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23/07/2021

Vendredi 25 juin dernier, en fin de la session parlementaire, le gouvernement canadien a déposé in-extremis le Rapport annuel en vertu de l’Accord de libre-échange entre le Canada et la République de Colombie.

Ce rapport est déposé alors que la Colombie connaît des mobilisations sans précédent depuis le 28 avril, plongeant le pays dans une crise marquée par la violence et la répression d'État.

Grève et répression

À ce jour, en deux mois de mobilisation, 4697 cas de violences policières, 2005 détentions arbitraires, 1 617 cas d'agressions physiques, plus de 80 homicides, dont 44 aurait été perpétrés par les forces de l’ordre, s'ajoutent aux 28 cas de violence sexuelle signalés.

La grève s’opposait d'abord à une possible augmentation de la taxe sur les produits de base de 5% à 19%. Elle s’est graduellement transformée en mécontentement populaire généralisé dans ce pays où 42,5% de la population vit en situation de pauvreté.

Plutôt que de chercher des solutions sociales à la crise, le gouvernement d’Ivan Duque a militarisé le pays. Le 28 mai, le gouvernement a émis le décret 575 déployant l'armée dans 13 villes pour démanteler les blocages des grévistes.

Responsabilité canadienne

L'inaction du Canada face aux violations de droits humains perpétrées à l’encontre de la population colombienne a été décriée par plusieurs secteurs de la société. Le 22 juin, une large coalition se rassemblait sur la colline parlementaire à Ottawa pour demander à Justin Trudeau de sortir de son mutisme.

L'étroite relation diplomatique et commerciale entre le Canada et la Colombie s'illustre par l'accord bilatéral de libre-échange en vigueur depuis 2011. L'accord signé avec le gouvernement de l'ancien président Uribe, accusé aujourd'hui pour ces liens avec les structures paramilitaires, a été décrié à l'époque. C'est d'ailleurs suite aux pressions de la société civile qu'une clause sur le respect des droits humains a été ajoutée, incluant la présentation de rapports annuels sur le sujet. C'est ce rapport qui a été déposé en soirée le 25 juin. Bien qu'il couvre la période 2020, le gouvernement canadien a manqué là une bonne occasion de se prononcer.

Alors que le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits humains et la Commission interaméricaine des droits humains ont émis de graves préoccupations sur la légalité et la proportionnalité de la réponse de l'État aux manifestations, la seule déclaration du Canada sur la crise en Colombie, n'a été exprimée que timidement par le ministre des Affaires étrangères Marc Garneau, le 9 mai dernier.

Le Canada a assisté en 2016 à la signature de l'accord de paix entre l'État colombien et la guérilla des FARC, en s'engageant à appuyer sa mise en œuvre. Pourtant le gouvernement Duque ne respecte pas l'accord de paix. Depuis sa signature, les groupes de défense des droits de la personne ont signalé plus de 1 100 assassinats de leaders sociaux. Seulement depuis le début de 2021, 28 massacres ont été documentés. Cependant, le rapport 2020 du Canada sur l'ALECC ignore que le gouvernent actuel a fait ouvertement campagne contre cet accord de paix, n'en respecte pas les principes et a suspendu unilatéralement les négociations avec la guérilla de l'ELN, en violations des protocoles internationaux. Le rapport constate simplement que : "Néanmoins, la mise en œuvre du processus de paix pose toujours son lot de défis depuis la signature de l’accord de paix, il y a quatre ans et demi". Un euphémisme irresponsable.

Dans ce rapport, il est incroyable de voir l'absence de mention des accusations graves contre des entreprises canadiennes en Colombie, ou le fait que celles-ci utilisent l'ALECC afin de poursuivre le gouvernement colombien lorsqu'elles considèrent avoir été lésées par l'application d'une législation environnementale restreignant leurs activités.

Plusieurs entreprises minières et pétrolières basée au Canada ont été dénoncées par les organisations sociales colombiennes pour leur complicité dans des violations de droits humains. Un cas emblématique est celui de l’entreprise Gran Tierra Energy, basée à Calgary, qui exploite des champs pétrolifères dans le département du Putumayo. Récemment, dans le cadre de la grève nationale, Jordany Estrella, un jeune paysan participant aux manifestations qui bloquaient l’accès au champ pétrolifère Costayaco 10 pour dénoncer le piètre bilan environnemental de cette entreprise, est mort suite aux tirs de la police. La police et les militaires protègent les investissements étrangers en vertu de contrat signés avec les multinationales.

Le Canada est également très actif dans le domaine de la vente d’armes à la Colombie. Affaires mondiales Canada a d’ailleurs affirmé en 2014 avoir exporté pour près de 45 millions de « matériel militaire » en Colombie.

La responsabilité du Canada et de ses entreprises en Colombie est claire. M. Trudeau, nous vous posons la question : le Canada abandonnera-t-il la population colombienne au nom de ses intérêts économiques?

Auteur.trice
PASC