L’action a associé plus d’une cinquantaine d’organisations sociales nationales et internationales. Elle a aussi permis l’entrée dans la zone des représentants nationaux et départementaux de l’Union Syndicale Ouvrière de l’industrie pétrolière (USO) et de la Confédération Unie des Travailleurs (CUT) alors que le droit syndical y est particulièrement bafoué. Campo Rubiales et Campo Quifa sont situés au cœur du Meta, dans une zone particulièrement isolée. La superficie totale de ces deux zones avoisine les 1 900 km2. À Campo Rubiales, 14 000 travailleurs sont dispersés sur les différents sites d’exploitation. En dépit de la présence de villages de colons et de communautés autochtones, la zone est fermée et l’accès par la route est strictement contrôlée par un personnel privé. Une autorisation délivrée par Pacific Rubiales ou ses entreprises sous-traitantes est nécessaire et l’on prend les empreintes et les photos de chaque entrant, qu’il soit travailleur ou habitant. L’entrée de la caravane dans la zone voulait aussi signifier un acte symbolique de récupération de la souveraineté nationale sur ces territoires laissés au contrôle de la multinationale.
Le mouvement a commencé fin juin et les moments forts en ont été la déclaration de grève et d’assemblée permanente du 18 juillet puis une nouvelle entrée en grève du site de Campo Rubiales le 20 septembre. En plus d'une demande de hausse des salaires, il s’attache à dénoncer le mode d’embauche. La mise sous contrat des travailleurs s’appuie sur un système d’entreprises sous-traitantes permettant d’amplifier la flexibilisation que le droit du travail colombien connaît déjà depuis l’importation des thèses néolibérales dans le pays au début des années 1990. Les contrats de travail sont de 28 jours et comprennent trois semaines continues de travail pour une semaine de repos en dehors du site. En sortant du site, les travailleurs ne savent jamais s’ils pourront obtenir un nouveau contrat. Cette flexibilisation des conditions de travail soumet les travailleurs à une pression permanente, alors que nombreux sont ceux qui enchaînent les contrats mensuels et les mois de travail sur le site. Elle permet aussi de contrôler toute contestation, le contrat n’étant pas renouvelé quand le travailleur énonce son désaccord. Lors de la caravane, nous avons d’ailleurs pu noter que la peur de perdre son emploi était permanente pour ces ouvriers, notamment chez les transporteurs qui, quand nous les avons visités, témoignaient volontiers mais refusaient toute prise d’enregistrement. Les manifestations de solidarité se sont d’ailleurs succédées tout au long de la semaine. Et l’adhésion à l’USO n’en est pas moins importante, le syndicat revendiquant plus de 5 000 adhérents pendant les grèves, des centaines d’autres ayant pris leur carte au moment de la caravane. Mais l’exercice syndical est profondément limité. Quand l’un de ces adhérents est repéré, son contrat n’est pas reconduit le mois suivant. Ainsi, de façon plus générale, Pacific Rubiales et entreprises sous-traitantes ont activement entravé les mobilisations en ne reconduisant pas les contrats de plus de 4 000 des employés présents pendant les grèves.
L’autre thème central de la mobilisation concerne les conditions de vie de ces travailleurs, littéralement parqués dans des campements où la promiscuité est permanente, les sanitaires souvent défaillants et la nourriture parfois avariés. Après de longues journées de travail, le plus souvent supérieures à douze heures continues, les ouvriers ne disposent d’aucun espace décent de repos et de distraction. Les dortoirs sont installés sous d’immenses tentes sans espace privé, dans des containers inhospitaliers ou dans des pièces sans fenêtres de moins de 15 m2 où quatre lits occupent tout l’espace.
Enfin, dernières observations et non des moindres, les habitants présents sur les zones d’exploitation, qui souvent travaillent aussi pour Pacific Rubiales, vivent dans une pauvreté extrême, dans des maisons aux murs de plastique ou aux planches récupérées et dont le sol est de terre (voir reportage photos). L’accès à l’eau est des plus précaires et génère des problèmes sanitaires et l’électricité souvent absente ou produite grâce à un groupe électrogène individuel, quand, dans l’installation pétrolière voisine, les éclairages fonctionnent à plein régime. La situation certainement la plus dramatique est celles de ces communautés autochtones. Les conditions de vie y sont encore plus précaires, les enfants souffrant de malnutrition et du lot de maladies qui y est associé, tandis que l’acculturation gagne chaque jour plus de terrain dans des communautés plongées dans l’apathie.
Bref, l’existence d’une extrême pauvreté à quelques centaines de mètres d’installations ultramodernes a de quoi choquer. La dénonciation peut paraître ici bien classique, une multinationale qui exploite les richesses d’un pays en bafouant le droit du travail et en ignorant les populations locales. Elle n’en est pas moins bien réelle et actuelle.
À son entrée en fonction en 2010, le président Juan-Manuel Santos avait annoncé axer sa politique de développement sur l’exploitation des ressources minéro-énergétiques. Un système de rente pétrolière est initialement prévu pour permettre la redistribution dans les municipalités d’une partie de l’exploitation. Or, le clientélisme est encore très fort en Colombie, d’autant plus dans un département comme le Meta, connu pour avoir été l’une des bases fortes du paramilitarisme. Comme nous avons pu le noter lors de la visite dans les villages, les populations locales vivent encore sous un régime de peur. Elles ne touchent concrètement aucun pourcentage de la rente pétrolière, quand elles ne sont pas menacées pour avoir osé la réclamer. Ainsi, les richesses de la terre continuent-elles à s’évader de leur région, et plus largement de Colombie.
Sources : Colombia Tierra Herida
Les travailleurs colombiens du pétrole organisent une Caravane de la Solidarité du 10 au 14 octobre
Les travailleurs contractuels des champs pétroliers de Colombie se battent pour des conditions équitables et les droits syndicaux contre les multinationales sous-traitantes et la compagnie d'État Ecopetrol dans les provinces de l'est du pays. Notre affilié Unión Sindical Obrera (USO) mène le combat au nom de ces travailleurs exploités et a recruté 4.000 nouveaux adhérents depuis le mois de juillet.
Une Caravane de la Solidarité a quitté la capitale, Bogota, aujourd'hui en direction des sites pétroliers de Campo Rubiales. Demain sera organisé à Puerto Gaitán un forum sur le thème des droits syndicaux dans l'ensemble du secteur en Colombie et qui retracera l'historique du conflit actuel. La journée du 12 octobre sera consacrée à la visite des champs pétroliers de Puerto Gaitán. Le 14 octobre, l'alliance composée de formations syndicales nationales et internationales rentrera à Bogota où est prévue une grande manifestation destinée à attirer l'attention sur la campagne.
Les travailleurs contractuels ont fait baisser la production pétrolière de 25% en bloquant les principaux axes routiers de Puerto Gaitán du 18 au 21 septembre et ont forcé le ministre colombien de l'Intérieur à venir à la table des négociations.
Les doléances des personnels des sous-traitants portent sur des salaires de misère, des logements inadéquats, la médiocrité des installations sanitaires et des moyens de transport et des traitements dégradants imposés à une main-d’œuvre précaire engagée avec des contrats à durée déterminée de deux à trois ans.
Les conditions en vigueur dans les champs de pétrole de Puerto Gaitán sont décrites comme des conditions semblables à celles des camps de concentration.
La campagne a récemment obtenu des améliorations de Pacific Rubiales qui a accepté de réserver la totalité des emplois non qualifiés à la population locale, de construire 3.000 logements et de faire don de 1 million $ à l'hôpital local.
On retiendra que les travailleurs et la communauté locale ont fait cause commune dans un mouvement de protestation qui a eu un grand retentissement et qui visait en particulier la dégradation de l’environnement, un taux de chômage local élevé alors que beaucoup de postes sont confiés à des personnes de l'extérieur, et l'absence d'investissement social dans la santé et l'éducation.
Parmi les compagnies accusées figurent les canadiennes Pacific Rubiales et Petrominerales, Cepcolsa, filiale de l'espagnole CEPSA, et Ecopetrol contrôlée à 90% par l'État. Pacific Rubiales finance une grande campagne de désinformation dans laquelle les syndicalistes de l'USO sont qualifiés de "criminels armés qui imposent des arrêts de travail."
Le Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier (SCEP) et l'USO ont formé un front uni, ce qui renforce leur pression sur les multinationales canadiennes.
Sources : Fédération internationale des syndicats de travailleurs de la chimie, de l'énergie, des mines et des industries diverses, 10 octobre 2011
En route vers Campo Rubiales
Depuis hier, et jusqu'au 14 octobre, se tient dans le Meta une rencontre itinérante pour la défense des libertés syndicales, du droit du travail et des acquis sociaux. Nous tacherons de suivre cet événement à travers les informations et les photographies que nous envoie Sara G. Mendeza, qui accompagnera cette caravane tout du long.Villavicencio, le 10 octobre 2011. Henry Jara, président de l'USO-Meta. Photo : Sara G. Mendeza. |
Puerto Gaitán, le 10 octobre 2011. Arrivée dans la nuit de la marche pour les libertés syndicales. Photo : Sara G. Mendeza |