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23/09/2014

En juillet 2013, une délégation canadienne participa en Colombie à l'audience publique pour juger les actions de la pétrolière Pacific Rubiales Energy (PRE) dans le cadre du Tribunal populaire sur les politiques extractives. Lors de cette audience, la série de preuves présentées par les communautés et leurs organisations sociales signale les conséquences négatives de l'exploitation pétrolière dans la région, tant sur le plan social qu'économique, culturel et environnemental. Une des dénonciations principales était celle de la contamination de l'eau destinée à la consommation ainsi que des sources naturelles.

 

Il s'agit d'un des thèmes les plus complexes. De nombreux témoignages ont été récoltés par les communautés, mais les preuves techniques de la contamination de l’eau sont difficiles à obtenir. L’obtention de celles-ci est coûteuse et les lieux où ces tests doivent être réalisés sont peu accessibles. Rares sont les données disponibles concernant la qualité de l’eau avant l’exploitation pétrolière à des fins de comparaison.

À l'automne 2013, le Projet Accompagnement Solidarité Colombie (PASC) a coordonné un processus de prise d’échantillons d’eau à Puerto Gaitán. Ce projet a permis d'appuyer les démarches entreprises par les organisations sociales, dont le syndicat des travailleur du pétrole (la USO), dans le but de documenter la contamination des eaux par les procédés d’exploration, d’extraction et d’exploitation de la compagnie afin de soutenir la preuve des impacts de ses activités devant les tribunaux nationaux et internationaux.

Avec l’appui du Centre de recherche interinstitutionnel en toxicologie de l’environnement de l’Université du Québec à Montréal (UQÀM), ce projet a été rendu possible grâce au soutien financier de la CSN et d’Unifor. L’analyse technique a été réalisée par AGAT laboratoires à Montréal. Résultat : cinq des vingt échantillons d'eau prélevés contiennent des taux alarmants d'hydrocarbures. En voici quelques exemples.

Le transport de camion-citerne sur une route de terre battue provoque un nuage permanent de poussière. Pour y remédier, l'entreprise réalise quotidiennement un épandage d'eau afin de diminuer la volatilité de la terre et de la poussière. Les habitant.es de la région ont dénoncé le fait que l'eau utilisée était de l'eau résiduelle de la production. Les particules d'hydrocarbure adhèrent aux particules solides du sol et se retrouvent dans la poussière ambiante une fois l'eau évaporée ce qui provoque une contamination par voie respiratoire. L'équipe terrain a pu prendre un échantillon de l'eau du camion d'épandage directement depuis son tuyau. Les résultats montraient une concentration de 1040 μg/L. Un habitant de la région a aussi dénoncé la contamination de son puits. Un échantillon d'eau en surface a révélé un taux de 1600 μg/L.

À titre comparatif, rappelons qu’au Québec, les critères du Ministère du Développement durable, de l'Environnement et de Lutte contre les changements climatiques (MDDELCC), le critère de qualité admissible pour l’eau de surface a été déterminé pour les hydrocarbures pétroliers à 10 µg/L1, donc plus de 100 fois moins élevé que celui du puits d’eau destinée à la consommation des habitant.es et de l'eau d’épandage.

Les habitant.es de la région ont dénoncé le fait que les méthodes de traitement des eaux étaient insuffisantes. En effet, l'eau résiduelle de la station de rinçage des camions citernes passe simplement à travers un filtre d'eau usée. L'eau contient avant le traitement 3190 μg/L d'hydrocarbures, elle passe à 2190 μg/L après le filtrage. Cette eau "traitée" est ensuite déversée directement dans la rivière Tillaba. Au point de déversement, la concentration est de 570 μg/L, soit un taux beaucoup plus élevé que le seuil fixé par le MDDELCC à 130 μg/L lors de situations aiguës (comme des déversements) ou même du second seuil de 63 μg/L pour baliser la prévention d'effets chroniques sur l'environnement.

En suivant la trajectoire de l'eau déversée dans la rivière Tillaba, il est possible d'observer sur les rives de la rivière de nombreuses traces d'hydrocarbure visibles à l’œil nu comme en témoigne l'image ci-dessous.
Encore selon les critères du MDDELCC, les huiles et produits pétrochimiques ne doivent pas être présents en concentration pouvant être détectées par un film visible faisant écran à la surface.

Il est difficile de prouver la responsabilité d'une entreprise en termes de contamination d'eau, plus encore lorsque l'Autorité environnementale nationale lui donne littéralement des permis de polluer. Pourtant, en l’état actuel du droit pénal canadien, il est possible sous certaines circonstances de poursuivre devant les tribunaux les entreprises canadiennes coupables de crimes environnementaux en dehors des frontières nationales (Manirabona 2011)2. L’accès à l’eau est une question d’importance majeure et toute violation de ce droit doit être dénoncée. Les États colombien et canadien ont effectivement ratifiés plusieurs documents juridiques internationaux par le biais desquels il leur est impossible de révoquer leur obligation d’assurer aux peuples la pleine jouissance de leur droit d’accès à l’eau.

On recense diverses obligations internationales que la Colombie et le Canada se sont antérieurement engagés à respecter.

De prime abord, compte tenu de l’article premier du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, ratifié par la Colombie et le Canada respectivement les 29 octobre 1969 et 19 mai 1976, Pacte qui prévoit qu’en aucun cas un peuple ne peut être « privé de ses propres moyens de subsistance », la contamination de l’eau dans la région de Puerto Gaitán représente non seulement un danger pour la santé de ses habitant.es mais également pour la garantie d’approvisionnement d’eau adéquate à leur agriculture de subsistance3.

De même, l’article 12 du Pacte stipule « le droit à toute personne de jouir du meilleur état de santé physique et mentale »4. L’article 11 garantit le droit à un niveau de vie suffisant « y compris une nourriture, un vêtement et un logement suffisant »5. Le terme « y compris » indique que la liste n’est pas exhaustive et le droit à l’eau est définitivement une condition nécessaire à un niveau de vie suffisant. À la lumière de ces articles, un État commet une violation lorsque, par action ou par omission, il néglige délibérément ses obligations à assurer la pleine jouissance des droits prévus par le Pacte. Bref, il ne fait aucun doute que fermer les yeux sur la contamination de l’eau potable indispensable aux habitant.es de Puerto Gaitán par des compagnies pétrolières canadiennes telles que Pacific Rubiales Energy démontre la négligence des gouvernements colombien et canadien de protéger les droits prévus par les articles 11 et 12 du PIDESC.

De surcroît, étant donné l’importance du débat en question, le comité du PIDESC a adopté en 2002 l’Observation générale n° 15, laquelle porte sur le droit à l’eau, droit relatif aux articles 11 et 12 du PIDESC. Dans cette observation, le comité rappelle que l’accès à l’eau est une condition préalable à la pleine jouissance des autres droits de l’homme. Il soutient à la même occasion l’importance de facteurs nécessaires à l’évaluation de la notion d’approvisionnement adéquat en eau : la disponibilité, la qualité et l’accessibilité. Le comité insiste ainsi sur le critère de la qualité de l’eau, c’est-à-dire, bonne à la consommation humaine6.

En résumé, compte tenu des faits, les gouvernements colombien et canadien omettent d’assurer la réalisation du droit à l’accès à l’eau, obligation à laquelle ils sont pourtant tenus au regard de leurs engagements internationaux. En effet, ils manquent à leur devoir d’agir pour remédier à la situation de contamination de l’eau par les compagnies pétrolières sur le territoire colombien, notamment à Puerto Gaitán.

Notes:
* Voire campagne canadienne "Une affaire de Justice"
1. Critères de qualité de l'eau de surface du gouvernement du Québec
2. MANIRABONA, Amissi, 2011. Entreprises multinationales et criminalité environnementale transfrontalière: applicabilité du droit pénal canadien. Cowansville, Québec : Éditions Y. Blais. ISBN 9782896356409 2896356401.
3. Doc off CES NU, 2002, DOC NU E/C.12/2002/11. À la p.4
4. Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC), 16 décembre 1966, (entré en vigueur le : 3 janvier 1976, accession du Canada le 19 mai 1976 et de la Colombie le 29 octobre 1969)
5. Ibid. Art 11
6. Doc off CES NU supra note 1 à la p.6

Auteur.trice
PASC