Skip to main content
09/03/2008
Publié dans La Piedra en el Zapato, no 4, mais 2008 Extraits d'une entrevue réalisée en novembre 2007 avec un leader du Comité d'intégration sociale du Catatumbo (CISCA), une région qui subit aujourd'hui une recrudescence du conflit armé lié à l'intérêt des transnationales pour ses ressources naturelles.

- Racontez-nous un peu l'histoire du processus social et ce qui se passe en ce moment dans la région du Catatumbo. Nous, les paysans qui vivons dans la région du Catatumbo, sommes arrivés ici à la recherche de travail à travers un processus de colonisation graduelle des terres. Notre territoire est situé à la frontière du Vénézuela. Son sous-sol est riche en charbon et en pétrole et on y trouve une impressionnante biodiversité. La rivière Catatumbo le traverse, il s'agit du principal afluent du Lac Maracaibo du Vénézuela. Le Catatumbo est le territoire du peuple Barí, des autochtones qui l'ocuppent depuis des siècle et qui aujourd'hui le partagent avec les paysans à travers un travail communautaire conjoint tel que la production d'aliments et les actions de résistance. Nous vivons dans une région abandonnée par les gouvernements successifs qui n'a jamais atteint les niveaux de développement que tout être humain mérite. Cet abandon se réflète dans le peu de routes qui permettent d'accéder à la région, l'absence de possibilités de commercialiser les produits des paysans, l'isolement, la négation du droit à l'éducation et à la santé et l'impossibilité d'avoir une maison digne de ce nom. C'est dans ce contexte que naît le Comité d'intégration social du Catatumbo (CISCA) qui tente de construire une proposition de permanence sur le territoire et de défense de la vie. Le CISCA rassemble tous les habitants du Catatumbo : professeurs, travailleurs, ouvriers, paysans, autochtones Bari, femmes, enfants, personnes âgées, afin que nous puissions continuer à vivre dans le Catatumbo et à nous opposer à l'intention de l'État de chasser les gens de la région pour y exploiter ses ressources naturelles. La stratégie de l'État vise en effet à déloger les habitants afin de laisser aux entreprises transnationales les richesses du charbon et du pétrole et de leur permettre d'implanter des cultures stratégiques comme la palme africaine, le cacao, le caoutchtouc et la Higuerilla, qui nous sont proposées mais auxquelles nous nous opposons. Il y a une très vaste monoculture de palme africaine dans le Bas Catatumbo où les paramilitaires exercent un contrôl territorial depuis 1999. Suite à la dite « démobilisation » des paramilitaires en 2004, des cultures de palme se sont implantées dans la région et les intérêts des transnationales pour l'exploration et l'exploitation minière et pétrolières se sont accrus (15 000 hectares sont sollicités pour l'exploitation du charbon à ciel ouvert). Il y a une relation très importante entre la stratégie paramilitaire et ce qui se passe actuellement quant à l'exploitation des ressources et ses répercussions pour nous tous qui habitons le Catatumbo. - Quelle est la proposition de vore organisation ? Et quelle a été la réponse de l'État face aux exigences que vous avez présentées? Pour faire face à cette situation, nous nous sommes organisés afin de construire une proposition que nous apellons notre «Plan de vie » où nous avons commencé à nous questionner sur ce que nous voulons, ce que nous méritons, quels sont nos droits et également à prendre conscience qu'il y a un État responsable de ce qui nous arrive. Notre « Plan de vie » c'est notre proposition afin de pouvoir vivre dans notre territoire. La réponse du gouvernement consiste à ignorer toutes les initiatives populaires de la région et à y envoyer des militaires. L'unique présence de l'État dans cette région c'est celle de la Brigade mobile XV et de la Brigade XXX et de la nouvelle Brigade XXX. Il s'agit d'une présence militaire massive pour une région comptant seulement 250 000 habitants et 8 municipalités. Cette unique « aide » de l'État qu'est la présence militaire apporte aux communautés une série d'attaques qui s'accroit actuellement via les exécutions extrajudiciaires. Cette année (2007), ces assassinats ont atteint le nombre de 30. Trente morts, habitants de la région, étrangers au conflit armé mais qui ont été présentés par la force publique comme des guérilleros morts au combat. La manière dont on attaque le simple paysan nous inquiète énormément. Maintenant, nous ne pouvons plus nous promener seuls car à tout moment peut survenir une fusillade qui se soldera par l'annonce de la mort d'un « guérillero tombé au combat » alors qu'il s'agissait d'un paysan ramenant le marché pour sa famille ou sortant sa récolte vers la ville. Depuis février (2007), nous faisons face à cette situation qui semble répondre à une décision stratégique de systématiquement exécuter tout ceux qui vivent dans la région du Catatumbo. Il y aurait plusieurs cas à citer. Eliécer Ortega a été arrêté par l'Armée dans la région de Bobalí puis est réapparu à la morgue de Ocaña, rapporté comme étant un guérillero mort au combat alors que c'était un paysan de la région. Carlos Daniel Martínez de San Calixto, âgé de 50 ans, a pour sa part rencontré l'Armée lorsque les soldats sont arrivés à sa demeure. Il a été assassiné et reporté comme guérillero mort au combat. Il y a également le cas des deux jeunes garçons qui ont été arrêtés par les militaires et dont on a retrouvé les cadavres dans le fleuve. Ce sont déjà 30 morts cette année et cette situation continue... Nous avons déjà dénoncer ce type d'atrocités directement aux commandants des Brigades et également à la Viceprésidence de la République et au Ministre de l'Intérieur. C'est très préoccupant parce que les succès des Brigades de l'Armée se comptent grâce aux paysans morts et faussement rapportés comme guérilleros. Nous sommes conscient du conflit armé qui se mène dans notre région mais nous exigeons que la population civile en soit tenue à l'écart, qu'on la distingue du combattant. Nous, tout ce dont nous avons besoin c'est un lopin de terre à labourer pour élever une famille. Nous ne sommes pas dans un soulèvement armé, nous ne manifestons rien d'autres que notre désir de rester dans la région et d'y construire un projet de permanence sur le territoire. - Mais, ces attaques de l'Armée contre la population civile répondent, selon vous, à la nécessité de montrer des résultats positifs dans la lutte contre les groupes rebelles ou plutôt à une stratégie pour inciter au déplacement de la population afin de laisser libre cours à l'implantation de monocultures et à l'exploitation du charbon et du pétrole ? Les Brigades militaires ont été fondées dans notre région sous le prétexte de la lutte contre-insurectionnelle pour en terminer avec la présence de la guérilla dans la région. Toutefois, nous croyons que cette stratégie militaire est avant tout destinée à sécuriser les intérêts des entreprises pétrolières et des transnationales, de ceux qui viennent exploiter le charbon, planter la palme africaine, privatiser l'eau. En outre, la présence militaire a pour but de sécuriser la région frontalière afin d'endiguer le projet bolivarien du Vénézuela. De plus, cette stratégie est celle de la terreur et de la stigmatisation de tous ceux qui vivent dans cette région. Les militaires passent de village en village pour annoncer que les Aguilas negras (groupe paramilitaire) arrivent. Parfois, ils disent aux paysans « pourquoi vous ne partez pas ? pourquoi vous ne sortez pas de la région ? ». Il est évident que ces manoeuvres visent à nous appeurer pour que nous nous déplacions, il y a donc un intérêt à voir se vider le territoire peu importe la manière adoptée, la criminalisation, la judicialisation, les détentions, les assassinats, la terreur, etc. De ce que nous comprenons, s'il y a une lutte contre-insurectionnelle qui se livre, celle-ci est prioritairement destinée à offrir les conditions de sécurité aux transnationales qui exploitent dans la région. Nous ne sommes pas là pour gêner l'État colombien et nous ne sommes pas non plus l'obstacle des entreprises transnationales, la seule chose que nous voulons crier au monde, à tous les peuples, c'est que nous aussi nous voulons faire le nécessaire pour être pris en compte, pour que nous soyons reconnus comme personnes humaines habitant un territoire riche en ressources naturelles mais abandonné par l'État et que tout ce que nous avons obtenu jusqu'à ce jour, ça été le produit de l'autogestion et des initiatives communautaires. Le minimum que nous exigeons c'est qu'on nous laisse habiter ces terres éloignées. Si le gouvernement colombien ne s'intéresse pas aux gens mais uniquement aux ressources du Catatumbo qui enrichissent les transnationales, nous, c'est la Vie qui nous intéresse, pour nous, le plus important reste la vie, celle développée en harmonie avec la nature. Depuis le Catatumbo, une embrassade fraternelle à tout ceux et celles qui construisent la résistance dans le monde.
Author
Redher