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30/11/2025

Lors de la VIIIe Assemblée du Coordinateur national agraire (novembre 2025), j’ai eu l’opportunité de connaître la leader paysanne Laura Giraldo, qui m’a fait part de son expérience au sein du Territoire Paysan Agroalimentaire (TECAM) d’El Carmen de Atrato, dans le département du Chocó.

 

Qui est Laura Giraldo et quels processus accompagne-t-elle?

Laura Giraldo: Je fais partie de la Plateforme paysanne du Chocó. Nous accompagnons plusieurs municipalités du département, mais notre travail se concentre sur El Carmen de Atrato.

Je suis écologiste, et l’un des processus développés par la plateforme est la défense territoriale. Nous jouons également un rôle de premier plan dans la défense des droits des communautés.

Je suis mère de trois enfants, dont deux petites filles: l’une de 5 ans et l’autre de 10 ans. Je travaille aux champs quand j’ai le temps et j’ai étudié la sociologie.

Comment définissez-vous les Territoires Paysans Agroalimentaires?

Laura Giraldo: Pour nous les TECAM sont très importants car, dans notre région, nous faisons face à une grande entreprise minière de cuivre à capitaux internationaux. La mine El Roble est exploitée par Atico Mining, une entreprise canadienne.

Le TECAM offre une structure pour protéger ces territoires et prendre des décisions à leur sujet. Au-delà du nom, c’est un moyen non seulement de protéger le territoire, mais aussi de le défendre et de le planifier. C’est une manière d’influencer ce qui se passera avec notre propre territoire.

Nous avons analysé plusieurs instances de défense territoriale pour les paysans, telles que les Zones de Réserve Paysannes, mais nous avons opté pour le TECAM car nous menons un processus de défense environnementale. Les TECAM ont un lien très fort avec la production durable. Nous misons là-dessus. C’est une instance qui s’adapte aux objectifs de notre organisation.

Pourriez-vous approfondir les raisons pour lesquelles le TECAM s’est avéré être un choix plus approprié que la Zone de Réserve Paysanne?

Laura Giraldo: Les deux sont très similaires. Mais après analyse, nous avons constaté que le TECAM comporte une composante très forte d’aménagement du territoire. Nous avons penché pour cette figure, car aménager le territoire implique non seulement de définir quels hameaux (veredas) ou lieux sont importants, mais aussi de décider ce que nous, les paysans, voulons voir se faire dans ces lieux.

Par exemple, des questions telles que l’exploitation minière, les microcentrales ou les centrales hydroélectriques sont abordées, ainsi que les lieux où nous voulons produire des aliments. Parallèlement, certains de nos camarades souhaitent, en plus de produire des aliments, travailler dans le domaine du tourisme durable. Le TECAM donne la priorité à la durabilité. De plus, nous misons sur l’autonomie alimentaire et sur le fait que, en tant que paysans, nous puissions produire de manière plus propre, en lien avec l’agroécologie.

Les Zones de Réserve envisagent des projets productifs, mais nous voyons la nécessité pour les paysans de recommencer à produire pour notre propre alimentation. Après avoir couvert nos besoins, les excédents pourront peut-être être commercialisés. Mais le commerce n’est pas la priorité.

Avec l’arrivée de l’exploitation minière, il y a eu un changement radical dans les aspirations des gens. Dans certaines zones, les gens sont devenus ouvriers et ont cessé de cultiver. Certaines personnes possèdent des terres, mais ne les utilisent pas, car elles gagnent leur vie dans ces entreprises et ont cessé de produire, même pour leur propre consommation. Une partie de notre travail sur le terrain consiste à promouvoir les potagers.

Comment le TECAM facilite votre processus organisationnel en tant que femmes?

Laura Giraldo: Nous sommes une organisation composée majoritairement de femmes. Nous avons pris la décision d’avoir une coordination conjointe. Nous n’avons ni président, ni vice-président, ni aucune hiérarchie de ce type. Nous sommes quinze femmes et deux hommes. Les hommes sont là parce qu’ils soutiennent la lutte contre le patriarcat et le machisme.

Au sein du TECAM, nous parlons d’une organisation de femmes et nous sommes affiliées à des organisations féministes aux niveaux national et international, car pour nous la défense des femmes est très importante.

Historiquement, les femmes ont été associées non seulement aux soins, mais aussi à l’alimentation. Non seulement parce que l’histoire le dit, mais aussi parce que, fondamentalement, elles veillent toujours à ce que les gens mangent bien, se nourrissent bien. C’est en partie pour cela que nous travaillons sur le thème des potagers: pour que les femmes recommencent à produire leurs propres produits, mais de manière plus consciente et autonome.

BS: ¿Cuáles han sido los retos o los desafíos en la construcción del TECAM?

Quels ont été les défis à relever lors de la construction du TECAM?

Laura Giraldo: Le premier défi auquel nous avons été confrontées en tant que femmes dans ce processus est la violence politique.

Lorsque nous avons analysé la création de la Plateforme, nous avons décidé qu'il s’agirait d’une coordination conjointe, sans la forme hiérarchique linéaire que l’on observe dans la plupart des organisations, car plusieurs d’entre nous avaient déjà subi des violences politiques dans d’autres espaces. Plusieurs d’entre nous sommes des leaders depuis longtemps, nous travaillons dans d’autres organisations et nous avons fait face à des espaces où existait une sorte de monarchie, dans laquelle les hommes, dans la plupart des cas, ne voulaient pas et ne veulent toujours pas écouter la voix des femmes. Nous donnions notre avis et ils ne nous écoutaient pas.

C’est dans ce sens que nous avons décidé de créer une organisation. Nous nous sommes rencontrées plusieurs fois par hasard et nous avons dit: « Il faut créer ici une organisation qui ne soit pas patriarcale, où toute personne qui le souhaite puisse participer à la coordination ». Nous avons constaté que celles qui désirent le plus participer à ces processus de défense du territoire, ce sont les femmes.

Parfois, on dit des femmes leaders que nous sommes désœuvrées, que nous avons du temps. Cependant, nous n’avons pas de temps, mais nous l’arrachons de force. J’ai trois enfants, je suis mère, épouse et j’adore étudier. De plus, je travaille quand je peux. Pour la plupart de mes collègues, c’est la même chose: elles ont des enfants, leurs fermes et doivent accomplir d’autres tâches. Mais nous trouvons le temps et l’espace nécessaires pour participer à ce processus.

Nous sommes également confrontées à des difficultés économiques, car dans ce processus nous travaillons pour la plupart de manière volontaire et il est difficile d’obtenir des ressources. Au sein du TECAM, il faut mettre en place différentes étapes pour nous réunir, organiser des assemblées et mener tout le processus. Cela nécessite de l’argent.

C’est complexe, c’est un défi, mais nous avons réussi à le relever grâce à certains alliés que nous avons trouvés dans des organisations et aux contributions des gens eux-mêmes. Par exemple, si nous organisons une assemblée, nous demandons généralement aux familles d’apporter ce qu’elles ont chez elles. Un déjeuner communautaire est préparé et les gens apportent des pommes de terre, du manioc, des bananes plantains. Cela favorise l’autonomie.

VIII Asamblea del CNA.

L’autre défi auquel nous sommes confrontées est sans aucun doute celui des institutions. Au niveau local, nous ne bénéficions d’aucun soutien. Nous devons donc passer outre ce niveau. C’est ce que nous faisons avec le TECAM, qui nous permet d’être en contact avec le niveau national, où nous bénéficions d’un soutien et d’un accompagnement plus importants.

Cela nous a donné de l’autonomie, mais ça dérange un peu au niveau local, car ils aimeraient contrôler toutes les organisations et les maintenir dans l’ombre. Or, ils ne peuvent le faire que si celles-ci dépendent d’eux, ce qui n’est pas notre cas, car nous avons gravi les échelons pour obtenir des ressources à un autre niveau. C’est un défi de taille, car nous sommes confrontées à l’opposition du gouvernement local. Nous organisons des événements et ils organisent des événements parallèles le même jour pour que les gens ne viennent pas. Malgré tout, nous continuons et avons décidé d’aller de l’avant.

VIII Asamblea del CNA.

Un autre défi est la participation. Nous voulons que ce processus soit très fort en matière de participation. L’élaboration du Plan de vie doit être très participative. En même temps, nous faisons partie de plusieurs organisations. Nous disposons d’une base sociale solide qui nous permet de générer ces niveaux de participation. Nous avons travaillé sur des thèmes virtuels et en présentiel. Nous profitons de tout espace dont dispose chaque organisation pour avancer dans l’élaboration du Plan de vie. De nombreuses femmes font partie de l’Association des conseils d’action communautaire de la municipalité et, avec cette association, nous avons progressé dans l’élaboration du plan. De même, nous avons formulé un Plan de développement communautaire qui est en totale adéquation avec le Plan de vie, nous avons donc déjà fait un grand pas en avant.

Actuellement, nous examinons les informations dont nous disposons et celles qui nous manquent afin de rendre le processus beaucoup plus participatif, et nous commençons à compléter les informations avec l’aide des gens. C’est un défi, car nous rêvons que beaucoup de gens puissent donner leur avis, examiner, partager des idées et compléter. Cependant, toutes les informations dont nous disposons déjà ont été validées par les conseils d’action communautaire et les autres organisations avec lesquelles nous travaillons.

 

 

VIII Asamblea del CNA.

Concernant le Plan de vie, quels aspects avez-vous dû ajouter par rapport au Plan de développement?

Laura Giraldo: Nous avons beaucoup travaillé à l’élaboration d’une cartographie. Dans le Plan de développement, nous avions déjà identifié tous les besoins. Le Plan de vie doit avoir une approche territoriale. Nous avons donc dû réaliser des cartes et commencer à localiser les besoins, les problèmes et ce type d’informations sur des cartes.

Une équipe se consacre à la cartographie sociale. Nous sommes également aidés par un topographe. Notre avantage est d’avoir des accompagnateurs. Plusieurs personnes sont expertes en cartographie, car c’est un domaine complexe. Au niveau local, nous ne maîtrisons pas beaucoup ces questions, mais nous bénéficions d’un soutien. Nous disposons déjà de plusieurs cartes sur lesquelles sont reportées les informations relatives à ce territoire, ou les zones importantes sur le plan environnemental.

Un réseau de réserves et de toutes les rivières importantes a été identifié. L’eau est vitale pour les femmes, c’est pourquoi nous avons cartographié les sources d’eau et les zones à protéger. C’est un travail très intéressant que nous avons réalisé pour le TECAM.

VIII Asamblea del CNA.

Pour les ateliers de cartographie, nous imprimons de grandes cartes et les gens y indiquent les éléments importants à mesure que nous leur posons des questions, en fonction des besoins que nous avons dans le cadre du Plan de vie. On demande, par exemple, quels sont les besoins en matière de santé. Les gens cartographient alors les centres de santé et les voies d’accès aux postes de santé. En matière d’éducation, nous identifions l’état des écoles, leur emplacement et les endroits où elles sont nécessaires. Et ainsi de suite pour tous les sujets liés aux droits fondamentaux de la population.
 

VIII Asamblea del CNA.

Nous avons également une forte composante de victimes, car la municipalité où nous nous trouvons a été victime de violences. Nous associons la recrudescence actuelle de la violence dans tout le pays à la question politique. À l’approche des prochaines élections, la violence recommence à s’intensifier.

Nous avons dû mettre l’accent sur le soin, l’autosoin et la protection. Nous avons élaboré un plan uniquement pour cela, car certaines ont déjà subi des problèmes de sécurité liés à ce processus. Il existe des menaces et même des attentats qui ont touché des camarades. Nous travaillons avec acharnement à prendre soin de nous, car cela nous met en danger. Cela implique d’identifier quels sont les facteurs de risque et quelles pourraient être les manières de surmonter ce type de situations si elles se produisent. Nous avons dû l’intégrer au processus, car c’est vital.

VIII Asamblea del CNA.

Comment imaginez-vous le TECAM dans 10 ans?

Laura Giraldo: L’une de nos craintes concerne les multinationales. La concession de l’entreprise existante a déjà été renouvelée. Elle dispose désormais d’une nouvelle concession pour 30 ans. Elle détient des titres sur toute la zone autour du TECAM, et possède également plusieurs titres sur le territoire. Cette seule entreprise (Atico Mining) a demandé à ce que son titre soit intégré à d’autres, de manière à disposer d’une zone gigantesque. Et cela ne concerne qu’une seule zone.

Le Carmen de Atrato est titré, je dirais à plus de 70 % par Atico Mining et d’autres entreprises, également à capitaux internationaux. Notre crainte est que cette intégration des titres aboutisse et que nous n’ayons aucun moyen de nous exprimer.

VIII Asamblea del CNA.

Quel est notre rêve? Avoir la capacité de prendre cette décision. Que dans dix ans, nous puissions dire: « Bon, le TECAM est désormais une réalité ». Que ces entreprises, ou toute autre entreprise extérieure qui arriverait, doivent nous consulter en tant que gouvernement autonome et que nous ayons la possibilité, en tant que gouvernement autonome, de dire: « Non, ce n’est pas ce que nous voulons » ou de dire : « Oui, c’est ce que nous voulons, nous voulons de l’eau, nous voulons la vie, nous voulons cultiver ».

Que nous puissions décider de notre territoire. Nous ne pouvons pas le faire pour le moment. Le TECAM nous donne la possibilité de dire non ou oui, mais avec une conscience plus large de ce que nous approuvons ou n’approuvons pas.

Nous ne pouvons pas dire que toute l’organisation est anti-minière, mais une partie d’entre nous n’est pas d’accord avec son expansion, car l’expansion de l’exploitation minière, des microcentrales ou de toute autre chose signifie notre destruction en tant que paysans, c’est notre disparition.

VIII Asamblea del CNA.

Il y a eu une expérience à l’endroit où se trouve actuellement la mine, où celle-ci a été détruite et où l’eau a disparu. Les gens n’ont pas pu replanter, ils ont dû se déplacer et vendre à perte, pratiquement. Si cela se produit dans le reste du territoire, ce serait désastreux pour nous.

Notre rêve est de pouvoir décider et de pouvoir dire à nouveau que les gens ont leur propre nourriture, qu’ils ne dépendent plus autant d’une entreprise, d’un maire, de la politique ou de la corruption pour être bien et vivre dans des conditions dignes.

C’est ce que j’aimerais voir, qu’avec notre processus, dans dix ans, les gens soient heureux, que nous ayons de l’eau, que nous puissions continuer à semer. C’est notre rêve. Cela semble simple, mais c’est complexe en raison de la situation dans laquelle nous nous trouvons et des menaces auxquelles nous sommes confrontés.

 

Traduction libre.

*Betty Saucier, anthropologue et membre du PASC

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PASC