Aller au contenu principal
11/08/2006

Dans la nouvelle phase du paramilitarisme en Colombie, il est prévisible que les chefs paramilitaires se feront donner en échange de leur « démobilisation », des centaines d’hectares de terre fertile, terres qu’ils ont volées aux communautés qu’ils ont déplacées, alors que les simples soldats se feront offrir comme du travail dans les méga-plantations de Palme africaine, implantées illégalement sur les territoires collectifs ancestraux de communautés paysannes afro-colombiennes… 

 

Le 17 Juillet 2003, le journal El Tiempo, un des principaux média de la presse écrite en Colombie, présente un article intitulé : « Les zones du processus para ». Dans cet article on mentionne que de grandes étendues des départements de Cordoba et d’Antioquia seraient les principaux centres de réception de près de 13 000 paramilitaires se préparant à la démobilisation. On chercherait à ce que ces zones coïncident avec les régions où se déploient les projets productifs destinés à la réinsertion sociale des paramilitaires, projets qui reçoivent l’appui de gouvernements étrangers, dont le gouvernement américain. Ainsi il semble que la région de l’Uraba antioqueno, aujourd’hui sous le contrôle des AUC, se convertira d’abord en une aire de concentration de troupes, puis postérieurement en un pôle de développement du projet agro-industriel de Palme africaine. De plus, l’Uraba est une région clé en termes stratégiques de sécurité et de marché, puisqu’elle donne l’accès à la fois à la région du Magdalena medio, région d’exploitation minière et pétrolière, ainsi qu’aux régions de l’Uraba chocoano et antioqueño, régions d’élevage bovin intensif et de production bananière. De plus, l’Uraba chocoano donne l’accès à la fois sur l’Atlantique et sur le Pacifique, ce qui en fait une région privilégiée pour l’exportation.

 

Le 18 juillet 2003, soit trois jours après la signature des accords qui permettront la légalisation des paramilitaires, un second article du journal El Tiempo informe que la Palme africaine sera le projet agro-industriel de réinsertion sociale pour les démobilisés. Dans l’article on peut lire ce qui suit : « (…) et dans quelques terres de la région de la rivière Jiguamiando, racontent certains, il y a déjà prolifération de cultures de Palme africaine, inclues pour les paramilitaires qui dialoguent avec le gouvernement, dans les plans de l’économie qui seront mis de l’avant une fois la démobilisation achevée. Des parcelles de terres acquises de manière illégale au milieu de la guerre font partie des méga-projets (…) et il assure (se référant aux affirmations du chef paramilitaire surnommée ‘Rodrigo’) que ces projets de palme africaine dans le sud de l’axe bananier de l’Uraba ‘’sont tachés de sang, de misère et corruption. La façon par laquelle ont été acquises les terres, et l’argent qu’on dit être prêtée par des entités de promotion du développement agro-industriel, font partie d’une chaîne de lavage d’argent du narcotrafic, de prête-nom, de déplacements forcés, de mort et de violence’’ dénonce le chef para. »

 

Déjà en 2001, la Defensoria del Pueblo faisait connaître une page de présentation de l’entreprise URAPALMA sur le projet de Palme africaine à Bajira et dans le Bajo Atrato, dans le Choco, utilisée par cette entreprise pour faire la promotion de son projet. Sur ce document apparaît « Avec l’appui de l’Ambassade du Canada », mais suite à des demandes de vérification et d’explication faites à l’ambassade il semble que cet appui fut retiré ; le nom de l’ambassade n’est plus réapparu depuis. La même année, des communautés ont dénoncé l’existence d’un ensemencement de Palme dans le village de Brisas de la municipalité de Bajira sur les limites de la rivière Jiguamiando. Sur cet emplacement, on a observé la construction d’une usine de traitement de l’huile de palme, protégée par des militaires de la Brigade XVII de l’Armée Nationale et par des paramilitaires qui ont encore aujourd’hui leur base à Brisas. C’est d’ailleurs en 2001 que les communautés du Jiguamiando, retournées sur leur territoire ancestral depuis janvier 2000 après avoir été victimes d’un premier déplacement forcé en 1997, furent de nouveau victimes d’une vague d’incursions paramilitaires dans tous les villages de la rivière Jiguamiando. Les paramilitaires ordonnaient aux gens de quitter les villages proclamant que ce territoire leur appartenait. Les communautés du Jiguamiando firent alors un déplacement forcé interne ; ils refusèrent cette fois d’abandonner le territoire comme ce fut le cas en 1997, ils ne firent que traverser la rivière et reconstruire leurs villages sur l’autre rive, où ils vivent actuellement.

 

 

En juin 2001, des membres de la Brigade XVII lors d’une opération militaire dans laquelle participaient également des civils armés de la stratégie paramilitaire, sont entrés dans les communautés du Cacarica, situé dans l’Uraba chocoano. Ils ont proposé aux communautés de se disperser proclamant que le fait de vivre en communauté engendre la misère, et ils insistèrent sur le fait que les gens devraient semer de la Palme africaine et de la coca, que cela amènerait le progrès et l’argent.

 

En 2002, la Defensoria del Pueblo avait publié un document intitulé « Exploitation Forestière et Droits-Humains dans le Bas-Atrato - Choco » dans lequel l’institution gouvernementale fait connaître sa préoccupation pour la présence de plantations de palme africaine sur les territoires collectifs des communautés sans que celles-ci n’aient été consultées. Le rapport mentionne l’existence d’un projet de l’entreprise Urapalma S.A. dans la région du Bas-Atrato, dont l’objectif serait l’ensemencement de 20 000 hectares de Palme dans les départements de Choco et d’Antioquia. Le coût estimé est de 4 500 000 pesos par hectare (2000$ CAD.) pour les deux premières années. Dans une étape ultérieure, est prévue la mise en place d’une usine extractrice dans la zone qui permettrait la production de 35 000 tonnes d’huile crue en cinq ans. Le projet a obtenu de la part de la Banque Agraire à travers son Programa de Oferta Oferta Agropecuaria - PROAGRO, un crédit allant jusqu’à 80% des coûts directs de l’opération dans son étape improductive, appuyé par le Fondo Agropecuario de Garantias - FAG. D’autre part, le projet bénéficie aussi de l’Incentivo de Capitalizacion Rural 8211 - ICR , avec un crédit de 12 ans comptant 4 ans de grâce, pour une valeur totale de 2476 millions de pesos (1 million de $ CAD.). L’État co-finance donc le projet de Palme africaine implanté illégalement sur les Territoires collectifs de communautés noires reconnus par la loi 70.

 

Également en 2002, des membres de la communauté de Camelia du bassin de Curvarado ayant été victimes de déplacement forcé et vivant actuellement sur la rivière Jiguamiando, ont observé que leurs parcelles de terres (situées dans le bassin de Curvarado) étaient ensemencées avec des palmiers qui arrivaient déjà à 2 mètres de hauteur et ils observèrent 2 panneaux aux alentours de la plantation sur lesquels ils pouvaient lire « Ejercito Nacional Brigada XVII ».

 

En 2003 les communautés du Jiguamiando furent sans cesse l’objet de la persécution des groupes paramilitaires qui firent des incursions dans les villages avec leur nouveau discours selon lequel ils apportent progrès et travail dans la région, insistant pour que les gens des communautés aillent travailler dans les plantations de Palme. Étant donné que les communautés résistent à cette stratégie de contrôle social, s’opposent à la Palme et réclament leur droit à vivre librement de l’agriculture de subsistance traditionnelle, ils se font injustement accuser par les paramilitaires d’être des alliés de la guérilla.

 

En réalité, il est clair que la perspective des grands propriétaires terriens, éleveurs bovins et investisseurs dans le domaine de l’agro-industrie est d’utiliser le Plan Colombie afin de perpétuer un système historique de domination de la terre, de l’économie rurale et des paysans. Le « développement alternatif » proposé par le Plan Colombie n’est en réalité rien d’autre que le modèle « malais » (de Malaisie) du docteur Carlos Murgas Guerrero, entrepreneur de l’industrie de palme africaine, ex-ministre de l’Agriculture et conseiller de l’ex-Président Pastrana. Ce modèle est appuyé par les dénommées « Alliances Stratégiques » que sont Fedepalma, Augura et Fedegan, qui sont sous sa direction. Ils ont créé à cette fin la Promotora de Siembra de Palma de Aceite - Propalma S.A., dans laquelle participent 43 entrepreneurs du secteur, ainsi que Proexport et Coinvertir. Pour les grands propriétaires terriens, il importe peu que le prix de l’huile de palme chute sur le marché international, parce que ce qui les intéressent est la valorisation des terres appropriées dont la valeur augmente suite à l’exploitation pétrolière et minière, ou suite à la mise en place de méga-projets.

 

 

Mais quels sont les débouchés économiques réels de la Palme africaine ? L’huile de Palme lorsqu’utilisée comme biodiesel peut remplacer le combustible diésel : l’huile de Palme est considérée comme « l’or vert ». Il y a déjà des moteurs qui fonctionnent avec de l’huile de Palme crue. Mercedes Benz, par exemple, possède des autos qui peuvent fonctionner avec de l’huile de Palme directement extraite de la plante sans aucune transformation. Cependant, la production de l’huile de Palme pour le biodiésel coûte 30% plus cher que le pétrole. Bien que le pétrole soit une ressource non-renouvelable qui se fait de plus en plus rare, il est difficile d’imaginer que ce soit uniquement en prévision du manque de pétrole que l’on implante tous ces méga-projets de Palme en Asie et en Amérique latine. L’huile de Palme a beaucoup d’autres débouchés commerciaux. Par exemple, les malais croient pouvoir produire d’ici un ou deux ans un plastique provenant de l’huile de palme qui serait biodégradable. La montée de la prise de conscience environnementale chez les populations occidentales fait que tous les produits « bio » qu’ils soient biologiques ou biodégradables sont en augmentation constante de popularité et donc très « profitables »…

Actuellement, l’huile de Palme est la deuxième huile la plus consommée dans le monde : elle est utilisée comme huile de cuisine ainsi que dans l’élaboration de produits tels que le pain, les gâteaux, les sucreries, la crème glacée, les soupes instantanées, les sauces, les plats congelés et déshydratés, le lait en poudre, la margarine, etc. Par ailleurs, l’utilisation de l’huile de Palme dans les produits non comestibles est également très variée. Elle sert de matière première dans la confection de savons et détergents, dans l’élaboration de graisses lubrifiantes pour les pièces de machinerie lourde, ou destinées à la production de peintures et vernis. On utilise aussi l’huile de Palme dans la fabrication de produits cosmétiques et pharmaceutiques, ainsi que dans la fabrication de détergents biodégradables. Enfin la palme est une ressource de haut potentiel pour la production animale en milieu tropical. Depuis 7 ans, on a développé des systèmes d’alimentation animale basés sur la Palme africaine, qui utilise les produits résiduels suite à l’extraction de l’huile, ainsi que l’huile crue et le fruit entier. On est ainsi arrivé a substituer complètement le régime alimentaire de porcs à base de céréales, par un régime à base des produits de la Palme.

 

Enfin, les plantations de Palme africaine ont un effet dévastateur sur l’environnement. Les sols où l,on a planté de la Palme africaine deviennent par la suite totalement infertiles pour plusieurs années, puisque celle-ci vide la terre de tous ces matériaux riches en détruisant l’humus du sol. Le département du Choco en Colombie est composé de forêt tropicale humide et c’est l’endroit où l’on retrouve la plus grande concentration de biodiversité au mètre carré dans le monde, encore plus que dans la forêts amazonienne. Pourtant l’état colombien en complicité avec des compagnies multinationales meurtrières n’hésite pas à massacrer des milliers d’hectares de cette forêt pour y implanter son projet agro-industriel de Palme africaine, en plus de massacrer, terroriser et déplacer les populations qui y vivent.

 

Ainsi, le projet agro-industriel de la Palme africaine, qui sera destiné à l’insertion des paramilitaires démobilisés, se dit également la proposition nationale d’intégration entre les responsables des crimes et leurs victimes. Ce modèle de réconciliation forcée fait planer l’hypothèse d’une stratégie de contrôle social et de vente forcée de terres. Il semble qu’au nom du Profit on soit prêt à oublier la nécessité de Justice, et qu’en plus de faire la promotion de la loi du pardon et de l’oubli, on fasse la promotion d’un développement économique taché de sang et de misère.

Auteur.trice
PASC