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07/02/2011

Le président colombien, Juan Manuel Santos, en visite à Paris, a accordé une interview au Figaro, intitulé : «L'Europe doit soutenir la Colombie» vous pouvez consulter l'entrevue originale ici. En réponse aux déclarations du président colombien, l'équipe d'Investig'action a publié une entrevue fictive avec Juan Manuel Santos. Il s'agit d'un entretien imaginaire. Seuls les faits relatés et les chiffres sont réels. L'affaire Ingrid Betancourt a suscité des tensions entre Paris et Bogota. Les relations sont-elles normalisées ? Juan Manuel SANTOS pour INVESTIG'ACTION : Oh, vous savez, cela ne nous intéressait guère cette affaire. Qu'elle soit au fin fond de la jungle n'était pas un problème pour nous. Il faut savoir qu'elle avait mis son nez dans des affaires de corruption qui concernaient quelques collègues, et cela lui avait apporté une certaine popularité. Alors, bon... Elle aurait aussi pu se faire assassiner, comme son ami qui a voulu se présenter aux élections présidentielles en 1990 (1) (2). On a fini par aller la chercher quand même parce que Nicolas Sarkozy est un ami, et cela donnait une mauvaise image toute cette histoire. Il fallait bien rassurer les entreprises françaises, déjà bien présentes chez nous (3). Mais, puisque vous évoquez cette affaire, je voudrais en profiter pour vous remercier, vous les médias français, de vous être focalisés sur cette histoire. Cela a permis de bien stigmatiser les mouvements de résistances, les “terroristes”, plutôt que de parler des véritables victimes qui souffrent de nos politiques de répression ou bien de l'expropriation des terres les plus riches de notre beau pays. Un grand merci ! Que peut faire l'Europe pour mieux lutter contre le narcotrafic ? L'Europe peut faire un tas de choses : réprimer les consommateurs ou bien fouiller dans les paradis fiscaux, mais cela n'empêchera pas certains de mes collègues, comme mon prédécesseur, de s'enrichir grâce au trafic de drogue (4). Et puis, plus il y a de répression ici, plus cela fait monter les prix car nous savons bien que tout un tas de monde ne peut s'en passer au risque de ne plus être « à fond ». Voyez certaines personnalités de la télé ou du showbiz de votre pays. De plus, nos amis des États-Unis y voient un très bon prétexte pour installer leurs bases militaires chez nous et ainsi contrôler ce commerce et accéder à nos immenses ressources naturelles, sans parler de l'importance stratégique que représente notre pays : entre deux océans, porte de l'Amérique du sud et voisin du Vénézuela que Washington aimerait bien récupérer en se débarrassant de Chavez. La Colombie est présentée comme un partenaire privilégié des États-Unis. Pourtant, un important accord militaire avec Washington vient d'être annulé par la Cour constitutionnelle colombienne et vous attendez depuis plusieurs années la conclusion d'un accord de libre-échange… L'accord commerciale n'a pas encore pu être ratifié car ils nous font un chantage aux droits de l'homme. Certains élus U.S. bloquent le processus parce que quelques centaines de syndicalistes ont été assassinés ces dernières années (5). Je ne pense pas que ces congressistes soient complices des organisations proches des terroristes que sont les ONG défendant les droits de l'homme, c'est juste que cela les dérange que cela se sache. Mais l'Union Européenne est moins regardante. Le Traité de Libre Échange va bientôt être conclu avec l'Europe (6). Les USA devraient logiquement suivre. Ils ne peuvent pas rester derrière le vieux continent. Concernant les sept bases militaires installées dans notre pays, sous prétexte, encore une fois, de lutte contre le narcoterrorisme, ce n'était pas légal. Mais en modifiant la constitution, cela devrait s'arranger. Et en fait, les militaires américains ont bien formé nos soldats et certains paramilitaires. Israël nous a aussi bien aidé sur ce point. Maintenant, nous pouvons nous débrouiller seul. Bien sûr, même si l'armée des USA partait, la Maison Blanche continuera à mener notre politique de défense et de répression comme ils le font depuis que les Espagnols sont partis, il y a deux cent ans. Depuis votre investiture en août dernier, il semble que les relations avec Caracas ont connu une embellie inespérée ? En réalité, cela nous a fait mal de nous abaisser devant ce macaque. Mais nous n'avions pas le choix. Le Vénézuela offre de grands débouchés pour nos entreprises. Mais ne vous en faites pas ! A la moindre occasion, si nous pouvons nous débarrasser de Chavez, nous le ferons. Des militaires colombiens avaient déjà essayé, mais cela avait échoué. Il n'y a pas que la CIA qui essaie. La prochaine fois, on ne le ratera pas, cela ferait tellement plaisir à beaucoup de monde ! Les Américains nous encouragent. Le chef de la rébellion des Farc a déclaré que la loi de restitution des terres en discussion au Parlement colombien ouvrait la voie à des négociations de paix. Vous savez, cette loi, c'est pour la façade. Les morts ne reviennent pas. Et les paysans qui pourraient revenir sur leurs terres ont tellement peur de se faire massacrer à nouveau qu'ils n'oseront jamais. En plus, beaucoup sont devenus indigents dans les grandes villes. Donc, je tiens à rassurer l'Europe, nous livrerons l'huile de palme qui est un agrocarburant et qui a été commandée pour la politique écologique de réduction des gaz à effets de serre. 200 000 hectares ont déjà été plantés là où les paysans ont été spoliés ou tués. Il n'y a plus qu'à récolter (7). Pour les FARC, ils sont drôles de croire encore à des négociations. A chaque fois que nous leurs en avons promis, ils sont venus naïvement et soit on les a éliminés (8), soit on les a bombardés (9). Il n'y a pas longtemps, nous avons d'ailleurs assassiné un de leur chef en lui envoyant trente bombes sur sa tente. Il voulait négocier (10). Vous aviez une image de faucon au ministère de la Défense. Aujourd'hui, vous passez pour un modéré. Avez-vous changé ? Modéré ? Moi ? Ah, ah, ah ! Oui, c'est ce que j'essaie de faire croire. Et ça marche. Ma famille possède le plus grand quotidien de Colombie, alors nous nous y connaissons en image et en désinformation. En effet, je me donne l'image d'un saint par rapport à mon prédécesseur à l'air de cow boy. Mais n'oubliez pas que j'étais son ministre de la défense ces dernières années, les plus terribles pour le peuple. Je vous rappelle les chiffres de l'ONU : 3 millions de personnes déplacées, 7 500 prisonniers politiques, 30 000 homicides en 10 ans, autant de disparus... Mais selon d'autres organismes, on parle de 4,9 millions de déplacés et 250 000 disparus en 20 ans (11). Je ne vous parle pas des tortures, des viols, des massacres. Vous enregistrez là ? Non, parce que je préfèrerais que vous repreniez plutôt ce que mon chargé de communication a transmis au Figaro. Merci. Notes : 1 - Luis Carlos Galan, candidat du parti « Nuevo Liberalismo » s'est fait assassiné le 18 août 1989 alors que Ingrid Betancourt était sa conseillère. 2 – Ingrid Betancourt a survécu a deux tentatives d'attentat peu avant d'être enlevé par les Farc Sur l'affaire Betancourt, voir aussi : Sarkozy-Betancourt : Bon vol humanitaire mais mauvais cap 3 – La Colombie compte une centaine d’entreprises françaises de toutes tailles et de tous secteurs. Les investissements français en Colombie se sont élevés à plus de 800 MUSD en 2005 ce qui représentait près de 8 % du total des investissements. Chambre Franco-Colombienne de Commerce et d'Industrie 4 – Selon des documents des USA, Alvaro Uribe, président de 2002 à 2010, est classé comme le narco trafiquant N° 82. Voir La biographie non autorisée de Alvaro Uribe Velez, écrite par Joseph Contreras de l'Université d'Harvard. Disponible gratuitement ici : www.arlac.be/2007/biografia_auv.pdf 5 - En Colombia son asesinados el 60% de los sindicalistas asesinados en el mundo, por una violencia sistemática del Estado colombiano 6 - Voir L’Union européenne récompense la violence en Colombie 7 – La surface d'exploitation passera de 170.000 hectáreas (année 2000) à 743.000 en 2020, en tenant compte qu'il y a 3,5 millones d'hectares en Colombie aptes pour la culture du palmier à huile. 8 – En 1984, en accord avec le gouvernement, les Farc acceptent de déposer les armes et de fonder un parti politique, l'Union Patriotique. Entre 1985 et 1992, 3000 militants et responsables de ce parti ont été éliminés. Il a aujourd'hui disparu. 9 – Entre 1999 et 2002, une zone a été démilitarisé pour arriver à une solution. Quelques heures après la rupture des négociations, l'armée colombienne bombardait la zone. 10 - Voir Trente bombes pour quoi ? 11 - Chiffre du CODHES de novembre 2010 "Hay 250.000 desaparecidos en Colombia en los últimos años"
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PASC