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13/11/2017

L'enjeu des "consultas populares" reste au cœur des luttes pour la défense des territoires menacés par les méga-projets, on a peu parlé des consultations qui ont eut lieu sur le thème de l'exploitation pétrolière, un secteur dans lequel sont très présentes les entreprises canadiennes. Pour connaître le cas de Tauramena nous avons parlé avec July Katherine Méndez Clavijo membre du Comité pour la défense de l'eau de la municipalité de Tauramena dans le département du Casanare

PASC: En 2013, à Tauramena, la population a voté contre l’exploitation pétrolière dans certaines zones de la municipalité. Aujourd’hui, Ecopetrol a entamè une poursuite contre la consultation publique qui a obtenu ce résultat en justice. Comment s’est déroulé le processus?


July Katherine Méndez Clavijo: Le 15 décembre 2013, les habitant·e·s de la municipalité de Tauramena, du département Casanare, se sont rendu·e·s aux urnes pour voter contre un projet de prospection sismique. Ce projet aurait eu lieu dans la zone de recharge hydrique de la municipalité où cette dernière a investi des ressources importantes pour la conservation du microbassin qui approvisionne les aqueducs municipaux. De plus, le système de planification régionale (Esquema de Ordenamiento Territorial) de Tauramena interdit le développement d’activités pétrolières à cet endroit compte tenu des caractéristiques environnementales mentionnées précédemment.


Depuis 2014, soit après le victoire de la consultation publique (un mécanisme de participation citoyenne auquel on a recours pour connaître l’opinion de la population), l’entreprise pétrolière d’État Ecopetrol S.A. a lancé une stratégie juridique pour renverser la consultation publique par le dépôt d’une demande d’invalidité. Ceci va à l’encontre de l’accord municipal qui a réglementé la consultation publique. C’est ainsi qu’aujourd’hui, la municipalité de Tauramena, de pair avec le comité qui a promu cette consultation publique, doivent se défendre devant le tribunal administratif de Casanare, avec tout le processus légal qu’une telle demande implique. Le 1er décembre aura lieu une seconde audience où Ecopetrol devra présenter les preuves qui soutiennent sa demande.


Nous attendons l’année prochaine. Le manque de fonds détermine la situation juridique de la consultation publique. D’ici-là, nous continuerons à avoir un impact politique et social par le biais d’un front commun avec les autres comités qui encouragent les consultations publiques et les organisations environnementales du pays.


P: Des écologistes, des organismes sociaux et des syndicalistes du secteur des hydrocarbures ont uni leurs forces dans cette lutte. Comment est-ce possible? 


J: Dès les premières consultations publiques réalisées au pays (celles de la municipalité de Piedras, Tolima et de Tauremana, Casanare), le mouvement écologiste du pays s’est accru et a été dynamisé dans la mesure où on a vu que le modèle économique mis de l’avant par l’extractivisme a de multiples impacts environnementaux, sociaux et économiques. Dans ce sens, les syndiqué·e·s ont contribué, avec leur expérience et leur vision du pays, au concept de « développement durable ». Cette idée avance qu’on peut exploiter les ressources naturelles non renouvelables, mais en faisant bien les choses, ce qui implique que ça ne peut pas se faire de n’importe quelle façon et à n’importe quel endroit. Il faut respecter les droits du travail, l’accès à l’emploi, la liberté syndicale, le droit à l’opposition. Et surtout, il faut que les activités d’exploitation se traduisent par de réels avantages pour les communautés. L’idéal, c’est de trouver un équilibre entre les aspects économique, social et environnemental, en accord avec la qualité de vie que les Colombien·ne·s méritent.


P: Comment analysez-vous ce qu’il se passe avec la consultation publique au pays?


J: À ce jour, neuf consultations publiques ont eu lieu depuis 2013. Celle de la municipalité de Tauramena est la deuxième après celle de Piedras, à Tolima, et la première qui a réussi à freiner un projet d’exploitation pétrolière. Mais aujourd’hui, nous constatons que la consultation publique de Tauramena fait face non seulement à des poursuites juridiques, mais aussi à toute une stratégie de délégitimation de la part du gouvernement national, qui implique la négociation avec les communautés avant que se tienne une consultation publique ou le dépôt d’une demande pour éviter qu’elle ait lieu. On est aussi aux prises avec la stigmatisation et les meurtres systématiques de leaders de causes environnementales et sociales, l’intention du congrès de retirer les garanties de la consultation publique, la charge bureaucratique pour tenir une consultation, et finalement, l’inexistence de ressources pour la mener à bon terme.


Malgré tout ce qui précède, les communautés ont trouvé dans la consultation publique un mécanisme de participation citoyenne idéal pour protéger des zones d’importance environnementale comme les zones de recharge hydrique, les parcs naturels et zones de paramos, tout comme le patrimoine social, culturel et économique. Des municipalités refusent de changer leur vocation économique issue de nombreuses années de tradition en harmonie avec la nature, pour du jour au lendemain se tourner vers du travail lié à l’exploitation de minéraux. Elles refusent ce modèle économique imposé par le gouvernement national, sans planification ni accompagnement, où les profits s’enfuient avec la multinationale qui vient exploiter les ressources. Les impacts environnementaux sur les territoires sont irréversibles. L’espoir de créer des emplois amène des conflits sociaux, et les retombées économiques qui devraient se matérialiser en « progrès pour les communautés » demeurent finalement entre les mains de la corruption qui financera les prochaines campagnes électorales.


De ce point de vue, les coûts économiques, sociaux et environnementaux ne sont pas compensés par ce que laissent les « investissements étrangers »ou le modèle économique dérivé de la « locomotive minière-énergétique ». Pour ces raisons, les consultations publiques sont devenues le mécanisme de participation préféré des communautés car elles leur permettent de hausser le ton et d’être prises en compte dans les décisions qui les touchent et pour la suite des choses. De plus, 22 autres consultations publiques se préparent grâce à l’appui d’organismes sociaux, environnementaux, syndicaux et à un secteur politique du pays.


P: Cette consultation s’est transformée en un outil de plus pour la mobilisation. Elle fait face à une poursuite judiciaire. C’est un des symboles du dernier processus de paix avec la constitution de 1991. Jusqu’où ça peut nous mener?


J: La mobilisation et la protestation sociale ont toujours été la forme de manifestation des syndicats et des mouvements sociaux du pays comme stratégie de pression devant des politiques gouvernementales qui ne conviennent pas aux citoyen·ne·s ordinaires. Cependant, depuis la première consultation publique en défense de l’environnement et du territoire, les consultations publiques sont devenues le mécanisme de participation citoyenne de prédilection. Elles permettent au premier constituant, c’est-à-dire au peuple, de trancher sur les décisions qui les touchent, les rendant obligatoires. C’est ainsi qu’on voit, depuis la constitution politique de 1991, ces mécanismes de participation citoyenne desquels la démocratie et l’État social de droit tirent leur légitimité aujourd’hui plus que jamais.


Le pays traverse sans aucun doute un moment historique où les accords de paix pourraient être le début d’un changement social structurel. Souhaitons que la démocratie participative des territoires soit prise en compte et respectée par le biais de politiques environnementales, sociales et économiques qui respectent l’autodétermination des peuples comme synonyme de qualité de vie.


« Nous devons dire que nous ne sommes pas contre le développement économique du pays, si ça signifie le progrès pour nos peuples. Nous demandons seulement que ça soit fait dans des conditions durables, qu’ils [les gouvernements et les compagnies] ne soient pas indifférents et qu’ils comprennent que certaines choses, comme le bien-être et la vie, ne se négocient pas. »

 

Auteur.trice
PASC