La Piedra, no 8, été 2011
Depuis un bon moment déjà, l'industrie minière canadienne se vante d'être devenue un leader planétaire dans ce secteur économique fort rentable. Tous les moyens sont bons pour les compagnies exploitants au Canada et à l'étranger afin d'accroître leur part du gâteau. Le peu de considération de ces géants de l'industrie envers les populations affectées est maintenant bien connu. Dans le domaine de l'exploitation pétrolière et gazière, la compagnie canadienne Talisman ne fait pas exception à la règle. Cette édition spéciale de la Piedra en el Zapato n'aurait pas pu être publiée sans qu'on s'attarde quelques instants sur l'empire Talisman et les communautés qui lui résistent.
Talisman et la guerre civile au Soudan Si on retourne au début des années 2000, on peut constater que l'entreprise Talisman Energy était déjà fortement critiquée pour ses activités au Soudan. En plein cœur d'une guerre civile sanglante, la compagnie canadienne aurait pris, semble-t-il, un malin plaisir à profiter de la guerre pour enrichir ses actionnaires. Dans une nouvelle publiée en février 2000, Radio-Canada nous informait que « le rapport d'un envoyé d'Ottawa rendu public lundi révélait que les activités d'exploitation pétrolière de Talisman Energy au Soudan exacerbaient la guerre civile dans le pays. Toujours selon le rapport, l'armée soudanaise s'est même servi d'un petit aéroport privé de Talisman. »[ [http://www.dd-rd.ca/site/media/index.php?id=463&lang=fr&subsection=news ]] À noter que ce rapport avait été concocté pour le ministre des Affaires étrangères de l'époque Lloyd Axworthy. Celui-ci avait alors affirmé qu'il n'avait l'intention ni de forcer Talisman à cesser ses activités au Soudan, ni d'imposer des sanctions à la compagnie. Il incitait plutôt la pétrolière à s'engager dans le respect des droits humains. On constate que le discours n'a pas changé en 10 ans et que les compagnies continuent encore aujourd'hui de faire tout ce qu'elles veulent, où elles veulent, sans se préoccuper des cultures et des peuples qu'elles écrasent sur leur passage. On continue pourtant de nous casser les oreilles avec la responsabilité sociale des entreprises.
Talisman en Amérique du sud Allons-y maintenant avec un petit survol des activités de la compagnie Talisman Energy en Colombie. Bien que trop peu d'informations ne soient accessibles quant aux opérations de la pétrolière, le simple fait qu'elle exploite dans un pays reconnu pour la violation systématique des droits humains peut nous servir de trame de fond sur laquelle bâtir une analyse. Jouissant d'une complicité étroite avec le pouvoir politique et militaire, la compagnie savait très bien ce qu'elle faisait lorsqu'elle décidait en août 2010 d'acquérir une bonne partie des actifs de la BP Exploration Company. Le groupe britannique vendait alors la totalité de sa filiale colombienne à « un consortium constitué à 51% de la compagnie pétrolière colombienne Ecopetrol et à 49% du groupe pétrolier canadien Talisman. » [ [http://www.ecopetrol.com.co/english/contenido_imprimir.aspx?conID=44878&catID=382 ]] Au total, la compagnie Talisman Energy possède des droits d'exploration sur 14 lots en Colombie, dont plusieurs dans la région appelée los llanos. Évidemment, ces fameux lots d'exploration correspondent tous à des zones hautement militarisées où les intérêts privés des compagnies priment sur les droits fondamentaux des communautés. Depuis 1996, les géants du pétrole dont le groupe britannique BP, ci-haut mentionné, font pression sur le gouvernement colombien pour qu'il militarise les zones d'exploration et les corridors pétroliers déjà existants. L'histoire récente nous démontre que cette militarisation s'est concrétisé à travers des stratégies comme le Plan Colombie, la politique de Sécurité démocratique, et bien d'autres mesures répressives. C'est à coup de millions que les dirigeants colombiens tentent de sécuriser les investissements des entreprises comme Talisman Energy. Depuis quelques années, l'entreprise canadienne s'intéresse également au Pérou, pays voisin de la région andine. Non pas pour la richesse des peuples et des cultures, mais plutôt pour la richesse de son sous-sol. Elle s'est vue attribuer le privilège d'explorer 7 lots représentants 8,7 millions d'acres. Sur son site Internet, Talisman affiche sa détermination à poursuivre ses activités en 2011 « avec l'objectif de perforer un autre puits dans la région du Situche norte » [ [http://amazonwatch.org/take-action/pledge-to-support-the-achuar-people ]] Le peuple Achuar est clair dans cette déclaration publique: « Nous demandons que le gouvernement péruvien annule immédiatement les contrats pour les lots 64 et 101 et que Talisman quitte immédiatement notre territoire. » 1 Nous sommes loin, ici, de la responsabilité sociale des entreprises.
Talisman au Québec Après avoir mis en lumière, bien que partiellement, le parcours peu reluisant de notre chère Talisman nationale, devrait-on se réjouir d'apprendre qu'elle veut exploiter les gaz de schiste au Québec ? Une chose est certaine, malgré les beaux discours, l'objectif ultime de la compagnie demeurera toujours la rentabilité et l'expansion des profits. Il s'agit en fait de la raison d'être de ce type d'entreprise. Voici d'ailleurs ce qu'elle affirme avec enthousiasme sur son site Internet: « Les travaux de prospection préliminaires sur le terrain de 770 000 acres de Talisman au Québec sont prometteurs. Nous sommes ravis du potentiel de cette région. »[ [http://www.talisman-energy.com/operations/north_america/quebec/francais.html?disclaimer=1 ]] La compagnie a commencé l'exploration du sous-sol québécois en 2005 dans les basses terres du St-Laurent. Elle prétend posséder 310 000 acres nets de terrains en bordure du fleuve et avoir les droits pour en acquérir 460 000 supplémentaires. Mais vous pouvez dormir sur vos deux oreilles car elle dit effectuer ses travaux en toute sécurité et être socialement responsable. Une catastrophe écologique et sociale comme celle survenue dans le golfe du Mexique ne pourrait certainement pas avoir lieu au Québec semble-t-il. Mais avez-vous pensez aux impacts potentiels si cela se produisait dans la région la plus habitée du Québec que représente les basses terres du St-Laurent ? [Sur les mécanismes et conséquences de l'exploitation des gaza de schiste, voir une animation sur app.owni.fr/gaz et le film : [gaslandthemovie.com ]] Admettons toutefois que l'actualité récente ne manque pas d'aborder de long en large cette question. Regardons plutôt comment les compagnies comme Talisman Energy arrivent à financer leurs activités en pigeant à même les fonds publics. Dans un récent article paru dans Le Devoir du 14 avril 2011, on peut apprendre que nous finançons directement l'industrie: « Déjà, dans le cas du déclenchement de l'évaluation environnementale stratégique (EES) de l'industrie du gaz de schiste, l'industrie — qui compte au moins 55 lobbyistes à son service — a dit qu'elle pourrait exiger des compensations, par exemple la prolongation de la durée de vie des permis d'exploration. Québec paie toute la facture de cette EES, mais aussi les inspections des puits. Une affaire de plusieurs millions de dollars de deniers publics. L'EES servira notamment à recueillir de précieuses informations sur la ressource gazière, informations qui pourront servir à l'industrie en phase de développement. »[ [http://ip-70-38-27-14.static.privatedns.com/economie/actualites-economiques/321058/exploration-et-exploitation-gaziere-et-petroliere-quebec-revise-les-droits-et-permis ]] Après s'être plié aux volontés de l'industrie tout en lui aidant à identifier les gisements potentiels, le gouvernement québécois a fixé le prix annuel à 10¢ l'hectare pour tous les permis d'exploration pétrolière et gazière. À titre de comparaison, la très progressiste province de l'Alberta charge en moyenne 500$ l'hectare. Le parti de Jean Charest semble cependant céder face à la résistance populaire qui s'organise contre l'exploitation du gaz de schiste au Québec. Ainsi peut-on apprendre dans ce même article du Devoir que « le gouvernement libéral entend maintenant revoir le régime actuel. » [Idem]] Cependant, les mesures qu'il prévoit mettre de l'avant demeurent inconnues et il pourrait s'agir fort probablement de poudre aux yeux. Quoi qu'il en soit, les gens s'organisent pour contrer l'exploitation du gaz de schiste au Québec. Plusieurs sources d'analyses et d'informations peuvent être consultées sur le site Internet du Rassemblement québécois des groupes écologistes. De plus, chaque région voit naître des mouvements de contestations qui nous l'espérons pourront freiner l'industrie dans sa quête dévastatrice. 2
Conclusion Cet article ne constitue qu'un survol préliminaire des activités de Talisman Energy car elle opère également en Indonésie, en Malaisie, au Vietnam, en Australie, en Irak, en Algérie, et d'autres régions du globe. Le portrait n'est pas complet, mais il est suffisant pour saisir l'attitude prédatrice adoptée par Talisman Energy ailleurs dans le monde. Face à ce constat révoltant, nul doute que la résistance s'impose contre cette compagnie ici même au Québec. Notre territoire n'est pas à vendre pour une bouchée de pain, pas plus qu'il ne l'était pour le peuple soudanais. Il est primordial de faire ces liens et de ne pas oublier qu'il s'agit d'une lutte globale contre l'appétit féroce de ces compagnies criminelles et profiteuses de guerre. Le combat que mène les communautés en Colombie et au Pérou est aussi le notre. Et comme le disait si bien une activiste argentine pendant le soulèvement populaire de 2001, «¡El otro soy yo!»
Notes
- Idem
- Voir [www.rqge.qc.ca