Le rapporteur spécial de l’ONU pour la défense des droits humains en Colombie, Michel Forst, s’inquiète de la judiciarisation de leaders sociaux en Colombie et du fait que le gouvernement ne prenne pas d’actions afin de protéger les leaders sociaux et défenseurs des droits humains.
L’arrestation de 8 habitants de la municipalité de San Luis de Palenque, département de Casanare, qui avaient participé à des protestations et négociations avec la pétrolière canadienne Frontera Energy est un fait préoccupant pour le rapporteur et pour la communauté internationale.
Les faits menant à l’arrestation de ces 8 personnes sont corrélés avec l’arrivée de l’entreprise canadienne Frontera Energy (jusqu’à 2017 celle-ci s’appelait Pacific Rubiales) dans le département de Casanare en 2005. Depuis, cette compagnie réalise des activités d’exploration et production de pétrole, activités qui ont changé la vie des habitants de la région. Le trafic d’une grande quantité de camions-citernes a détérioré les voies de transport, et comme l’a affirmé l’Autorité nationale de licences environnementales (ANLA), la contamination de l’air par les particules de poussière soulevées par ces camions a des conséquences pour la santé des habitants. Aussi, l’entreprise déverse ses eaux de production sur la rivière Pauto et sur les voies de transport, contaminant ainsi les sources d’eau dont dépendent les habitants et les animaux de la région, entraînant des maladies respiratoires pour les habitants et la mort d’animaux. De plus, au cours des années, l’entreprise a bénéficié de la prestation de services de transport, hébergement et alimentation pour ses travailleurs, des services offerts à crédit par la communauté. En 2018, la dette pour ces services était de 3.400 millions COP.
Pour ces raisons, entre 2017 et 2018, les habitants de la municipalité de San Luis de Palenque ont eu recours à des protestations afin de demander à la compagnie de réparer les routes et le remboursement de la dette contractée.
Parallèlement aux protestations, des négociations entre l’entreprise et la communauté ont eu lieu, des négociations au cours desquelles les habitants de la région tels que Ferney Salcedo, Jesús Leal Salcedo, Carmen Iraida Salcedo y Yulivel Leal ont participé en tant que personnes affectées par la compagnie, laquelle a contracté des dettes envers eux, et en tant que leaders communautaires.
Le 19 novembre 2018, la compagnie a signé un accord avec les Forces armées de la Colombie afin d’offrir une « protection spéciale dans l’aire d’intérêt de l’entreprise », à savoir, celle des projets Corcel, Llanos 25, Arrendajo, Casimena, Cubiro, Cravo Viejo et Cachicamo.
Le 27 novembre 2018, huit habitant.es de San Luis de Palenque ont été arrêtés (deux femmes et six hommes) et ont été accusés d’utiliser la protestation comme façade pour des activités criminelles. Or, les personnes détenues sont des leaders sociaux qui avaient participé aux protestations et aux négociations avec l’entreprise. Ce sont des producteurs agricoles, conducteurs et ouvriers.
Le PASC veut attirer l’attention du gouvernement canadien sur sa responsabilité devant le fait qu’une entreprise de nationalité canadienne fasse partie d’un processus de criminalisation de la protestation sociale. Le fait que des leaders communautaires en processus de négociation avec l’entreprise se retrouvent en prison suite à l’émission d’un rapport d’intelligence militaire alors que la compagnie payait les Forces armées, pourrait être associé à un acte de corruption en vue de criminaliser des leaders sociaux qui plus est sont des personnes directement affectées par les activités industrielles et administratives de la compagnie canadienne. Aussi, le fait qu’une compagnie canadienne souscrive des contrats de sécurité avec des Forces armées dont la participation à des violations des droits humains a été régulièrement démontrée devant des tribunaux nationaux et internationaux est un fait juridique qui devrait engager la responsabilité éthique et politique de la compagnie et de l’État canadien.
Rappelons finalement que la compagnie Frontera Energy s’appelait autrefois Pacific Rubiales Energy et qu’elle a un large historique d’actions allant à l’encontre du droit du travail, de la normativité environnementale et est reconnu en Colombie pour des affaires de corruption qui sont encore aujourd’hui sous enquête des organismes comme la Contraloria general de la nacion.