé les petits mineurs, accaparé l'eau dans les régions et contaminé nos territoires.
Comme si cela ne suffisait pas, le gouvernement persécute les cultivateurs qui conservent leurs propres semences pour leur production, menaçant gravement la souveraineté et l'autonomie alimentaire nationale et favorisant les grands monopoles mondiaux qui contrôlent les semences et les biens de production.
Nos propositions ont été claires. Nous continuons à insister pour se diriger vers une politique de réforme agraire intégrale qui reconnaisse les territoires collectifs indigènes et afros, qui assure aux paysans la terre et la territorialité nécessaires et qui démonte les grands domaines qui ont concentré la majorité des terres cultivables. Nous accusons aussi les lois dérogatoires qui ont soutenu le dépouillement, qui ont légalisé le vol des terres, les déplacements forcés, l'appropriation illicite de friches et les faux titres fonciers parrainés par des notaires louches. Dans l'immédiat, pour sortir de la crise agraire, nous insistons sur l’urgente nécessité de mettre en œuvre des mesures et des actions face à la crise de la production agricole, dont la suppression des politiques de libre commerce, l'annulation des traités internationaux qui affectent les producteurs nationaux et l'avancée vers une intégration juste et solidaire des peuples d'Amérique latine dans le monde.
Dans ce cadre, nous avons rédigé des documents qui compilent nos propositions pour la campagne colombienne. Nous exigeons des terres pour les peuples qui la travaillent et en prennent soin, l'accès à la propriété des terres, la reconnaissance du territoire et de la territorialité paysanne. Ceci sera atteint uniquement avec l'attribution et la dotation de terres aux paysans, aux indigènes et aux afro-colombiens, avec l'achat direct de terres en quantité suffisante et de bonne qualité, mais aussi avec l'attribution immédiate des terres en friche qu'occupent les paysans qui remplissent les conditions requises pour qu’elles leur soient décernées. Nous exigeons également que soit déclaré nul l'achat massif de terres qu'ont fait des entreprises nationales et étrangères en violant la loi 160 de 1994. Il est nécessaire d’arrêter la politique d'internationalisation de terres et d’arrêter la réforme de la taille de l'Unité Agricole Familiale (UAF) -en tout cas il ne faut pas en diminuer la taille actuellement définie.
Nous exigeons que l'Etat fixe des prix corrects de subsistance pour la production paysanne, qu’il garantisse une rémunération effective des producteurs, ainsi que des prix accessibles pour les consommateurs. Nous exigeons la réduction des prix des combustibles, des prix des fertilisants, insecticides, engrais et autres biens de production agricole.
Dans le domaine de l'industrie minière, nos documents rejettent la grande industrie minière transnationale, promeuvent la consultation populaire pour la définition des projets miniers et la participation des petits miniers à la formulation de la politique agraire. Des conditions sont également posées pour la discussion publique d'une loi d'encadrement des hydrocarbures qui réoriente la gestion de la politique pétrolière vers le bien-être et la souveraineté nationale, et non vers le profit des grandes entreprises.
Nous exigeons une politique de substitution autonome des cultures d'usage illicite. Nous exigeons que s'arrêtent les fumigations et l'éradication manuelle sur le territoire et nous insistons sur le fait qu'il ne faut pas persécuter ni criminaliser le paysan cultivateur ; le paysan ne doit pas être traité comme un délinquant mais comme une victime des maladresses de la politique de l'Etat.
Nous luttons pour la reconnaissance politique de la paysannerie. Nous exigeons que des mesures soient adoptées, et que soient respectées les garanties réelles de l'exercice des droits politiques de la population rurale, l'investissement social pour l'éducation, la santé, les logements, les services publics et les routes, pour la population rurale et urbaine. Nous croyons que la consultation préalable doit aussi être un droit pour la paysannerie colombienne.
Nous, organisations, communautés, villages, femmes et hommes participant au Sommet National Agraire, Paysan et Populaire, rejetons le Pacte Agraire instauré par le gouvernement de Santos. Nous considérons que c'est la réédition du néfaste Pacte du Chicoral qui a regroupé les propriétaires de terre pour empêcher une possible réforme agraire. La grande différence vient du fait qu'aujourd'hui les grands propriétaires fonciers et investisseurs de la campagne veulent s'allier aux petits producteurs pour s'approprier leur travail et leur sueur.
Pour cette raison nous choisissons d'ignorer le nouveau Ministre de l'Agriculture, représentant d'un modèle d'agrobusiness qui a été l’agent de la pollution environnementale, des vols de terres, des persécutions du mouvement syndical et de la détérioration des conditions de travail des travailleurs. Nous ne croyons pas qu’il soit la personne adéquate pour stimuler la politique agraire dont le pays a besoin. Nous continuerons à produire nos documents, mandats et plans de vie pour la défense de la campagne et de ses habitants les plus humbles.
Aujourd'hui se consolident des propositions des différents secteurs de la société, en somme la paysannerie, les afro-descendants et bien sûr les indigènes. De par leurs expériences vécues, ils élaborent des espaces et des solutions à leurs problèmes ; c'est le moment où ils peuvent donner leur opinion et décider de leur futur. Aujourd'hui encore nous devons nous mettre face à nos problèmes, et les accepter avec le courage et l'engagement que nous donne ce moment historique.
Il est nécessaire d'avancer dans l'élaboration du sommet agraire et populaire, en tenant en compte du fait que la mobilisation n'est pas terminée. C'est un processus qui est en cours, qui détermine l'exercice de la souveraineté populaire et qui installe les bases du chemin de construction collective, ce qui qui contribue à l'UNITE dans l'action des diverses organisations convergentes.
Par conséquent, nous cherchons à construire le processus de résistance et de mobilisation sociale pour rassembler et articuler les fruits de la lutte, les aspirations et la clameur, la transformation sociale du peuple colombien, pour les traduire en une proposition alternative. Nous cherchons également à travailler à partir de politiques démocratiques et populaires sous forme de mandats ou de lois, qui installent les bases de construction d'un nouveau pacte social pour la paix et la dignité de la vie, qui rassemblent les désirs, les rêves et les aspirations de paix avec la justice sociale des colombiennes et des colombiens de la rue, du quartier, du village, de la municipalité, de la région, du secteur et/ou du processus organisationnel.
C'est pour cela que nous lançons un appel à tous les paysans, paysannes, indigènes et afro-descendants de Colombie, organisations agraires et populaires, ainsi qu’à l'ensemble du peuple colombien, à tous nous assembler durant le sommet agraire et populaire qui se réalisera en octobre 2013 à Bogota, avec la participation massive des divers secteurs populaires et sociaux, qui permettent de construire les propositions et solutions qui donneront réponse au conflit agraire et social que nous vivons. Nous vous invitons à notre initiative pour construire la paix avec la justice sociale.