ATTAQUE PARAMILITAIRE DANS LE CATATUMBO
Chronologies des événements
Hier, le 12 juin 2021, dans la municipalité de Zulia dans la région du Catatumbo, des paysan.ne.s ont été victimes d’une attaque d’un groupe armé illégal. Mobilisé.e.s dans le cadre de la grève générale qui perdure depuis le 28 avril, les paysan.ne.s s’étaient rassemblé.e.s dans un campement de fortune depuis quelques jours au point mieux connu sous le nom de Agualasal. L’objectif est d’y ériger des barrages routiers, le blocage des voies de circulation constituant désormais le moyen de pression prisé par cette lutte pour faire reculer le gouvernement de droite du président Iván Duque.
La nuit tombée, aux alentours de 20h40, la garde paysanne remarque l’arrivée de six individus à motos. Aussitôt descendus de leurs véhicules, les suspects commencent à ruer de coups les paysans rassemblés au point de blocage, les accusant à tord d’être des membres de la guérilla. Ces derniers se targuent ensuite de faire partie d’une organisation paramilitaire de la région. Le Catatumbo compte à ce jour plus de six groupes armés illégaux d’extrême droite actifs, groupes qui ont notamment été responsables dans le secteur de plus 66 massacres et du déplacement de 120 000 personnes, entre 1980 et 2013, selon l’Indepaz. Si ces divers groupuscules au service de la grande propriété terrienne s’entredisputent ici et là le contrôle du territoire et des ressources, ils n’en demeurent pas moins des alliés stratégiques sur un point essentiel : anéantir le mouvement paysan colombien. Les massacres et l’usage systématique de la violence n’étant ici que le moyen qui justifierait ce triste dessein.
Dès lors, après avoir frappé plusieurs membres de la communauté dont un mineur, les six hommes se sont révélés être équipés d’armes à feu de différents calibres. Ouvrant le feu, deux d’entre eux auraient — selon un témoin direct — déchargé plus de 150 coups de fusil, touchant deux paysans. L’un de ceux-ci a été grièvement blessé.
Une fois la panique installée dans la foule, ces membres d’un groupe armée non identifié en ont profité pour réquisitionner des objets personnels des paysan.ne.s, notamment une quinzaine de cellulaires, de l’argent, des gilets de la garde paysanne (guardia campesina) et des documents d’identification, avant de voler quatre motos.
Les blessés ont été transportés d’urgence au poste de santé de l’Ye Astilleros, avant d’être déplacés vers 23h à l’hôpital de Erasmo Meos de Cúcuta pour recevoir une assistance médicale adéquate. C’est seulement à ce moment qu’ils furent conduits en ambulance, alors que les premiers soins avaient été appelés dès le début des tirs. C’est aussi à ce moment qu’entre en scène la police qui n’avait jusqu’à présent pas jugé bon de se présenter sur les lieux du crime, malgré la gravité de la situation. Elle se présenta donc à l’hôpital afin d’interroger les victimes.
Suite à cette attaque violente, les paysan.ne.s mobilisé.e.s ont décidé de se disperser pour des motifs de sécurité. À l’heure actuelle, encore deux personnes sont portées disparues.
Pourquoi la violence paramilitaire frappe-t-elle le Catatumbo en ce moment de soulèvement populaire ?
Si la violence des groupes paramilitaires s’est fait historiquement ressentir dans la région du Catatumbo, c’est pour au moins trois raisons. D’une part, il s’agit d’une zone géostratégique : départageant une frontière avec le Venezuela et possédant des canaux d’accès privilégiés avec la mer des Caraïbes et le centre du pays. Il s’agit à ce titre d’une pièce maîtresse de la politique militaire de l’État colombien, et plus particulièrement en ce qui concerne son alliance stratégique avec les États-Unis qui possèdent plusieurs bases militaires dans la région. Ensuite, ce territoire est infiniment riche en ressources minières, pétrolières et agricoles. Il constitue donc un chaînon décisif de la stratégie économique du pays, mais il est aussi convoité par le capital étranger et ces groupuscules qui cherchent à se tailler une part du gâteau de l’extractivisme. La troisième raison, sans doute commandé par la seconde, est la présence d’un mouvement paysan fort, vecteur d’un grand nombre de mobilisations qui se sont historiquement dressées face à l’expropriation des terres, en plus de revendiquer un accès adéquat à la santé et à l’éducation. Or, si le paramilitarisme prétend n’avoir que comme objectif l’éradication de la guérilla, son agenda de répression est beaucoup plus large. Milice informelle de l’oligarchie colombienne, le paramilitarisme s’est aussi fixé au Catatumbo comme bras armé du capital étranger, utilisant les menaces et la violence pour réprimer les paysan.ne.s qui s’opposent à l’éviction de leurs terres.
Dans le contexte actuel, le paramilitarisme constitue une stratégie de sous-traitance de la violence policière. Les événements survenus à Agualasal constituent l'une des plus graves violations du droit à la protestation sociale et n’est rien d’autre que le produit du programme de militarisation du conflit social conçue depuis les plus hautes sphères du pouvoir. Il s’ensuit que le Paro nacional atteint maintenant un seuil historique de répression. L’agression paramilitaire dans la municipalité de Zulia ce 12 juin dernier s’inscrit précisément dans cette logique : comme entité réactionnaire silencieusement alliée des autorités officielles, elle se présente comme une force de frappe pour désarticuler le mouvement social, cherchant à le faire craquer sous le poids de la terreur.
Projet accompagnement solidarité Colombie, 13 juin 2021
Pour aller plus loin :
— Indepaz, « El ingreso de los paramilitares al Catatumbo fue bestial », 5 de octubre 2015. En línea : <http://www.indepaz.org.co/el-ingreso-de-los-paramilitares-al-catatumbo-…;.
— Colombia Informa, « Paramilitares disparan a campesinos movilizados en el Catatumbo », 13 de junio 2021. En línea : <https://www.colombiainforma.info/paramilitares-disparan-a-campesinos-mo…;.
— Equipo Jurídicos Pueblos, Comunicados sobre los eventos al punto de Agualasal, 12 y 13 de junio 2021. Via Facebook : <https://www.facebook.com/DerechosdelosPueblos>
BULLETIN DE DROITS HUMAINS N° 11
LA GRÈVE AU CATATUMBO
Les communautés paysannes du Catatumbo continuent leur action de protestation légitime sur les routes, aux mêmes points de concentration signalés dans les bulletins précédents. Au niveau national, le manque de garanties quant à l'exercice de ce droit persiste. En témoigne une situation qui a été vécue dans la région le 12 juin, caractérisée par l’exercice d’une terreur paramilitaire et d'autres formes de pratiques répressives.
Terreur paramilitaire
Vers 20h30 le 12 juin 2021, au point d'Agualasal, dans la juridiction de la municipalité d'El Zulia, 14 individus sont arrivés (certains en uniforme et d'autres en tenue de camouflage), s’identifiant comme paramilitaires. Ces derniers ont commencé à insulter et à désigner les manifestants comme des « guerilleros HP » (guérilleros, fils de pute), à frapper plusieurs paysans (dont un mineur), puis à tirer sur le sol et les gens avec des armes à feu de différents calibres. L’un d'eux portait notamment une mitraillette. Deux manifestants furent blessés par des projectiles d'armes à feu. (Ces informations ont été obtenues par des entretiens avec des manifestants et mises à jour aujourd'hui, 13 juin 2021).
Ces événements se sont déroulés sur une période d'environ 10 minutes, pendant laquelle des moments de terreur et de panique ont été vécus au sein de la communauté. Les paramilitaires ont dépouillé plusieurs paysans de leurs portefeuilles, volé des gilets de garde paysans, des documents d'identité, de l'argent, 4 motos, les documents de propriété de l'une d'entre elles, et au moins 15 téléphones portables. La grande quantité d'informations personnelles et de données sensibles que ces individus ont emportées est alarmante, compte tenu du contexte régional et de l'histoire des actions paramilitaires contre le mouvement populaire.
Absence de réponse adéquate de la part de l'État
Ce qui s'est passé a été immédiatement signalé aux autorités et une ambulance a été envoyée pour transporter les blessés. Cependant, l'ambulance n'étant pas arrivée à temps, ils ont dû utiliser des véhicules communautaires pour les emmener au poste de santé de La Ye, où les soins leur ont été refusé. Finalement, les paysans blessés par balles ont reçu des soins médicaux à l'hôpital Erasmo Meos de Cúcuta, où ils sont arrivés vers minuit. Pour l'instant, leur état de santé est stable.
Pendant le déplacement d’Agualasal vers Ye avec les blessés, il y a eu une poursuite depuis un véhicule blanc haut de gamme. La police n'est pas arrivée sur les lieux après avoir été informée de la situation. Cependant, ils ont fait une présence inexpliquée au centre médical.
D'autre part, selon ce qui a pu être observé par la communauté paysanne, les paramilitaires sont arrivés à Agualasal du même endroit où l'armée se trouvait deux nuits auparavant.
La permissivité de l'action paramilitaire dans des zones hautement militarisées telles que le Catatumbo montre clairement que ces structures fonctionnent dans le cadre d'une stratégie élaborée par l’État et les élites au pouvoir. Cette correspondance gagne également en évidence lorsque l’on analyse les intérêts qu’ils incarnent et les ennemis qu'ils adoptent. Dans le contexte de la protestation sociale, par exemple, ce sont les dirigeants d’entreprises et les grands secteurs économiques qui ont multiplié les sorties publiques pour déclarer que les manifestant.e.s affectaient l'économie du pays, en utilisant des expressions désobligeantes à leur égard et en appelant les forces de l’ordre à reprendre les rues et les autoroutes par feu et par le sang.
Le travail de défense des droits humains est encore une fois attaqué
Les défenseur.euse.s de l’Equipo Jurídico Pueblos qui ont accompagné le transfert des blessés à l'hôpital de Cúcuta, ainsi que les autres qui ont accompli cette tâche, ont été prié.e.s par le commandant Quiroga de la police nationale de s'identifier et d'indiquer leur lieu de résidence. Cette demande est pour le moins surprenante si l'on considère qu'en raison de la gravité des événements, avant de savoir où localiser la suite qui a emmené les paysans se faire soigner, il aurait été indispensable de s'enquérir de ce qui s'était passé, aspect sur lequel on ne les a jamais interrogé.
Ignorance des droits des victimes
Contrairement à ce qui précède, la rapidité apparente avec laquelle la CTI a interrogé les victimes est surprenante. Vers 12h25AM, c'est-à-dire au petit matin du 13 juin 2021, des agents de l'entité susmentionnée sont entrés dans le lieu où les blessés étaient soignés à l'Hôpital, et ont procédé à leur interrogatoire. Les conditions dans lesquelles s'est déroulée cette procédure ne respectent pas les normes minimales de traitement humain et digne qui devraient être garanties dans toutes les procédures et actions de l'État.
La militarisation se poursuit
Le 13 juin 2021, dans la matinée, une délégation du bureau du médiateur et de l'organisation de défense des droits humains ont accompagné la manifestation sur le terrain. L’Equipo Jurídico Pueblos ainsi que différent.e.s représentant.e.s des communautés se sont rendu.e.s sur le lieu de l'agression paramilitaire afin de recueillir des preuves de ce qui s'est passé à des fins d’investigation.
En arrivant sur le site, il y avait une forte présence militaire, où l’on pouvait notamment observer des chars d’assauts, en plus d’une augmentation du nombre de troupes. Dès que la Commission qui devait participer à cet objectif est arrivée, les militaires ont pris — à des fins inconnues — une photographie des membres de cette dernière.
Compte tenu de cette situation, il a été demandé à l'armée et à la police de s'éloigner du site afin de garantir le bon déroulement du processus, ce qui s'est effectivement produit.