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11/04/2025

Le Catatumbo est une région frontalière de la Colombie et du Venezuela, fameuse pour ses éclairs permanents qui illuminent cette partie du nord des Andes. Elle est aussi fameuse pour son histoire de luttes paysannes[1] et de mobilisations. Depuis la grande grève Nord oriental de 1987, les communautés organisées dans leur Comité d’action communautaire (JAC) ont élaboré un plan de vie et des exigences claires afin de préserver leur autonomie, leur modèle agricole, tout en exigeant l’accès à l’éducation, à la santé et aux infrastructures de base.   

Après les grandes grèves paysannes entre 2014 et 2021, et avec l’entrée du gouvernement progressiste, les organisations sociales de la région qui ont soutenu massivement l’élection de Gustavo Petro avec 72 % des votes dans les zones les plus retirées, étaient pleines d’espoir de voir le changement arriver sur leur territoire[2].

Depuis 2023, les organisations sociales et les institutions publiques ont commencé à négocier un accord tantôt appelé Pacte pour la transformation territoriale du Catatumbo, le pacte pour l'amélioration de la qualité de vie dans la région du Catatumbo, aujourd’hui Pacte social pour le Catatumbo. Ce pacte se compose de six axes stratégiques : éducation, santé, infrastructures, économie, aménagement du territoire et paix. Au cœur du projet, on retrouvait la construction d’une université et un vaste plan d'investissement social visant à renforcer les structures communautaires.

En décembre 2024, l'Ascamcat, une organisation paysanne reconnue dans la région, a dénoncé le manquement du gouvernement national : « En décembre 2022, le président de la république @petrogustavo a promis de signer le pacte social pour la transformation du Catatumbo. Nous demandons officiellement : 1) l'inclusion des organisations paysannes, des communautés et du peuple Barí dans le comité de pilotage et le comité technique du pacte territorial pour la transformation du Catatumbo ; 2) une déclaration officielle sur le respect des engagements pris par le président de la République et le directeur de la DNP concernant la participation de ces entités à la gouvernance du pacte ; 3) que la date et le lieu de l'événement pour la signature du pacte territorial soient fixés conformément à l'annonce faite par le président, et se tenir dans une municipalité de la région du Catatumbo.[3]

Cependant, mi-janvier tout a basculé. Une confrontation militaire entre l'ELN et le 33e Front (ex-FARC) a éclaté. Les organisations sociales ont été actives dans l'élaboration d'appels conjoints, rejetant la proclamation par le Président d’un État d’urgence qui lui a permis d’émettre une série de décrets.

Le Pacte a finalement été signé en mars sous État d’urgence et tensions militaires, non pas avec les organisations sociales mais avec les gouvernements locaux, d’extrême droite. Les projets de construction d’infrastructures, routes et ponts seront pris en charge par l’armée elle-même. Petro a nommé en mars, pour la première fois en 35 ans, un militaire actif comme ministre de la défense, argumentant une menace à la sécurité nationale. Les déclarations du président surprennent depuis le début de la crise ; son soutien à la militarisation du territoire, ses déclarations associant les organisations sociales aux guérillas dans une allocution télévisée mi-mars, ne peuvent s’expliquer que si l’on comprend le caractère géostratégique de la région. 

La réélection de Maduro en juillet 2024 au Venezuela et son investiture en janvier 2025 ont mis le progressisme colombien dans l'embarras, révélant sa forte dépendance à l'égard des accords de gouvernance avec les États-Unis. Les intérêts militaires et économiques pour le contrôle des Amériques se reflètent dans les plans de militarisation et de contrôle du Pacifique, l'établissement d'une base militaire sur l'île de Gorgona et la présence permanente du Commandement Sud dans l'Amazonie colombienne ont déjà donné un aperçu de la portée de cette épée de Damoclès de l'impérialisme en Colombie.

Le nouvel échec des tentatives de déstabilisation de la révolution bolivarienne a mis en évidence la nécessité pour les putschistes de reprendre le contrôle de la frontière colombo-vénézuélienne. Depuis le Venezuela, il a été dénoncé que « nous sommes en présence, avant tout, d'un cheval de Troie pour inoculer des paramilitaires au Venezuela »[4].

Ce qui se passe au Catatumbo n'est pas différent des épisodes récurrents dans plusieurs régions du conflit armé colombien. Ce qui est différent, c'est que cela est devenu une nouvelle nationale, une menace à la « sécurité nationale » liée au trafic de drogue, permettant une intervention militaire états-unienne à terme. Le traitement de la crise a provoqué une vague de déplacements qui, bien qu'exagérée par les médias, est plus importante que ce qui se passe habituellement dans ces cas, générant une crise humanitaire massive. Tout le monde parle de 57 000 personnes déplacées, mais aucune institution officielle n’a de sources. Des témoignages de déplacé-es expliquent que, si le conflit est bien réel, le déplacement est la pire des solutions. Les communautés, dont la majorité sont restées au Catatumbo, se sont mobilisées à plusieurs reprises contre la militarisation.

Pendant ce temps, les reformes du droit du travail, de la santé et autres propositions emblématiques du gouvernement ont été bloquées au parlement, laissant les organisations sociales dans une situation inédite et complexe, se mobilisant pour soutenir les reformes d’un gouvernement qui agit dans leur territoire comme le faisait l’extrême droite.

Selon le CISCA, nous venons de perdre une opportunité historique. Nous avons eut un an de cessez-le-feu entre l’État colombien et plusieurs groupe armés. Le prix d’achat de la pâte de coca, matière première nécessaire à la production de cocaïne, était en chute libre. C’était le moment d’agir avec un plan d’investissement qui transforme l’économie de la région, assurant le futur de la paysannerie.    

« Il est nécessaire de revenir sur la voie du dialogue et d'une solution politique au conflit armé. Sinon, le Catatumbo continuera d'être condamné à 100 ans de solitude par le dernier Aureliano Buendía », a conclu Alberto Castilla du CISCA lors d’une des missions sur le terrain organisées par le mouvement social[5].

 

[1] Voir le film co-réalisé par le PASC https://www.youtube.com/watch?v=1aUKBTEpLy8 

[2] https://tierragrata.org/elecciones-presidenciales-2022-asi-votaron-las-zonas-mas-afectadas-por-el-conflicto 

[3] https://x.com/AscamcatOficia/status/1866529235881341396 

[4] https://www.lafm.com.co/colombia/gustavo-petro-arremetio-contra-diputado-venezolano-por-crisis-del-catatumbo 

[5] https://congresodelospueblos.org/alberto-castilla-lider-social-del-cisca/ 

Author
PASC