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02/10/2017

C’est le 27 Septembre dernier qu’a débuté la grève dans le sud de la capitale. Cette dernière est organisée par les différents secteurs urbains des zones périphériques de la ville. Pourquoi cette grève dans le sud de Bogotá? Pourquoi le 27 Septembre? Cette date rappelle l’une des plus grandes tragédies de santé publique et environnementale des villes colombiennes. Ces conflits environnementaux, sociaux et politiques ne cessent de s’aggraver, comme l’explique Diego Pinto dans l’article suivant.
Par Diego Pinto*


Le 27 Septembre 1997, une explosion a eu lieu dans le site d’enfouissement Doña Juana, à cause de l’accumulation de méthane et de lixiviat. Cette explosion a causé le glissement de plus d’un million de tonnes de déchets. Depuis, cette catastrophe a eu plusieurs impacts sur la santé de milliers de familles habitant Ciudad Bolivar et Usme, en plus de contaminer le fleuve Tunjuelo, affectant toutes les communautés du sud de la ville.


Le 27 Septembre dernier, 20 ans plus tard, des centaines d’organisations sociales, environnementales et populaires ont annoncé une grève dans toute la région du bassin du fleuve Tunjuelo. Ciudad Bolivar, Usme, Bosa, Techotiba (Kennedy), Rafael Uribe, San Cristóbal et d’autres districts de Bogotá ont manifesté l’intention de se mobiliser contre l’improvisation dont a fait preuve le gouvernement en favorisant les gains économiques des entreprises au détriment des conditions de vie et de la dignité des millions de personnes qui vivent dans le sud de Bogotá.


Doña Juana

Le site d’enfouissement Doña Juana fonctionne depuis le début de 1988 et reçoit plus de 7000 tonnes de déchets provenant de partout dans la ville et même de certaines municipalités près de Bogotá, tous les jours. Ce dépotoir a plusieurs conséquences : mauvaises odeurs, maladies de la peau, troubles respiratoires, prolifération de mouches et de rongeurs, contamination des sources d’eau souterraines, comme le fleuve Tunjuelo. 
Les communautés de Mochuelo contestent la situation difficile dans laquelle elles doivent vivre à cause de la présence du dépotoir sur leur territoire. Pendant ce temps, l’UAESP (Unité administrative spéciale des services publics) ouvre un nouveau processus d’appel d’offres de 4,8 milliards de pesos pour la gestion de résidus solides. Cette initiative laisse de côté toute la population qui recycle en plus d’exclure la possibilité d’un accord concernant l’élimination finale des déchets.  La demande de fermeture du site d’enfouissement formulée par les habitants est ainsi ignorée.
L’administration du site d’enfouissement en charge du consortium CGR n’a pas été en mesure de régler les dommages faits aux communautés affectées. Un plan qui bénéficierait aux populations les plus vulnérables, par exemple les personnes qui travaillent comme recycleurs/recycleuses, n’est pas simple. Pourtant, de grandes sommes d’argent ont pu être amassées pour certains chefs d’entreprises, par exemple Luis Alberto Ríos Velilla, propriétaire de Servigenerales et Aseo Capital, entreprises aux liens étroits avec le parti politique du présent maire. 
La situation a engendré plusieurs actions de contestation de la part des habitants fatigués qui exigent des solutions claires et approfondies de la part des districts. Enrique Peñalosa nie les demandes des communautés et manifeste même l’intention d’utiliser le site d’enfouissement pour 50 ans de plus, et ce, malgré les recommandations des autorités environnementales.
Cette situation a suscité des questionnements importants: pourquoi certains secteurs de la ville portent-ils le poids des problèmes sociaux et environnementaux de la ville toute entière? Dans le sud de Bogotá, les gens doivent vivre dans des conditions de vie indignes afin de renforcer le modèle d’entreprises d'une minorité.

Peñalosa et son modèle de ville

Les problèmes de Bogotá s’accumulent depuis des années, mais c’est sous la présente administration qu’ils s'exacerbent et sont enfin dévoilés au grand jour. Le modèle privilégié par le PPP (Public Private Partnerships) cherche à privatiser les entreprises publiques, renforçant un modèle précis d’organisation territoriale : le modèle de centre-périphérie. Celui-ci, bien qu’il affecte négativement certaines populations, est utilisé par le maire Peñalosa pour enrichir certains entrepreneurs (surtout du secteur de la construction, vu leurs liens avec le Cambio Radical, le parti de Vargas Lleras).
Le modèle d’organisation territoriale que souhaite introduire Peñalosa est d’autant plus évident depuis ses interventions dans le Bronx et Maria Paz, situés dans la localité de Kennedy. Ces interventions ont pour objectif de générer de l’espace pour le secteur immobilier en obligeant le déplacement de personnes, sous prétexte de problèmes de sécurité pour les populations de ces territoires. Cette situation s’ajoute également à une croissance de l’activité minière dans le sud de la ville, causant le déplacement de communautés en plus d’impacts irréversibles sur l’environnement, notamment la contamination de sources d’eau, l'appauvrissement des sols et la modification des écosystèmes.
Les vendeurs informels sont traités comme des délinquants, au lieu de recevoir des options de régularisation d’emploi qui offrirait un statut reconnu au travail de milliers de Bogotanos dont la dignité s'en trouverait accrue; on exclut de facto la population qui recycle dans le traitement et l’élimination des résidus et le taux de chômage est en croissance. Ces dispositions mises à l’œuvre par l’administration, bien qu’affectant la ville en entier, ont des conséquences d’autant plus importantes pour le Sud. 
Sans parler du présent modèle de transport en commun (Transmilenio) qui profite aux grandes entreprises; l’option d’un métro sous-terrain est rejetée bien qu’elle pourrait régler la grave situation du transport à Bogotá.
Malgré les multiples tentatives de négociation qu’ont initiées les communautés avec l’administration des districts, aucune solution n’est apportée en réponse aux besoins des populations du sud de la ville. Le maire et son gouvernement optent plutôt pour la militarisation des quartiers et la répression de toute mobilisation sociale par l’ESMAD (escadron mobile antiémeutes).

La grève dans le Sud, frein d’urgence devant la crise

C’est en réponse à ces sérieuses problématiques et à l’inaction des entités publiques que les habitants du Sud ont décidé de prendre la rue, demandant dignité pour le sud. Leurs demandes incluent les problèmes d’organisation territoriale et le paiement des dettes sociales et environnementales; droits sociaux, droits humains et habitat décent; accès à la justice, sécurité et cohabitation des territoires. Le résultat espéré des mobilisations serait des réponses claires de la part de l’administration, avec des pistes de solutions définies pour les différentes problématiques et un processus dans lequel les communautés sont protagonistes et non simplement consultées ou informées des décisions.
Ces jours de grève et de mobilisation se sont ajoutés aux nombreux autres qui visent la fin de l’administration du maire Enrique Peñalosa et constituent une manifestation claire que l’élimination de mauvais gouvernements se fait non seulement par des démarches légales mais surtout par la mobilisation sociale. Préparez-vous dès le mois de septembre, car il est temps de voir les quartiers et secteurs marginalisés prendre le pouvoir.

Auteur.trice
26/09/2017 Lanzas y Letras