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11/11/2011

La population d'Arboleda et de San Lorenzo (département de Nariño) en ont assez des agressions et du manque de consultation publique concernant l'exploration minière dans ses communautés et rejette la présence de la minière multinationale Mazamorras Gold. 

 

Le lundi 10 octobre 2011, les habitants d'Arboleda et de San Lorenzo, des municipalités situées dans le nord de Nariño, ont mis le feu à deux camps de la mine Mazamorras Gold, une filiale de l'entreprise canadienne Gran Colombia Gold. Le jeudi 6 octobre précédent, des travailleurs de l'entreprise étaient arrivés au terrain de football de la commune de Bolívar (sous la juridiction de Santa Marta, San Lorenzo). Réagissant à cet acte, la communauté s'est réunie pour manifester son désaccord envers les travailleurs et les inviter à se retirer. Le samedi 8 octobre suivant, les travailleurs sont revenus pour une troisième fois et, selon le Comité permanent pour la défense des droits humains à Nariño, ont attaqué la communauté, blessant une femme et sa petite fille.

 

À la suite de ces agressions, les représentants de Mazamorras Gold ont estimé avoir perdu 1,3 million de dollars en dommages causés par la communauté, dont la destruction de tous les échantillons prélevés durant la phase d'exploration minière, laquelle représente une année de travail. Jusqu'à présent, l'entreprise a investi 3,8 millions de dollars dans la phase d'exploration, en plus des 4 millions de dollars investis pour l’acquisition totale du projet — qui comprend 4 concessions — en septembre 2010.

 

Selon l'entreprise, l'incendie, en plus d’être illégal, a été prémédité et perpétré par des personnes encapuchonnées qui portaient des massues, des bâtons et des bidons d'essence. La communauté, pour sa part, maintient qu’il a été le point culminant des provocations et des agressions subies, que l’incendie n’était pas planifié et que les bâtons sont plutôt des baguettes de paix servant à maintenir l’autorité. Enfin, ils réitèrent que l'entreprise Mazamorras Gold — laquelle effectue un programme de forage à Arboleda et San Lorenzo depuis janvier dernier grâce à un permis d'exploration accordé en 1998 — doit s'en aller de la région.

 

Campement de Mazamorras Gold (Vereda Olaya, municipalité de Arboleda,  départment Nariño) brulé le 10 octobre 2011

Les faits            

 

Le 9 octobre, aux petites heures du matin, des travailleurs de l'entreprise se sont rendus à un terrain communautaire de la commune Bolívar pour y effectuer un nettoyage faisant partie de la campagne de travail social de l'entreprise. L’entreprise avait passé presque deux mois sans réaliser de travaux de forage, bien que tout au long de l'année elle ait construit 21 plateformes de forage, à des profondeurs allant de 400 à 800 mètres, dans les communes de La Monja et d’El Volador (municipalité de Arboleda) et de Bolívar (municipalité de San Lorenzo). En ce moment, l'entreprise termine la lecture des résultats finaux des études avant d'annoncer ses plans. Pendant que les radios locales de la région dénoncent les dommages graves et irréparables causés par l’entreprise, les communiqués internationaux de l'entreprise assurent que les attaques faites par des envahisseurs inconnus ne porteront nullement atteinte à sa réputation ni à ses futurs projets.

 

Les membres de la communauté, qui exigent depuis plusieurs mois de l'entreprise qu'elle parte de la région à grand renfort de réunions, forums, marches pacifiques et d’une audience devant les autorités territoriales du conseil municipal, ont empêché que l’équipe de miniers réalise le travail de nettoyage du terrain de Bolívar, et ce, tout en continuant d’exiger le départ de l’entreprise. Nestor Cubides, chef de la sécurité de Mazamorras Gold et capitaine retraité de l’armée, a toutefois exigé que les travailleurs poursuivent leur travail, ignorant les demandes de la communauté. Un habitant a crié: «Ceux qui ne veulent pas appuyer la communauté, qu’ils aillent à la mine et qu’ils y restent. Qu’ils ne reviennent pas au village.» Un travailleur de l’entreprise minière a donc frappé au visage l’homme qui avait crié et, quand sa nièce et sa fille ont protesté contre cette démonstration de violence, elles ont aussi été frappées. L’entreprise Mazamorras Gold a fait savoir qu’aucun employé ou travailleur de l’entreprise n’a été blessé dans cet épisode.

 

Les habitants affirment que ce ne sont pas les premiers actes d’agression contre ceux qui se déclarent en désaccord avec la mine et assurent que les moulins et les champs de canne à sucre de l’un des membres les plus actifs de la communauté, qui s’est prononcé contre la minière, ont été brulés. Ces habitants ont aussi ajouté que d’autres membres de la communauté ont reçu des menaces de mort.

 

Selon des membres de la communauté qui étaient présents lors de la confrontation, il a d’abord été décidé de camper sur le terrain pour protester contre les agressions, mais il a ensuite été convenu qu’ils seraient plus visibles sur l’autoroute. Finalement, les manifestants ont marché jusqu’aux campements de Mazamorras Gold, situés dans la commune d’Olaya de la municipalité d’Arboleda, et les ont occupés.

 

Le jour suivant, le 10 octobre, un regroupement de 30 personnes protestant sur le terrain de Bolívar s’est terminé en une manifestation de près de 800 personnes, qui ont occupé pacifiquement les campements de l’entreprise. La protestation a réuni non seulement des habitants de San Lorenzo et d’Arboleda, mais aussi des sympathisants de municipalités voisines comme Leiva, El Rosario, La Union, Génova, San José et Taminango.

 

Les manifestants ont exprimé leur désaccord envers l’exploitation minière à grande échelle dans la région et ont clairement exigé de l’entreprise qu’elle se retire de la zone. À trois heures de l’après-midi, la communauté a mis le feu aux deux campements de la compagnie. Selon certains témoignages, ils ont laissé la chance à des travailleurs d’emporter avec eux des objets de valeur, comme les ordinateurs. Selon d’autres versions, les membres de la communauté et quelques étrangers, de même que des travailleurs de la compagnie, en ont profité pour piller les lieux.

 

La négotiation         

 

Une demi-heure plus tard, la commission de médiation que la communauté avait exigée est arrivée sur les lieux. Les manifestants et l’entreprise — représentée par l’ingénieur Edgar Salazar — ont entamé une négociation dirigée par la Commission interinstitutionnelle de médiation et garants, rendue conforme par le Conseiller de paix du département de Nariño, Zavier Hernandez, par des représentants du sous-secrétaire des mines de Nariño, le Bureau de l’ombudsman et les autorités municipales d’Arboleda et de San Lorenzo, accompagnés du commandant des opérations de la police nationale du département de Nariño.

 

Durant la négociation, la police antiémeute se tenait prête à intervenir près du centre urbain de Berruecos-Arboleda. La communauté a demandé que l’entreprise cesse de travailler pendant un mois afin de permettre la tenue d’un forum minier, convoqué par le gouvernement de Nariño. Malgré que le représentant de l’entreprise soit réfractaire à toute discussion, la communauté a demandé une réponse immédiate à ses demandes: «Nous n’avons pas dormi ni mangé, nous avons des familles et nous avons besoin d’une réponse immédiate. Vous pouvez retourner à votre hôtel confortable, mais ceci est notre vie, notre futur.» Ils ont indiqué que si la minière restait dans la zone, la communauté entreprendrait des actions plus majeures jusqu’à ce qu’elle parte. Vers la fin des négociations, un groupe de travailleurs de la mine armés de machettes et de bâtons, visiblement ivres et furieux, ont approché les membres de la communauté pour les intimider, mais ont été retenus par la police nationale.

 

À huit heures, Edgar Salazar a promis de cesser les opérations de la mine pendant un mois pour permettre la tenue du forum. Cependant, le lendemain matin, il a personnellement appelé le conseiller de la paix du gouvernement d’Antioquia pour expliquer qu’il s’était réuni avec la vice-présidence de Colombie et que l’entreprise Mazamorras Gold n’a pas assisté à la signature de l’accord, qu’elle considère comme une imposition étant donné l’acte qu’elle qualifie d’illégal de la part de la communauté. L’entreprise compte donc dénoncer les coupables en justice.

 

Selon des sources de la communauté, l’entreprise s’est réunie avec ses travailleurs quelques jours après les demandes, les assurant que les opérations reprendraient leurs cours dans une semaine. L’entreprise les a aussi informés que des procédures légales étaient en cours pour s’assurer de pouvoir occuper les champs, que la sécurité serait renforcée et qu’elle demanderait un bataillon de l’armée nationale pour défendre la zone. 

 

 

L'entreprise minière

 

Mazamorras Gold est l’un des six projets colombiens de Gran Colombia Gold, une entreprise canadienne qui détient 43 000 hectares de concessions en Colombie, en plus de projets débutés au Mali et au Venezuela. Selon l’entreprise, le projet Mazamorras occupe 5993 hectares là où convergent deux cordillères des Andes colombiennes, dans le nord de Nariño, et présente un grand potentiel de tonnage brut d’or et de cuivre dans des mines à ciel ouvert. L’entreprise a informé ses investisseurs qu’elle détient tous les permis nécessaires pour perforer depuis le début de l’année, incluant les concessions d’eau qui proviennent de fontaines publiques.

 

En janvier, Mazamorras Gold a commencé une campagne de forage de 30 000 mètres dont elle a attribué le contrat à Lowell Mineral Exploration et, par la suite, à Kluane Drilling Ltd. L'entreprise a fait part de ses résultats, soit de 2,35 grammes d'or par tonne en moyenne dans les échantillons en janvier. Selon l'ingénieur Edgar Quintero de Mazamorras Gold, l'exploitation d'une mine d'or à ciel ouvert est possible si la concentration d'or par tonne est d'au moins 1,5 gramme. Il faut remuer 20 tonnes de roche pour extraire une once (plus ou moins 30 grammes) d'or.

 

Selon William Scher et Alberto Acosta, bien que comparativement aux anciennes mines il s'agit d'une concentration extrêmement petite, il reste que les sites de haute concentration en minerai s’épuisent. Cependant, les prix élevés sur le marché mondial permettent une exploitation minière encore rentable dans les gisements où le minerai se fait rare. Pour faire produire ces gisements, il est nécessaire d'appliquer une exploitation minière industrielle à grande échelle, avec un usage massif de produits toxiques, une consommation abondante d'eau et l'accumulation de grandes quantités de déchets — le tout impliquant une extraction massive — et en temps plus court — de ressources qui se sont formées au cours d'un processus étendu sur une très longue période.

 

San Lorenzo et Arboleda
 

Les plateformes de forage diamantine de l'entreprise sont situées à San Lorenzo et à Arboleda, des municipalités séparées par la faille Mazamorras, d'où l'entreprise tient son nom. Arboleda, fondée en 1859, est la commune la plus ancienne de Nariño, en plus d'avoir été classée monument national et réserve archéologique nationale en 1971 en raison de son contexte historique. Arboleda a été un passage obligé des caravanes qui traversaient du sud au nord aux époques de la conquête, de la colonie et de la libération; sur ce territoire sont passés des personnages de l'histoire nationale comme Antonio Nariño, Simon Bolívar, Antonio José de Sucre et Julio Arboleda Pombo, qui mourut dans la commune d'Olaya où l'entreprise Mazamorras Gold a construit ses campements.

 

Selon l’article 35, littéral c du Code minier de Colombie, il faut un permis de l’autorité compétente pour réaliser des projets sur de tels monuments et réserves nationaux. La communauté a sollicité de l’information à la Direction du patrimoine du ministère de la Culture et de l’Institut national de l’Architecture et de l’Histoire, mais elle n’a pas reçu de réponse. Selon  Earthworks , plus d’un quart des mines actives et des sites d’exploration à l’échelle monde sont à dix kilomètres ou se superposent à des parcs, des réserves et d’autres aires strictement protégées.
 

La montagne de Santa Teresa, proche de la Vereda de El Volador, municipalité de Arboledao ou , selon la légende locale, des poules et poussins d'or sont apparus.

 

Le nom initial de la municipalité d’Arboleda était Berruecos, qui signifie «lieu plein de roches», mais en 1914 le nom a été changé pour celui d’Arboleda par le général Julio Arboleda, assassiné dans la localité en 1861. Les légendes d’une richesse d’or ont été alimentées par les maires — dont des histoires de poules d’or, même d’épis de maïs d’or sur la colline de Santa Teresa, une commune à côté d’El Volador — et, bien que les Espagnols aient exploité de l’or à l’époque de la colonie, l’exploitation minière ne s’est pas poursuivie dans la région. Selon quelques habitants, la fertilité des terres de San Lorenzo et d’Arboleda a contribué à en faire une région cafetière; les gens ne pensent pas à l’industrie minière parce que l’agriculture est rentable.

 

L'entreprise dans la région  

 

 

Au début de l’année, Mazamorras Gold a demandé un permis aux propriétaires des terres rurales où seraient construites les plateformes d’extraction et, bien que la communauté se plaint aujourd’hui que l’information donnée a été fort peu exhaustive, la majorité des propriétaires a donné la permission. «L’entreprise est arrivée et a commencé à faire des trous dans nos terres sans nous consulter au préalable ni nous expliquer en tant que communauté», a dit une habitante d’Arboleda. Les gens de la région ont commencé à se réunir, en particulier dans les écoles agroenvironnementales rurales du Comité d’Intégration du massif colombien (CIMA), pour parler du sujet et se conscientiser aux effets de l’exploitation minière. La majorité des habitants des communes ont décidé qu’ils ne voulaient pas de l’entreprise minière, selon plusieurs membres des écoles agroenvironnementales. L’entreprise a rencontré le groupe de gens, mais surtout en réponse aux réunions de la population qui ne veulent pas de la minière, et n’a fait que parler des avantages et de la période d’exploitation. «Ils ne nous ont pas dit ce qui viendrait après, soit l’exploitation», a dit une femme de la commune d’El Volador.

 

L’entreprise affirme qu’elle génère plus de 200 emplois directs dans le secteur, alors que d’autres dans la communauté disent que les emplois sont temporaires: des contrats de quelques mois sans garantie de stabilité. Arboleda a une population de 8400 habitants et San Lorenzo, de presque 20 000 habitants. «La mine ne nous apporte pas de développement, comme le dit l’entreprise», a indiqué un membre de la communauté. «S’il y a peu d’activité économique indépendante de la mine, s’ils nous privent de la terre que nous ensemençons, le niveau de dépendance envers la mine ne génèrera pas de stabilité économique à grande échelle. En plus, nous savons que la majorité des emplois créés le sont durant la phase d’exploration, très courte, alors que durant la phase d’exploitation, les emplois sont réduits et spécialisés. Les minéraux s’épuiseront éventuellement, les emplois se termineront et nous nous retrouverons avec un désert de terre stérile.» Selon Droits en action, la durée de vie d’une mine est environ de 10 à 15 ans.

 

Conflit social      

 

Depuis qu’est arrivée Mazamorras Gold, l’entreprise a payé entre 20 000 et 30 000 pesos quotidiens aux travailleurs, selon quelques-uns d’entre eux. Le salaire pour une journée de travail à cultiver le café se situe entre 7000 et 12 000 pesos. L’offre de l’entreprise a ainsi été bien reçue par plusieurs, en particulier par les jeunes. L’entreprise a offert un travail à des gens clés du secteur, les leaders des écoles agroenvironnementales rurales par exemple, et les personnes les plus opposées aux mines, bien que plusieurs aient refusé l’offre. La radio locale convoque régulièrement la population à appuyer la mine et ses travailleurs. En plus, l’entreprise de sécurité qui surveille la mine a mis une vigile autour des antennes de la radio communautaire.

 

Depuis la marche et la tenue d’un conseil municipal ouvertement contre l’exploitation minière à Arboleda, le 20 août, au cours duquel plus de 200 membres de la communauté ont exprimé leur volonté au travers d’une consultation populaire, les autorités dirigées par le maire et des représentants — comme des membres du conseil municipal d’Arboleda — ont donné tout leur appui et se sont engagés à appuyer l’agriculture et, par ricochet, à s’élever contre l’activité minière. Jusqu’à maintenant, ils n’ont rien fait, dit une habitante de la commune de Santa Teresa, si ce n’est que la mairie, en juin, a demandé des renforts policiers à Arboleda, et qu’en septembre elle a envoyé un communiqué au gouvernement national sur la décision de la communauté. Cette dernière traverse d’ailleurs une période de tensions sociales, attribuables aux débats entre les candidats pour les élections municipales prévues le 30 octobre. Presque aucun des candidats d’Arboleda ni de San Lorenzo ne parle ouvertement de l’industrie minière.

 

Des jours plus tard, une marche en faveur de la mine a eu lieu. Selon des sources à Arboleda, l’entreprise a parrainé la marche en achetant des chemises, en payant des transports, de la nourriture et en exigeant que chaque travailleur de la mine y assiste et amène quatre autres personnes à la marche. 

 

La majorité des travailleurs de la mine viennent d’Arboleda, quelques-uns de San Lorenzo et plusieurs d’autres municipalités. Devant la polémique soulevée par la mine, les travailleurs sont par conséquent devenus de fervents partisans de l’entreprise. Ils disent qu’ils ont des familles eux aussi, qu’ils ont besoin de travailler et qu’ils n’ont pas d’autre choix. Mais d’autres gens du secteur ont rapidement remarqué l’augmentation de la consommation d’alcool et des fêtes dans les discothèques et les salles de billard, et jusqu’à une augmentation de la prostitution en raison des mineurs. La communauté a donc demandé aux représentants qu’ils imposent un couvre-feu à 11h du soir pour les discothèques et les billards, en raisons des troubles qu’ils apportent.

 

Menaces aux membres de la communauté et effets des contestations

 

La division sociale qui en a résulté est grave. «Avant l’arrivée de Mazamorras, nous vivions en paix. Il n’y avait pas de problèmes, la population n’était pas menacée comme elle l’est maintenant», a dit un homme âgé d’Arboleda.

 

Le Comité d’intégration du massif colombien (CIMA) a dénoncé publiquement, dans un communiqué du 12 octobre, que les «travailleurs de la mine se sont convertis en un groupe qui menace, intimide et agresse physiquement et verbalement les habitants des municipalités, créant un état de peur et de crise psychologique constant, de même qu’un changement radical de la vie communautaire et de la convivialité pacifique traditionnelle, rompant de ce fait le tissu social et familial».

 

Mazamorras Gold a embauché une entreprise de sécurité, Coservipp Ltd., qui emploie 60 jeunes de la région ayant déjà accompli leur service militaire et auxquels elle a remis des armes. Beaucoup de gens des communes se plaignent désormais qu’ils voient des personnes patrouiller la zone dans de belles voitures, vêtues de noir et souvent encapuchonnées, menaçant les membres de la communauté, en particulier les personnes les plus ouvertement opposées à la mine. «Cela ne se voyait pas avant l’arrivée de Mazamorras, a dit un habitant de San Lorenzo. Santa Marta (dans la commune de San Lorenzo) était tranquille, il n’y avait pas de police, nous nous gouvernons nous-mêmes, nous travaillons de façon communautaire, et nous nous soignons.»

 

Depuis le mois de juin, quelques personnes de la communauté ont indiqué avoir reçu des menaces de mort téléphoniques. Elles affirment aussi que des personnes à moto passent souvent et qu’elles donnent des messages semblables. Selon quelques travailleurs de la mine, les ingénieurs de l’entreprise menacent régulièrement les leaders communautaires. Aussi, alors que presque 100 habitants d’Arboleda et de San Lorenzo étaient au Congrès des Terres, Territoires et Souverainetés à Cali au début d’octobre, un supposé ingénieur a fait des commentaires méprisants sur eux.

 

En juin, un travailleur de la mine qui s’était retiré pour des raisons floues a été assassiné dans des circonstances qui n’ont toujours pas été éclaircies et que les autorités locales n’ont pas tenté d’éclaircir. En août, une camionnette de la mine a été incendiée, ce que l’entreprise a expliqué comme étant un accident, alors que les voisins du secteur croient que l’incendie a été provoqué par des gens qui protestaient contre la présence de la compagnie minière

 

Le jour suivant l’incendie des campements, le Diario del Sur a publié un article mettant de l’avant que l’entreprise avait tiré sur la communauté avec des armes à feu, blessant sept personnes. «La fausse information ne fait qu’empirer la situation, la rendant plus dangereuse pour tous», ont dit des gens d’Arboleda. Un membre de la communauté qui fait partie du groupe de sécurité de l’entreprise a commenté après avoir lu l’article: «Hier j’ai retiré et gardé toutes les armes pour éviter les problèmes. L’article est un mensonge.»

 

Maintenant l’entreprise parle de procédures judiciaires, assurant qu’elle trouvera et emprisonnera les coupables de l’incendie des campements. Les fonctionnaires du gouvernement de Nariño et les représentants d’Arboleda et de San Lorenzo affirment la même chose. Mais personne ne parle de poursuivre ni de trouver les coupables qui ont incendié les champs et les cultures de canne à sucre des habitants de Santa Marta il y a quelques mois.

 

Problèmes environnementaux  

En plus des problèmes sociaux que traverse la région depuis l’arrivée de Mazamorras Gold, la communauté a dénoncé plusieurs irrégularités environnementales.

Appareil de forage de la société Gold Mazamorras dans le village de Santa Marta, municipalité de San Lorenzo.
Les propriétaires de la terre ont essayé de semer des haricots et du café, mais le terrain a perdu en fertilité.

 

Alors que le travail de forage se fait durant plusieurs mois 24 heures par jour (suivant une rotation toutes les 12 heures), le niveau de bruit et de lumière produit par les plateformes interrompt les activités normales des voisins, incluant celles de l’école de la commune d’El Volador, qui a dû reporter des cours pour plusieurs jours. L’entreprise a offert de la peinture pour l’école à la communauté afin de calmer les plaintes.

 

Sur le site de la plate-forme d'El Volador, dans la municipalité d'Arboleda. La compagnie Mazamorras Gold a replanté des arbres depuis des mois mais peu ont poussés.

 

Dans les lieux où se font les forages, il y a eu des coupes d’arbres, de pâturages et de cultures. Des mois plus tard, la piètre densité du sol se fait sentir sur des superficies aussi grandes qu’un rayon de 30 mètres autour des forages. La végétation ne pousse plus. L’entreprise a tenté de réaliser un projet de reboisement, semant à quelques endroits des pâturages qui n’ont pas bien poussé. Quelques propriétaires dans le comté de Santa Marta ont décidé qu’ils ne donneraient pas la permission à l’entreprise d’exploiter leurs terres et ont planté du café et des haricots dans la zone où se fait le forage; mais les haricots n’ont pas bien poussé et le café se développe très lentement. Selon une lettre que la communauté a envoyée au Ministère des mines et de l’énergie, en septembre, et qui exigeait une prise de position du gouvernement national — lettre qui n’a pas toujours reçu de réponse —, on disait qu’un centimètre de sol prend au moins 200 ans à se former et que les nutriments et la qualité du sol sont irrécupérables.

 

La quantité d’eau que l’entreprise utilise pour exécuter les forages est aussi préoccupante pour l’ensemble de la population. L’eau provient de sources communautaires d’usage public et, selon ce qu’a affirmé en mai l’ingénieur du projet d’exploration de Mazamorras, ils utilisent 2500 litres d’eau par seconde pour exploiter un hectare.

Échappement d'eau sous-terraine sur la plateforme du site de San Lorenzo. Les gens de la région pensent  que l'eau vient d'une veine du lac Maruchilla.  

À cette quantité d’eau s’additionne l’eau souterraine qui sort de deux fuites incontrôlables engendrées par les forages. Les habitants locaux croient que les travaux ont empiété sur une branche de la Laguna Maruchilla, une source d’eau située sur une haute montagne de San Lorenzo et qui alimente beaucoup d’habitants de la région. L’entreprise a redirigé les fuites avec un tube de PVC, pour que l’eau tombe dans la faille de Mazamorras plus bas. La communauté est préoccupée par l’odeur de soufre de l’eau qui fuit, et du matériel argileux couleur de brique, semblable à du fer dissous, qui s’échappe aussi du tuyau de PVC.

 

Selon plusieurs sources académiques, l’une des conséquences dévastatrices de l’exploitation minière est le drainage acide dans l’eau, qui a la capacité de provoquer la disparition d’espèces entières. Le drainage se forme quand les minéraux des roches qui ont été déplacées du sous-sol vers la surface et qui contiennent du soufre entrent en contact avec l’atmosphère (eau et air), produisant ainsi son oxydation et formant de l’acide sulfurique et du fer dissous. Dans la nature, les sulfures restent dans le sous-sol en absence d’oxygène et seulement une petite partie de ces dépôts affleure à la surface. Le phénomène du drainage acide peut durer cent ou mille ans, et peut être particulièrement grave quand l’exploitation de la mine se fait dans des zones de naissance d’eau ou de bassins hydrographiques.

 

 

Zone de forage ou des sisal ont été planté. La compagnie a cessé de travailler depuis des mois et rien n'a poussé.  

 

Des membres de la communauté qui vivent près des sites de forage se sont plaints d’une eau décolorée dans les ravins alors que les mineurs travaillent. Souvent, l’eau a une couleur bleutée. Les travailleurs ont expliqué le processus de la mine: «Plusieurs produits chimiques sont utilisés, comme Platinum Pac, Poliplus, Bentonita, Rodis et Roket, qui descendent jusqu’à une profondeur de 700 mètres.

 

À certains endroits, ils ont un contact direct avec le sol, bien que dans d’autres parties ils en soient séparés par un tube de fer. Les composantes organiques comme la Bentonita et autres argiles augmentent la viscosité de l’eau, et Planitum Pac et Rodis sont utilisés pour éviter les éboulements. Aussi, on emploie des combustibles, des huiles, des graisses et des additifs de forage en tant que lubrifiants pour réduire la friction. Tous les déchets sont placés dans des piscines ouvertes avec des plastiques qui les protègent du sol. Si, à un moment, le liquide tombe sur les pâturages, les ingénieurs deviennent très nerveux, et nous devons arrêter les travaux durant une demi-heure pour nettoyer la superficie et prévenir des problèmes dans le cas d’une inspection environnementale.»

 

La communauté ne sait pas si ces produits sont toxiques, mais l’entreprise n’a pas non plus expliqué qu’elles le sont. Il est préoccupant que deux plateformes sont à côté des écoles des communes de Bolívar, dans San Lorenzo, et d’El Volador, à Arboleda, où de jeunes enfants sont présents toute la journée. D’autres plateformes se trouvent à moins de 20 mètres des ravins. Dans la commune d’El Volador, cinq vaches qui buvaient de l’eau près des plateformes ont avorté cette année. L’Institut colombien agricole (ICA) a réalisé une analyse, qui a montré que l’avortement du bétail n’a pas été causé par des maladies naturelles. Quelques-uns disent que la communauté a eu un haut taux de diarrhée cette année, ce qui n’est pas normal pour la région. Pendant que la communauté se préoccupe de la qualité de son eau, les ingénieurs de l’entreprise ont toujours de l’eau embouteillée, a remarqué une habitante d’Arboleda.

 

 

Gran Colombia Gold et l'industrie minière en Colombie  

 

Malgré les troubles à Arboleda et à San Lorenzo, Gran Colombia Gold, une entreprise canadienne qui gère 5 projets avec des entreprises affiliées en Colombie, incluant Mazamorras, voit la Colombie comme un pays assez amical pour l’industrie minière. Elle a assuré à ses investisseurs que la Banque mondiale a classé la Colombie au rang pays le plus sûr d’Amérique latine pour y mener des affaires, la décrivant comme un pays stable qui jouit d’une excellente protection économique pour ses investisseurs d’Amérique latine, selon Forbes.

 

La législation colombienne est extrêmement favorable aux intérêts privés des multinationales de l’exploration, de l’exploitation et de l’exportation minière. «Le gouvernement s’est approprié le sol, le sous-sol et l’air, jusqu’au spectre électromagnétique, et maintenant il peut négocier ces biens de la communauté, mais elles sont la propriété de la nation, pas de l’État», dit un membre de la CIMA.

 

En 2005, le gouvernement d’Alvaro Uribe Vélez a mis en marche le plan «Vision 2019. La Colombie comme pays minier». Selon ce plan, la Colombie devrait être en 2019 parmi les trois premiers pays latinoaméricains avec un Investissement étranger direct (IED) majeur dans le secteur minier. De plus, sur cette feuille de route, on soutient que l’initiative privée est le seul moyen de produire et de donner une impulsion au «développement». Des dizaines d’entreprises minières internationales se sont implantées en Colombie depuis. Entre les années 2002 et 2008, le IED a augmenté de 400 % selon la Banque centrale de Colombie. Selon le journaliste Alfredo Molano Bravo, il y a 20 000 sollicitations de concessions, ce qui représente 20 % du territoire national en plus des 9000 titres miniers déjà accordés.

 

Pour sa part, le département de Nariño est une région relativement inexplorée avec un grand potentiel de ressources. Nariño a été traditionnellement un département à vocation agricole, une activité qui représente 39,5 % du PIB départemental, selon le Plan départemental de développement 2008-2011. Ce plan affirme également que l’agriculture est de subsistance, donc plus de 80 % des propriétés rurales ont moins de 5 hectares, parmi lesquelles 48 % ont moins d’un hectare. Le PIB départemental de l’industrie minière est en moyenne de 2,35 % par année.

 

Malgré que Nariño soit un département à vocation agricole, le Plan national de développement 2010-2014 «Vers une seule Colombie: chemin vers la prospérité démocratique» — un document phare du gouvernement actuel de Juan Manuel Santos — planche sur la planification stratégique régionale d’aires homogènes pour que la nouvelle vocation de Nariño soit l’exploitation minière. Le tout afin d’atteindre la croissance économique, la création d’emploi et la diminution de la pauvreté, entre autres. Nariño est le quatrième département de la nation à priorité minière, après Antioquia, Choco et Cauca.

 

Avant 2002, la seule entreprise minière multinationale dans le département était Gran Colombia Gold, laquelle détenait un permis d’exploration à Arboleda et San Lorenzo. Entre 2002 et 2011, la quantité de concessions dans Nariño a augmenté de 53 à 992 dans 52 des 64 municipalités, selon des documents de Ingeominas, impliquant ainsi une troisième partie du département. Dans les communautés du nord de Nariño, il y a une profonde inquiétude, selon le CIMA, parce que les lieux sollicités et concédés sont d’abord à vocation agricole. Depuis des siècles, ces terres ont permis à des milliers de familles paysannes de subvenir à leurs besoins.

 

Les entreprises plus importantes qui sont présentes dans Nariño sont AngloGold Ashanti, Anglo American Colombia Exploration et les minières canadiennes de Gran Colombia Gold, de même qu’Eco Oro Minerals, auparavant appelée Greystar. Dans plusieurs cas, on peut remarquer que les multinationales présentes sur le territoire réalisent des tâches initiales d'exploration pour identifier les matériaux existants dans les zones concédées. Dans quelques régions, on a soulevé des faits graves, comme la présence de groupes paramilitaires et des violences comme les massacres commis dans la juridiction de Villanueva, une municipalité de Colon Génova, au mois de juin 2011 — une zone exploitée par AngloGold Ashanti.

 

L'entreprise Gran Colombia Gold ne dirige pas seulement le projet Mazamorras à Nariño, mais aussi Zandor Capital à Segovia (Antioquia) — auparavant Frontino Gold Mines —, le projet El Zancudo à Titiribi, et le projet Providencia en Concepcion à Antioquia. La compagnie a aussi acheté à l’entreprise Medoro, en juin dernier, le projet Marmato dans les Caldas, et en août, elle a commencé à chercher du financement pour resituer le centre urbain de la municipalité pour développer une mine à ciel ouvert.

 

Quand le prêtre Restrepo Idarraga, un membre du Comité Civique prodéfense de Marmato, a rejeté publiquement le déplacement de la communauté et s’est rendu avec l'ONU, plusieurs leaders et médias à Bogota pour parler de la situation, il a été assassiné sans que l'identité des coupables n’ait été découverte.

 

Malgré que Gran Colombia Gold affirme qu'elle a comme ligne stratégique de stimuler le développement économique des localités où elle opère et de créer des emplois, en septembre 2011, l'entreprise a envoyé 603 travailleurs (42 % du personnel) de Zandor Capital à Segovia — anciennement Frontino Gold Mines — pour accroître la production et réduire les coûts.

 

Profits de l'entreprise minière

À l’heure actuelle, l'entreprise Gran Colombia Gold produit environ 90 000 onces d'or par an, mais elle espère produire plus de 630 000 onces d'or en 2016. «Cette année, notre but est de devenir le premier producteur d'or en Colombie et d'arriver à extraire 100 000 onces», a indiqué la présidente de la compagnie canadienne Gran Colombia Gold, Maria Consuelo Araujo. Araujo, ex-ministre des Relations étrangères du gouvernement d'Alvaro Uribe, s'est retirée de la chancellerie en 2007 en raison des enquêtes sur son frère et son père en raison de supposés liens de parenté avec le paramilitaire.

 

Gran Colombia Gold cote ses actions en Bourse de valeurs de Toronto (TSX), spécialement pour financer ses projets dans des lieux risqués et là où il y a des conflits ou une forte opposition. La TSX procure la majeure partie des fonds au moyen de «colocations privées», ce qui veut dire: offres de valeurs à un nombre limité de grands investisseurs, principalement ceux qui se disent des «investisseurs internationaux» — banques, fonds mutuels et fonds de pension —, qui se caractérisent par un plus petit niveau de transparence, lequel implique: 1) une large distribution des actions minières dans la population canadienne (on estime que 49 % des Canadiens détiennent des actions dans l'industrie minière) et 2) une difficulté à retracer l'origine des fonds qui se destinent à l'activité minière. Les 52,7 % des capitaux transnationaux investis dans l'industrie minière en Colombie proviennent du Canada, un pays qui compte environ 10 000 mines abandonnées sur son propre territoire.

 

Maintenant, grâce à la législation colombienne, des pays comme le Canada ont les deux pieds dans les réserves minérales de Colombie. Les entreprises jouissent d’une grande protection au moyen de traités internationaux de libre commerce, que protègent les investissements (TBI), lesquels sont utilisés pour imposer des projets miniers quand les communautés affectées font preuve de résistance.

 

Selon des représentants de l’entreprise Gran Colombia Gold, l’incident de l’incendie des campements d’Arboleda met en danger les investissements et la compétitivité du pays. Gran Colombia Gold investit 21 millions de dollars annuellement en exploration dans le pays

 

Forum social

 

Une chose est certaine, peu de choses seront mise au clair à San Lorenzo et Arboleda avant la tenue du forum qu’a convoqué le gouvernement de Nariño au milieu du mois de novembre, auquel seront présents les représentants d’Ingeominas, le ministère des Mines, le ministère de l’Environnement, Corporanino, les mairies du secteur, l’église catholique, plusieurs ONG, Gran Colombia Gold et des membres de la communauté pour débattre de la question minière, analyser les conséquences et proposer des actions.      

 

La ville de Pasto a accueilli, en juillet dernier, le premier Forum départemental de l’eau et des mines, avec la participation de plus de 500 délégués qui ont déclaré «non à l’industrie minière sur nos territoires, aux attentats contre la vie des communautés, les écosystèmes et notre terre spirituelle et ancestrale.»

 

Presque 100 habitants d’Arboleda et de San Lorenzo se sont rendus à Cali pour le Congrès des terres, territoires et souverainetés à la fin du mois de septembre. Ils y ont proposé une grève civique nationale comme stratégie d’unification des communautés — 65 % des territoires en zone andine sera affecté par la locomotive minière, selon des représentants de Nariño.

 

 

 

Publication originale: 22 octobre 2011 |

Traduction:  PASC

 

Auteur.trice
RedHer