Autoroute Panaméricaine:
ORDONNER LE CHAOS; Capitalisme et humanités...
Au milieu des ténèbres, je souris à la vie, comme si c'était une formule magique. - Rosa Luxemburg
Le 26 novembre 2004, en réponse à la demande formelle du président Colombien Alvaro Uribe, les autorités panaméennes annonçaient au monde leur désaccord avec le projet de construire le dernier tronçon de 96 km de l'autoroute Panaméricaine. Celle-ci unirait le Panama à la Colombie en traversant la réserve naturelle du Darién ainsi que le parc national Los Katios en Colombie.
La presse internationale citait alors Ligia Castro, directrice de l'Autorité Nationale en Environnement au Panama dans sa déclaration : "Pour les cinq années de notre gouvernement il ni aura aucune autoroute".
Cette affirmation avait soulevée un tollé médiatique et chaque ministre panaméen avait été interpellé sur le sujet. Tous soutenaient une position commune de protection de l'environnement, faisant connaître aussi les problèmes migratoires qu'occasionnerait l'autoroute pour les peuples autochtones qui résident dans le parc du Darien. Le ministre de l'immigration donnait en exemple les 600 réfugiéEs colombienNEs au Panama lors des deux années précédentes. Cette réalité ainsi que la construction même de l'autoroute représentait des coûts faramineux pour le gouvernement panaméen.
Parallèlement, les États-Unis avaient résolu de soutenir le Panama dans ses convictions en retranchant un montant de 10 millions de dollars de leur dette en échange que cet argent soit investit par le Panama pour la protection des richesses naturelles du Darien. Les E-U avaient également fait connaître leurs craintes au niveau de l'immigration. Selon eux, l'ouverture d'un passage terrestre augmenterait l'afflux d'immigrants d'origine latine en territoire nordique. Pour ce motif, les États-unis recommandaient au Panama d'autres projets jugés plus plausibles, tel que l'interconnexion électrique et gazière.
Dans les jours qui suivirent, Liglia Castro avait prononcée une nuance à son propos en se déclarant ouverte aux autres alternatives comme l'option plus écologique de construire la voie de transport le long de la côte pacifique. Cette avenue aurait l'avantage de préserver le parc du Darien qui présente une exceptionnelle variété d'habitats : plages de sable, côtes rocheuses, mangroves, marécages, forêts tropicales de basse et moyenne altitude. Ce Parc a été reconnu par l'Unesco en 1983 en tant que patrimoine de l'humanité et réserve de la biosphère.
C'est à travers ce pont naturel qui unit l'Amérique du sud à l'Amérique centrale que le président colombien aimerait voir s'achever la construction de l'autoroute panaméricaine. Selon lui : "La nouvelle génération ne va pas comprendre qu'il existe une autoroute depuis l'Alaska jusqu'au Panama et de la Colombie à la Pantagonie et que ce petit morceau manque afin de réunir les deux Amériques."
Une étude réalisée en 1996 par les délégués de la firme états-unienne Temporal Ecology and environnement Inc. et celle de la Colombie Hidromecanicas Ltda présente 13 options possibles de tracés pour l'autoroute, desquels 6 sont recommandés pour être plus viables. Les coûts du projet fluctueraient entre 231 et 540 millions de dollars. Pour ces deux firmes, le meilleur tracé serait le numéro 1, traversant le parc Katios en Colombie, avec un pont de 1,3 km sur le fleuve Atrato et une jonction frontalière avec le lieu connu sous le nom de Palo de Letras (voir photo ci-contre). C'est à dire que pour rejoindre ce tracé, une route devrait traverser le parc du Darien du côté du Panama.
L'étude recommande le tracé numéro 4 comme alternative si le débat écologique ne trouve pas résolution. Ce tracé se dirige vers la côte atlantique, au nord, en direction du golfe du Darien . Un petit détail : la route ne débouche sur aucune possibilité de connexion avec le Panama, dont la cordillère San Blas borde la côte Atlantique ! La rédaction des quatre autres propositions, semble chercher leur rejet avec des textes comme : "La route numéro trois est la moins recommandable du point de vue écologique, elle traverserait 55 plans d'eau (…) et coûterait 38 pour cent plus cher que le tracé numéro 1." La proposition numéro cinq démontre qu'il serait possible de construire la route sur la côte pacifique, mais décourage la réalisation de ce tracé sous prétexte : "qu'un port de mer possible sur la côte Pacifique ne constitue pas un chaînon manquant sur l'autoroute Panaméricaine." En combinant cette affirmation avec les propositions de route 1 et 4, on peut déduire que les promoteurs de l'étude visent un objectif sous-jacent, qui est la construction d'un port de mer sur la côte Atlantique dans le Golfe du Darien.
La Colombie est le seul pays d'Amérique du sud dont les côtes bordent à la fois l'océan Pacifique et l'océan Atlantique. La géographie du Choco est unique avec ses fleuves et ses frontières sur deux océans, trois départements en plus d'avoir le seul lieu de jonction avec le Panama. Au nord il y a le golfe du Darien dans lequel se jette le long fleuve Atrato bordé d'une forêt dense.
La forêt équatoriale, caractérisée par l'infinie variété d'espèces d'arbres, appartenant à plus de cinquante familles différentes, reçoit plus de 1500 mm de pluies par an. La voûte de cette " forêt vierge " s'élève en moyenne à 30 ou 35 m, et est surmontée de quelque individus pouvant atteindre 60 m et plus. Sous ce dôme colorée de tous les verts inimaginables piquetés d'une infinité de tâches blanches, jaunes, rouges, grises, dues à toutes les fleurs, vivent deux ou trois strates d'arbres de taille inférieure, reliés par des lianes. La stratification, c'est à dire l'organisation de la végétation en étages, est particulièrement nette dans la forêt tropicale où l'on peut compter jusqu'à cinq niveaux. La couronne est riche en oiseaux multicolores, les grands singes arboricoles, les chauves-souris frugivores, les léopards, de nombreux serpents, iguanes et batraciens, ainsi qu'une myriade d'insectes tel que les papillons et les fourmis. Bref, sur 2 à 3 hectares peuvent vivre de deux à trois cent espèces ligneuses, et chaque étage constitue l'habitat d'une flore et d'une faune bien distincte.
Toutes ces caractéristiques ont permis aux peuples autochtones vivant dans cette végétation de défendre leur territoire durant le XVII siècle. La résistance du peuple Cuna, en particulier, fit du Bas Atrato un territoire indépendant de l'empire espagnol. Les conquistadores absents sur le territoire attirait d'autres présences : pirates et boucaniers français, hollandais et anglais qui entraient par le fleuve Atrato apportant contrebande et armes aux autochtones en échange d'écailles, d'or et de lamantin. La couronne espagnole voulût éliminer ce phénomène et ordonna la fermeture du fleuve Atrato jusqu'en 1783 où il fût réouvert pour le commerce. Lors de la conquête, la ville d'Antioquia avait servie l'organisation de neufs expéditions au Chocò ( 1557, 1570, 1639, 1640, 1670, 1676, 1684, 1711 et 1775). Le moteur de l'occupation espagnol dans le haut et le moyen Atrato fût la richesse aurifère et impliqua la nécessité croissante de mains ouvrières importées du Congo, de l'Angola et de la côte ouest de Guinée. Les Africains arrivaient au port de Cartagène où ils étaient achetés par les propriétaires de mines et d'esclaves pour ensuite être envoyés dans les mines du Choco. Après l'abolition de l'esclavage, ces populations afrodescendantes ont développés une agriculture paysanne à échelle humaine.
Ce sont ces humanités métisses, autochtones, et afrodescendantes qui sont aujourd'hui en péril face au progrès effréné impulsé par la communauté des gens d'affaires qui souhaite propulser la Colombie sur le marché mondialisé. Le département d'Antioquia, à l'est du Choco, est le principal lobby auprès de l'état Colombien et Panaméen en faveur de la panaméricaine et des nombreux projets : routes, ponts, gazoduc, connexion électrique, port de mer; en Colombie, ainsi qu'avec le Panama, l'Équateur et le Vénézuela. La capitale de ce département Medellìn, qui est la deuxième ville en importante en Colombie semble être la plaque tournante de l'économie et le haut lieu par lequel fluctuent plusieurs projets d'infrastructures. Il suffit de visiter le site
www.ceo.org.co pour constater qu'un large carrousel impressorial profite du pillage de la nature et en fait sa monnaie courante. Guidés par le dogme de l'économie d'exportation; les fleurs exotiques, les métaux, la forêt, ainsi que leurs nombreux dérivés tel le "tourisme écologique", la métallurgie, la fabrique de papier et pour compléter la boucle la construction d'infrastructures, sont les domaines couverts par la panoplie d'entreprises qui se développent dans ce département.
Le 8 juin passé à Maracaibo au Venezuela les présidents Uribe et Chavez, avec la présence du président Panaméen Martin Torrijos, ont inauguré un projet énergétique d'envergure en faisant la première soudure de la phase 1 de la construction du gazoduc. Cette action cadre avec les prétentions maintenant publiques d'un marché global de l'énergie comme articulée dans IIRSA Initiative pour l'intégration de l'infrastructure régionale sud Américaine et le SIEPAC Système pour l'interconnexion électrique pour l'Amérique centrale, accords dans lesquels l'entreprise ISA interconnexion électrique Sud Américaine de Medellin, Antioquia est impliquée. La présence symbolique du président Panaméen vient affirmer que le gazoduc n'est que le commencement d'autres travaux d'infrastructures entre la Colombie et le Panama. D'ailleurs, comme paru dans les documents de la Banque Interaméricaine de Développement ont ne parle plus seulement du Plan Puebla Panama, mais bien du Plan Puebla Panama Pantagonie. Ce "vent de progrès" ainsi que les silences démocratiques ne cachent pas en Colombie que la géographie de la violence est la même que celle des mégaprojets.
Les populations du Choco qui avaient été déplacées de force en 1997 par la menace armée qui fût le théâtre de la cruauté paramilitaire et militaire, sont revenus sur leurs terres, car elles sont déterminées à vivre. Elles ont formé des îlots de résistance appelés zone humanitaires qui sont regroupées par le CAVIDA : Conseil Communautaires associés des Communautés, d'Autodétermination, de Vie, de Dignité du Cacarica. Elles sont en lien avec d'autres zones humanitaires en Colombie ainsi qu'avec des organisations nationales et internationales de défenses des droits humains. Elles organisent des rencontres internationales dont la 6ème eue lieu dans le Cacarica- Darién du 20 au 28 février 2006, où pendant 6 jours plus d'une centaines d'humains venus des quatre coins de la planète ont effectué un pèlerinage à travers le Darién observant la beauté de la nature et prenant conscience de sa fragilité face aux mégaprojets qui la menacent. Les deux derniers jours permirent de solidifier les conclusions de la rencontre du Réseau d'Alternatives à l'impunité et à la mondialisation génératrice d'exclusion réalisée à Madrid en juin 2005, en plus d'être le préambule de celle qui se réalisera au É-U au mois de juin 2006. Une des pistes d'actions, en lien avec le territoire est d'impulser une consultation populaire globale au sujet de la réalisation du projet d'infrastructure de la panaméricaine ainsi que les projets en lien avec les accords bilatéraux entre les gouvernements de Colombie et du Venezuela.
En conclusion, il est important de mentionner que le projet de construction d'une route panaméricaine a précédé largement le phénomène de la mondialisation néo-libérale. Déjà en 1928, lors de la Conférence InterAmérique, les États-Unis la comparait aux chemins de l'empire Inca. À la fin des années 70 sa construction fut arrêtée par l'ordre d'un juge fédéral des É-U attentif aux appels des écologistes de son pays. En 2006, c'est dans un contexte global qu'il faut se mobiliser contre cette initiative.
En connectant nos réseaux de résistance à ceux des comunautés en lutte pour la Vie,
l’Autodétermination et le territoire.