Skip to main content
21/08/2007
La proposition de « refonder la patrie » qui vit le jour en 2001 coïncide dans ses points principaux avec les le projet « vers un État communautaire » impulsé par Alvaro Uribe Vélez, à l’époque candidat aux présidentielles et actuel chef de l’État colombien. Les deux idées sont le fruit d’un accord politique entre des conglomérats économiques nationaux et étrangers, les empires médiatiques tels que le quotidien El Tiempo et RCN 1, les escadrons armés d’autodéfense, financés principalement du trafic de stupéfiants, et la classe politique traditionnelle, avec l’acquiescence du Département d’État des États-Unis. Cela fut la réponse à la supposée absence de l’Etat (réponse donnée précisément par ceux qui représentaient l’état) et au processus de paix que menait le président Pastrana (1998-2002) avec la guérilla des FARC. Ce pacte revêt un caractère autoritaire car il fut soutenu par ceux qui avaient financé et exécuté l’extermination des paysans dans les campagnes et prétendaient être exonérés de toute imputation en argumentant qu’ils voulaient « sauver la patrie du communisme ». Les actes de campagne du candidat Uribe en rendent compte. Par exemple, le général Rito Alejo del Río, complice des paramilitaires, reçut un hommage de la part du candidat. Plus tard, Luis Camilo Osorio, le premier à exercer le poste de Procureur général 2 pendant la présidence d’Uribe et mis en examen pour complicité, s’est montré extrêmement indulgent à l’égard des paramilitaires. Le but en était de légitimer l’action des paramilitaires et de la présenter comme le mécanisme qui permit de stopper l’activité des guérillas et de « épargner le pays de la prise de pouvoir par les FARC », comme le signala récemment le président.

L’expansion du projet paramilitaire

L’existence de groupes paramilitaires n'est pas nouvelle en Colombie. La création, sous l’auspice de l’État, des groupes s’y associant pour étouffer les révoltes paysannes, supprimer les forces politiques d’opposition et favoriser la concentration de la propriété terrienne rurale connut un sanglant essor pendant l’époque dite de ‘La Violence’ au milieu du XXème siècle 3. Le schéma se réactiva dans les années 1980, lorsque de nouveaux groupes furent créés suite à l’alliance entre propriétaires terriens, trafiquants de drogues et l’armée régulière. Depuis la décennie 1990, le pouvoir local passa progressivement aux mains des secteurs liés au paramilitaires ; parvinrent à contrôler la vie politique et même la prestation des services sociaux de base 4. Le rapport de la Corporation Régionale pour les Droits Humains (Credhos, 2002) précise à ce sujet: « La stratégie paramilitaire est un moyen foctionnel aux fins politiques et économiques de l’État et d’importants secteurs de la classe dominante. Ce n'est pas par hasard que les régions d’Urabá et du Magdalena Medio aient été sélectionnées par l’État comme zones de planification et de développement stratégique depuis 30 ans […] - 1. Phase d’anéantissement et de destruction du tissu social et démocratique de la population civile […] Pendant cette période augmentent les violations massives et systématiques des droits humains et des minimums humanitaires. Pendant cette phase le paramilitarisme plante les bases pour contrôler et neutraliser la population et les organisations sociales. - 2. Phase de contrôle social. Depuis cette étape les groupes paramilitaires agissent en tant qu’organisations complémentaires ou substitutives des forces de sécurité. […] (Ils) restreignent les libertés, autorisent [ou non] les candidatures et […] ordonnent à la communauté pour qui voter […] consolident des économies illégales et établissent des impositions tarifaires. - 3. Phase de réorganisation sociale. […] se posent en nouveaux orienteurs, dictant à la population civile comment doivent marcher les choses. - 4. Phase de légalisation et de légitimation. »5
La dernière phase consista à la « prise du pouvoir » présidentiel et législatif par ces groupes à la suite leur ingérence dans le processus de 2002, au moyen de stratégies diverses : intimidation, publicité intensive du candidat enclin au projet et manipulation des registres électoraux. Les menaces furent exercées par des groupes armés sur des candidats contraires au projet paramilitaire et sur les votants dans de vastes zones du pays. Les enquêtes sur les scrutins de 2002, recherches sur lesquelles se basent les décisions de la Cour suprême de Justice, démontrent que dans les sites sous contrôle paramilitaire le vote pour les candidats qu’ils appuyaient dépassa de 90%. Grâce à une campagne publicitaire et médiatique de grande ampleur, le candidat Uribe put jouir d’une large popularité parmi différents secteurs sociaux. Uribe, opposé aux dialogues de paix, reprit en Colombie le discours bushiste de la « guerre contre le terrorisme » et proposa d’annihiler la guerrilla en 18 mois et de « récupérer l’autorité » en vue de « pouvoir sortir par les routes », entre autres. Des individus qui devinrent des collaborateurs du cercle présidentiel, comme Jorge Noguera, ancien chef de la police secrète sous l’autorité d’Uribe et aujourd’hui en prison, concoctèrent des procédés sophistiqués de fraude électorale. Des listes de votants étaient illégalement obtenues, les jurés de scrutin étaient soumis à des pressions pour altérer les résultats des législatives de 2002, comme il a été prouvé ultérieurement.

Fissures dans le noyau du projet

Le débat actuel met en évidence une fissure dans l’accord puisqu’il laisse à supposer que les hauts tribunaux ne l’ont pas avalisé (en tout cas, pas la cour suprême). Cette impasse déclencha des accusations mutuelles entre les membres de la coalition et les poussa à chercher des issues juridiques leur permettant d’éluder leurs responsabilités et ainsi faire tenir le pacte. La loi de justice et paix, conçue pour gracier les paramilitaires armés, ne bénéficie pas les promoteurs du modèle ni ceux qui l’ont financé, dont les députés et les sénateurs incarcérés. Une solution consisterait à substituer aux magistrats de la cour suprême qui suivirent ces affaires d’autres juges plus enclins à l’exonération des inculpés. Une autre sortie, suggérée par le gouvernement, serait de faire voter une nouvelle loi d’amnistie ou de point final qui bénéficierait autant aux armés qu’à leurs soutiens. Il faudrait considérer les délits et crimes des paramilitaires 6 comme « politiques », au même gré que la rébellion ou la sédition contre l’État, une situation assez paradoxale. Les représentants de l’oligarchie traditionnelle (comme la famille Santos, propriétaire du quotidien El Tiempo) prétendent évader leur responsabilité, en se distanciant des hommes politiques qui firent le sale travail et en les affrontant.

Les piliers de l’État communautaire

Le modèle autoritaire qui veut s’imposer peut être présenté à travers les thèses suivantes, qui supposent la concentration du pouvoir, la dégradation du cadre de vie et la restriction des libertés individuelles et publiques. - Thèse 1 L’État communautaire constitue une attaque frontale à l’État social de droit Ce projet transgresse les normes et traités internationaux pour la protection des droits humains au nom d’une logique guerrière. La devise d’Uribe, point de départ de l’État communautaire est la « sécurité démocratique ». Celle-ci reprend des idées du temps de la guerre froide (comme la « sécurité nationale » dont parlent ouvertement quelques militaires) et lignes générales du projet de « refonder la patrie ». Le droit international humanitaire et d’autres mécanismes d’humanisation du conflit et de protection aux civils sont présentés comme des entraves à la « guerre contre le terrorisme ». C’est l’avis du président, de plusieurs ministres et de quelques membres de l’armée. Les contrôles des autorités civiles sur la police et l’armée, qui possède désormais des attributions de police judiciaire, ont été réduits. Les civils sont placés au milieu de la confrontation armée par la création de réseaux d’informateurs et de milices de « soldats paysans », ainsi que par l’affirmation, dangereuse car très vague, que les « terroristes » s’infiltrent ou se camouflent parmi la population. Dans le domaine du travail, les réglementations adoptées par le gouvernement dégradent les conditions des employés au nom de la compétitivité, affaiblissent le mouvement syndical et livrent l’éducation, la santé et les services d’intérêt général au privé. Le « social » est entendu non pas comme un droit du citoyen ni comme un engagement de l’État mais comme un cadeau, contrairement aux principes d’équité et d’universalité consacrés par la constitution nationale de 1991. Enfin, à tous les niveaux administratifs, l’exécutif accapare l’activité législative et juridictionnelle à travers la majorité parlementaire dont il dispose et influençant les parlementaires de l’opposition, les fonctionnaires de carrera et les membres du pouvoir judiciaire. Le gouvernement a aussi interféré dans les organismes de contrôle tels que le bureau du procureur général, le bureau du ministère public, la cour des comptes, la commission de la télévision, voire même le conseil constitutionnel, en vue que les décisions prises par ces instances lui soient favorables. - Thèse 2 L’État communautaire soumet le pays au néolibéralisme. Le modèle néolibéral est en vigueur en Colombie depuis la décennie 1990. Quoiqu’il affirme le contraire, le gouvernement actuel a renforcé son application, acceptant avec docilité les directives du FMI, de la Banque mondiale et des États-Unis. Après l’échec de l’ALENA (Accord de libre-échange des Amériques) prôné par Bush, le gouvernement colombien insiste sur la signature d’un accord bilatéral de libre-échange (TLC, de par son sigle en espagnol) avec le pays du nord en conditions défavorables et sous pression de la Maison blanche. Au 21e siècle, c’est un scénario digne de la ‘doctrine Monroe’. À ce sujet, nous reproduisons les mots du parlementaire Jorge Robledo : « Ce n'est pas par hasard que l’un des signes de la situation qui s’aggravera avec le TLC soit la destruction ou l’affaiblissement des organisations syndicales, puisque ce sont elles qui permettent aux salariés, en substituant aux contrats individuels les [conventions] collectives, d’améliorer leurs conditions de travail. Le sacrifice des conditions de travail mène à une baisse de la production et à l’augmentation du chômage, car un moindre pouvoir d’achat chez les travailleurs provoque la réduction des ventes […] du marché intérieur, au sein duquel se trouve et se trouvera la plupart des acheteurs de la production nationale. En guise de conclusion, [on peut dire que] le chômage croissant, la détérioration des conditions de travail des employés et le travail au noir sont les seuls options pour les travailleurs colombiens dans le cadre du TLC avec les États-Unis ». Le néolibéralisme s’observe aussi dans l’augmentation des impôts aux couches moyennes et modestes de la société et dans le démantèlement de l’État sous prétexte de réduire le déficit fiscal. En revanche, les dividendes des grands groupes économiques et des investisseurs étrangers jouissent des baisses de plus en plus significatives de leurs contributions sans rien donner en échange : aucune amélioration du niveau de vie ne s’observe, tandis que les ressources naturelles, les services publics et les activités de grande importance stratégique finissent sous contrôle des investisseurs. Rien de plus éloigné de la redistribution équitable des revenus. L’État communautaire se désintéresse de tout service à sa charge si celui-ci n'est pas « rentable » et tend tout simplement à devenir un régulateur impuissant de l’activité privée. Les services d’intérêt général sont entièrement soumis aux lois du marché et se transforment souvent en monopoles privés au détriment même de la libre concurrence et imposant des hausses des prix : ce qui était un droit devient une marchandise, malgré le texte des lois. - Thèse 3 L’État communautaire soumet le pays à l’interventionnisme états-unien. Sur le plan de la diplomatie, le gouvernement Uribe est caractérisé par sa génuflexion devant la Maison blanche. Un exemple clair en est le « Plan Colombie », mis en marche depuis 2000 en vue d’éradiquer la production de narcotiques par la répression, tout en négligeant le développement social. Le plan fut réorienté par Uribe et Bush vers le combat contre la guérilla des FARC, se transformant ainsi dans une entreprise d’intervention militaire sur fond politique et idéologique digne de la guerre froide. Malgré le montant investi, estimé à environ 7,5 milliards de dollars selon les projections initiales, la production de cocaïne n'a pas diminué (de toute façon, le pays industrialisés, les principaux consommateurs, n’ont guère fait pour en diminuer la consommation). Néanmoins, la fumigation aérienne provoqua des dégâts écologiques et des incidents diplomatiques avec des pays frontaliers comme l’Équateur. La Colombie fut le seul État d’Amérique du sud à appuyer l’invasion de l’Irak, sans y envoyer de troupes. Bogotá adopte une posture ambiguë auprès du gouvernement vénézuélien : fonctionnaires et ministres s’immiscent dans la politique intérieure du Venezuela ou diffusent des déclarations anti-Chávez, les services secrets du pays voisin dénoncent périodiquement des incursions des paramilitaires colombiens, le gouvernement colombien protège le putschiste Pedro Carmona et en même temps le président Uribe affirme que tout va bien entre les deux États. La Colombie est aujourd’hui le plus pro Bush des États sud-américains et tourne le dos à tout projet d’intégration latino-américaine autre que l’ALENA. Uribe décréta aussi l’immunité des troupes états-uniennes au cas où elles commettraient des crimes dans le territoire colombien. La majorité démocrate élue au parlement des États-Unis en 2007 mit en cause le texte et le fond du TLC et se prononça sévèrement contre la pénétration de la mafia et des paramilitaires dans l’administration de l’État colombien. Bogotá devra nuancer quelques-unes de ses prises de position en fonction du nouvel échiquier politique. - Thèse 4 L’État communautaire restreint l’opposition politique démocratique et criminalise la protestation pacifique. Pour l’État communautaire, les conflits sociaux n’existent pas, ce ne sont que des allégations corporatistes et d’une partie de l’opposition. Toute forme de protestation est ouvertement criminalisée. Le conflit armé n’existe pas non plus, version tenue dans les ambassades et les consulats. Le consensus présumé autour du président donne origine à une pensée unanime dont le questionnement devient risqué. Les manifestations des travailleurs contre les réformes affectant les conditions du travail où contre la fermeture d’entreprises sont durement réprimées par la police. Les protestations contre les décisions macro-économiques font l’objet de la même répression : lors d’une manifestation contre le TLC à Carthagène d’Indes en 2004, le président insinua que les manifestants « voulaient détruire la ville » pour justifier la répression. Les populations autochotnes et paysannes qui réclament de meilleures conditions de vie, le respect de leurs traditions et de ne pas être impliquées dans les confrontations armées sont elles aussi violemment attaquées par la police anti-émeutes, par l’armée, voire par des escadrons paramilitaires. C’est ce qui arriva avec les ethnies Gambiano, Paez, Kankuamo et Katio et avec la communauté pacifique de San José de Apartadó, village au nord-ouest de Colombie, entre autres. Les hommes politiques d’opposition, comme le député de gauche Gustavo Petro, dur critique d’Uribe, sont épiés, menacés, suivis illégalement ou deviennent la cible des calomnies et des diffamations 7, sauf si elles maintiennent des liens avec les paramilitaires. - Thèse 5 L’État communautaire élude les mécanismes institutionnels de délibération et d’exécution et prétend ignorer l’ordre légal en vigueur. L’État communautaire utilise des mécanismes en dehors des institutions pour l’exercice de son pouvoir. Les actes emblématiques du gouvernement sont les « Conseils communaux » qui se tiennent toutes les semaines environ : le président se rend dans un village et prend des décisions sur place en se réunissant avec des riverains (choisis au préalable pour l’occasion) et avec des fonctionnaires qui peuvent en théorie résoudre leurs problèmes. Vu à la télévision, le tout se présente plein de dynamisme et de résultats immédiats. En fait, c’est un exercice démagogique qui asphyxie le gouvernement local et fait collapser les procédures légales de gestion et d’exécution, impose des priorités artificielles, ne résout pas les inégalités sociales et en fin de comptes ne tient presque jamais ses promesses 8. Cependant, ces actes sont montrés et perçus comme la preuve d’une gestion efficace, d’un contact direct avec le peuple et d’une volonté infatigable de travail. En outre, l’exécutif vise à centraliser toute l’activité législative et juridictionnelle. Pour ce faire, il modifie les lois et même les normes constitutionnelles en vue de favoriser le gouvernement, la coalition qui le soutient et ceux qui épaulent le projet de 2001. Les cas en sont nombreux : la réduction des apports budgétaires de l’État aux collectivités territoriales, la limitation des « actions de tutelle 9» (car elles bénéficient le citoyen), le jugement des civils par des militaires, les lois pour gracier les paramilitaires. Mais l’exemple le plus frappant, c’est la réélection : le gouvernement accorda d’abord des faveurs à plusieurs parlementaires pour qu’ils approuvent l’initiative, puis il exerça des pressions sur la cour constitutionnelle pour qu’il déclare la norme ajustée à la carte. Enfin, derrière le terme « communautaire » (ce qui concerne une communauté), utilisé par l’État, le gouvernement et les conseils, se cachent des sens larges et contradictoires. Il s’agit de faire croire que le gouvernement ‘appartient à la communauté’, ‘travaille pour la communauté’, ‘est exercé par la communauté’ et même ‘est la communauté’. Par ce moyen, on construit une idée de démocratie participative et de véritable représentation populaire, ce qui ne correspond aucunement à la réalité. Cependant, cette notion permet de se passer des autres instances de décision et d’exécution. Une posture typiquement populiste 10. - Thèse 6 L’État communautaire entend réorganiser le projet paramilitaire et le légaliser. Les délits politiques tels que la sédition et la rébellion sont susceptibles de traitement spécifique et de négociation. Il s’agit de conclure des accords avec les individus et les groupes qui cherchent à renverser le gouvernement en vigueur afin d’établir un système politique différent. L’option de vaincre les paramilitaires par des voies judiciaires et militaires n’a jamais été sérieusement envisagée, puisqu’en réalité ils ne sont pas un ennemi de l’état. Dès le début de son mandat, Uribe a focalisé ses efforts sur le combat contre la guérilla et a entamé des négociations avec les paramilitaires. Ceux-ci n’ont donné aucune garantie de cesser le feu ni de suspendre leurs activités criminelles. Uribe disqualifia l’action de son prédécesseur, Pastrana, considérant que celui-ci s’est montré trop indulgent à l’égard des « bandits » de la guérilla. Mais le gouvernement actuel se montre beaucoup plus laxiste avec les paramilitaires. Les terroristes d’extrême droite commirent et commettent toujours des délits et des crimes de lèse humanité et d’impact considérable : des massacres, des assassinats, du trafic de narcotiques, des enlèvements et des disparitions forcées, de l’acquisition illégale de terres et du déplacement forcé des populations, entre autres. La gravité de leurs actions est constamment minimisée. Récemment (juillet 2007), la cour suprême écarta la possibilité de reconnaître le caractère de délit politique aux délits communs (comme le trafic de stupéfiants) et aux crimes (comme l’homicide aggravé), décision qui affecte autant les paramilitaires que la guérilla. Le président réagit en accusant la cour de « biais idéologique » vers les groupes armés de gauche et en annonçant un décret favorable aux paramilitaires. En même temps, Uribe se refuse à entamer un processus de paix avec les FARC et empêche toujours l’échange humanitaire entre les otages de la guérilla et des membres de celle-ci incarcérés pour des délits politiques. - Thèse 7 L’État communautaire s’inspire d’une idéologie manichéenne, ultraconservatrice et personnaliste. Cette vision manichéenne de la politique est fondée sur des valeurs morales et éthique du christianisme traditionnel (catholique et protestant), ce qui explique des prises de position assez arriérées au sujet de la vie familiale, la vie privée, la sexualité et la natalité. La phrase emblématique du président est « travailler, travailler et [encore] travailler », ce qui aux premiers abords ne semble pas une idée négative, mais qui met en évidence une vision du monde selon laquelle les activités culturelles et les loisirs ne sont pas productives et le travail n'est pas un moyen d’amélioration du mode vie mais une fin en lui-même; le salaire juste n’est plus une revendication mais une concession. Les droits deviennent des cadeaux. Le président et des membres de son entourage l’affirment avec condescendance. Les archétypes de l’État communautaire sont la grande ferme d’élevage bovin et la famille traditionnelle et accommodée du milieu rural. Ce modèle reproduit une culture « féodale » dont le président est un digne héritier. Le patron a toujours le dernier mot et se montre réticent à quelque dissension que ce soit; le père exerce une autorité infaillible et incontestable sur sa femme et ses enfants. En fait, le président compare le pays avec une « famille » que « je dois prendre en charge ». En conséquence, il détient tout le pouvoir et toute action émane de lui. Un culte à la personnalité est bâti autour du mandataire, lequel incarne un caractère messianique : « le messie », « le sauveur », « l’envoyé de Dieu » sont des attributs que donnent au président certains individus et groupes religieux qui le soutiennent. Ce faisant, la figure présidentielle est surestimée, l’apport des autres hommes politiques et des citoyens est minimisé, le président est exempté de contrôle sur ses actes, la rationalité dans la gestion du gouvernement est écartée et un prétexte mythique et providentiel apparaît pour une éventuelle permanence au pouvoir.

* * *

Les liens étroits entre le projet paramilitaire et le programme du gouvernement Uribe sont de plus en plus tangibles dans les domaines économique, politique et idéologique; leurs passerelles sur le plan personnel et familial, auparavant secret de polichinelle, sont mises au jour. Les citoyens en prennent conscience progressivement. Cependant, l’État communautaire et la structure paramilitaire détiennent le contrôle sur la vie du pays et n’envisagent pas de le perdre. Il est donc nécessaire d’agir à tous les niveaux pour garantir l’exercice démocratique du pouvoir, exclure les criminels de l’administration de l’état, les juger proportionnellement à la gravité de leurs actions, supprimer la violence comme manière de gouverner, retrouver la paix publique, respecter la liberté personnelle et aboutir à une société équitable.

***MARIO DURAN

Notes

  1. Appartenant à un conglomérat industriel et financier (le groupe Ardila), RCN possède une des deux chaînes de télévision hertzienne privées et une centaine de stations radio FM et GO.
  2. En Colombie, dénommé « Fiscal general ».
  3. Connus comme « les Oiseaux » ou les « Chulavitas » (du nom d’un village d’où ils venaient), ces groupes étaient liées au parti conservateur et autorisés par un secteur de l’église catholique. Ils s’occupaient d’exterminer les « Libéraux ». À leur tour, ceux-ci créèrent des milices pour se protéger et souvent pour se venger. Cette violence fit plus de 300 000 morts en 15 ans.
  4. Un cas parmi beaucoup d’autres est celui du village de Magangué, au nord. Enilce López, la patronne des jeux de hasard, dont les dividendes financent les hôpitaux, est mise en examen pour ses liens avec des trafiquants et des paramilitaires. Elle a apporté des fonds pour la campagne Uribe 2002.
  5. In: Piccoli, Guido. El sistema del pájaro, ILSA, Bogotá, D. C. 2005, Pp. 122-123.
  6. Les plus connotés consistent à torturer les victimes et puis à les découper, encore vivantes, avec une scie à moteur ou bien à enfermer des familles dans leur propre maison pour y mettre du feu.
  7. Ce fut le cas en 2006 du député Pardo Rueda, pourtant membre de l’aristocratie de Bogotá proche du gouvernement, lorsqu’il questionna la réélection et la grâce aux paramilitaires.]]. Les ONG qui travaillent pour les droits humains ou pour le développement alternatif sont souvent accusées par le président d’être « complices du terrorisme » [[Cf. Discours du Président devant les chefs de l’armée, le 8 septembre 2003, entre autres.
  8. Une de ces promesses inaccomplies fut la protection du maire de El Roble, village au nord du pays. Lors d’un conseil communautaire, le fonctionnaire affirma être menacé de mort par des paramilitaires devant le président et en direct à la télévision. Quelques semaines plus tard, il fut assassiné.
  9. Actions qu’un sujet peut interposer auprès d’un juge, sous certaines conditions, lorsqu’il considère qu’une décision judiciaire accepte ses droits fondamentaux. Elle constitue donc une instance supplémentaire de jugement.
  10. Voir au sujet: De la Torre, Cristina. Álvaro Uribe o el neopopulismo en Colombia. Ed. La Carreta. Medellín, 2005.
Author
Mario Duran