Colombie, le 11 mai 2021
Dans la nuit du 10 mai 2021, 13e jour de la grève nationale, notre équipe a subi une attaque de l’escadron mobile antiémeute (Esmad) de la police nationale. Deux journalistes qui couvraient les manifestations au Portal de las Americas à Bogotá ont été poursuivis et agressés alors qu’ils faisaient leur travail et tentaient d’honorer le droit de la population d’être informé.
L’équipe de Colombia Informa est très préoccupée par la hausse du nombre d’actes de violence perpétrés par les forces de sécurité contre des manifestants. Les plus récents chiffres relatifs aux violations des droits de la personne et du droit international humanitaire indiquent qu’entre le 28 avril et le 10 mai, 52 personnes ont perdu la vie, 489 ont été blessées, 435 ont été portées disparues, 1 365 ont été détenues arbitrairement, 15 ont subi des violences sexistes et 709 plaintes pour abus d’autorité ont été déposées. Par ailleurs, depuis le 28 avril, 122 attaques contre la presse indépendante ont été signalées dans le cadre de la grève nationale.
Nous connaissons ces chiffres grâce au travail acharné des défenseurs des droits de la personne qui, avec la presse, mettent leur vie en danger chaque jour et chaque nuit pour pouvoir raconter ce qui se passe en Colombie, raison pour laquelle nous sommes en alerte rouge. Le gouvernement nie et cache les résultats de ses interventions qui vont à l’encontre du droit légitime de protester et d’être en désaccord.
L’Agence de Communication du Peuple Colombia Informa rejette et condamne l’attaque que deux de ses correspondants ont subie de la part de l’Esmad, alors qu’ils effectuaient de manière tout à fait légitime leur travail, et nous la comprenons comme une attaque contre toute notre équipe. Comme le dit l’une des nombreuses œuvres graphiques qui ont circulé ces derniers jours, nous disons aux forces de police de ne pas tirer, que nous sommes sans armes. Cela dit, nous avons la joie de savoir que nous sommes camarades et que nous avons le rêve d’un pays meilleur.
Lorsqu'un gouvernement a si peur de ce que la presse peut rapporter, c'est parce que ce gouvernement a peur de la vérité. Nous savons déjà qu’Iván Duque fait du mauvais travail, que ses politiques veulent affamer le peuple tandis que lui et sa clique continuent à bénéficier de tous leurs privilèges et plus encore. Mais Duque doit savoir que ses balles, ses gaz, ses matraques, ses tanks et sa politique de mort n’arrêteront pas notre lutte.
Nous rappelons au gouvernement l’article 12 de la loi 51 de 1975 [en espagnol seulement] : « Les agents publics et notamment les autorités de police garantissent la libre circulation des journalistes et leur accès aux lieux d’information, pour le plein accomplissement de leur mission d’information, sauf dans les cas réservés par la loi. La violation des dispositions ci-dessus constitue un motif de faute, passible de licenciement ».
Le travail des médias et des journalistes est indispensable pour pouvoir contrôler les actions des forces de sécurité. C’est pourquoi ils nous tirent dessus. Cependant, nous demandons à la police nationale de mener une enquête approfondie sur la discipline de ses membres pendant cette grève.
Nous savons que, s’ils le font, le résultat sera de cacher qui donne les ordres d’attaquer le peuple. Pour cette raison, nous nous joignons aux demandes de démantèlement de l’Esmad, car ce n’est que lorsque cet « escadron de la mort » n’existera plus, ni aucun autre escadron de ce type, qu’il sera possible d’exercer le droit du citoyen à protester sans craindre de sortir dans la rue et de ne pas rentrer chez soi.
En raison de l’importance de chaque histoire, nous partageons ci-dessous l’histoire et la dénonciation de Javier Jiménez, correspondant de Colombia Informa qui a été attaqué par l’Esmad :
« La couverture a commencé aux premières heures du 10 mai, où des jeunes se sont rassemblés pour une occupation des lieux près du Portal de las Americas. Cette mobilisation a été dispersée par l’escadron mobile antiémeute vers 8 heures du matin.
Malgré l’assaut violent des autorités, la mobilisation se consolidait. Vers 16 heures, la mobilisation était à la fois massive et pacifique. Elle se concentrait à trois endroits différents, tous situés sur l’avenue Ciudad de Cali, dans le secteur d’El Tintal.
Il était environ 19 heures lorsque l’Esmad a commencé à disperser les manifestants, qui se trouvaient sur l’avenue Villavicencio et Ciudad de Cali. À ce moment-là, nous avons commencé notre première diffusion en direct, par le biais du réseau social Instagram (vidéo enregistrée sous le nom d’IGTV). Nous avons souligné l’important déploiement policier et la manière violente dont l’Esmad a fait irruption dans une mobilisation totalement pacifique.
Vers 21 heures, pendant la diffusion du Facebook Live, la police s’est avancée à l’angle de l’avenue Ciudad de Cali et de la Calle 53. L’un des trois tanquetas (camions blindés) qui ont été utilisés pour disperser la mobilisation à cet endroit avançait également et s’est arrêter soudainement devant les journalistes. Dans la vidéo que nous avons enregistrée, vous pouvez clairement voir comment, depuis l'intérieur du véhicule, ils tirent sur la presse rassemblée à cet endroit.
J’ai été rapidement aidé par d’autres journalistes et par le personnel de premiers secours qui se trouvait sur place. Une fois la plaie examinée (sur ma jambe droite, sous le genou), je me suis rendu à l’hôpital où le rapport médical indique qu’il s’agit d’une plaie ouverte de 15 mm de profondeur. Une blessure osseuse a été exclue et la plaie a été suturée avec 6 points de suture.
Dans la vidéo en direct (qui constitue une preuve de l’agression), il est clair que le groupe de personnes qui se trouve à cet endroit est clairement identifié comme étant la presse. Tout comme moi, Javier Jiménez. Je portais une veste de presse, une carte Colombia Informa, un casque noir avec le mot “PRESS” écrit en lettres argentées et un masque à gaz (un élément utilisé par la plupart des journalistes dans ces manifestations).
Le projectile que j’ai reçu sur ma jambe droite est, apparemment, un tir direct de gaz lacrymogène depuis l’intérieur du véhicule de l’Esmad. Il est possible de le constater en visionnant la vidéo. On peut voir que le tir est direct et qu'il n'est pas conforme à la réglementation qui exige l'utilisation de ce type d'appareil (qui doit être lancé de manière parabolique). De même, nous pouvons voir que le char s'arrête et que les hommes en uniforme ont le temps - depuis l'intérieur du véhicule - d'identifier le personnel de presse.
« Je rejette totalement cette attaque directe contre moi. Et je demande à la communauté nationale et internationale d’interdire l’utilisation abusive d’armes par les Esmad. Il est clair qu’ils tirent “pour tuer”, ce qui démontre le caractère mortel évident de ces dispositifs pour les personnes ».
Nous sommes infiniment reconnaissants à toutes les personnes qui se sont préoccupées de nous. À toutes les organisations qui ont manifesté leur solidarité et leur préoccupation face à cette attaque. Nos camarades vont bien. La grève se poursuit et nous continuerons à vous tenir informés.
L’équipe de Colombia Informa