Le 19 décembre dernier, le Conseil académique facultaire des sciences entérinait la création de la Chaire de recherche-innovation Osisko en géologie de l’exploration minière. Le financement de cette chaire sera exclusivement fourni par la Corporation Minière Osisko dont le siège social est à Montréal et qui exploite la mine d’or dans la petite ville abitibienne de Malartic. Cette mine à ciel ouvert au cœur de la ville située entre Val d’Or et Rouyn-Noranda a fait couler beaucoup d’encre dans les médias depuis quelques années déjà. Cette compagnie s’engage à verser 500 000$ sur cinq ans à la Chaire afin de payer le salaire d’un professeur sous octroi, c’est-à-dire principalement pour faire de la recherche et diriger des étudiants aux cycles supérieurs. Sur ce demi-million, un petit 5000$ par année sera attribué en bourses aux étudiants. Le département des sciences de la terre et de l’atmosphère de l’UQAM, dirigé par Enrico Torlaschi, semble être l’instigateur de ce partenariat et le titulaire de la chaire sera Michel Jébrak, professeur de ce même département.
Osisko a récemment donné 4,1 million de dollars et 575 000$ à l’Université McGill et à l’Université Laval respectivement pour des projets similaires. Ce partenariat sera favorable à la recherche dans le champ spécifique de l’exploration minière à l’UQAM ce qui, selon les promoteurs de l’entente, devrait bénéficier aux étudiants dans ce champs d’étude.
Un mauvais citoyen
Or, la Corporation Minière Osisko n’a pas la meilleure feuille de route quant à son respect des communautés qui vivent avec les conséquences de ses activités. L’expropriation de centaines de résidents de Malartic a bien sûr beaucoup fait jaser. Ainsi, bien que la très grande majorité des propriétaires ait réussi à trouver un terrain d’entente avec la minière au sujet des compensations financières liées aux déménagements, la compagnie – dont la capitalisation boursière dépasse 3 milliards de dollars – savait qu’ultimement elle pourrait faire exproprier les propriétaires récalcitrants. Ces négociations étaient loin d’être menées à armes égales.
Aussi, entre août 2009 et août 2012, le ministère du Développement durable, de l’Environnement, de la Faune et des Parcs (MDDEFP) a reçu 976 plaintes de citoyens concernant la construction ou les opérations de la mine d’or de Malartic. Suite à ces plaintes, le ministère a émis 64 avis d’infraction contre la Corporation Minière Osisko. Aussi, le 28 novembre dernier, la Sûreté du Québec a perquisitionné les bureaux d’Osisko à Malartic, soupçonnant que cette dernière cache des informations au MDDEFP. Ces infractions sont reliées aux niveaux de bruit, aux vibrations et à la poussière très importants qui proviennent de la mine et de ses dynamitages.
Plutôt que de reconnaître ses torts, la compagnie tente de faire pression sur le MDDEFP et les citoyens de Malartic en mettant à pieds 150 employés contractuels promettant de les réembaucher lorsque les normes de bruit seront abaissées. Le comité de suivi créé à la suite d’une recommandation du Bureau d’audience public sur l’environnement (BAPE) et qui doit tenter de faire un pont entre la communauté et la compagnie minière, dénonce les rapports de force inégaux entre la minière et les citoyens dans la situation actuelle et ses membres menaçaient récemment de démissionner en bloc.
Multirécidiviste, Osisko semble assez peu se préoccuper de son acceptabilité sociale, une notion qui est d’une importance capitale dans le paradigme du développement durable qui prévaut au Québec. En effet, cette vision du développement tente d’atteindre un équilibre entre trois sphères souvent conflictuelles : les questions environnementales, sociales et économiques. Or, c’est beaucoup par l’acceptabilité sociale des projets que l’on peut délimiter une aire de compromis entre ces trois sphères. L’acceptabilité sociale des projets de développement économique devient donc un critère capital de décision permettant de trancher ces épineuses questions. Tant que le développement durable est le modèle dominant, il faut s’acharner à faciliter l’information et la participation citoyenne afin de s’assurer que nul ne le contourne trop aisément.
Une association problématique
Devrait-on se surprendre que l’UQAM, chef de file en recherche environnementale au Québec depuis 1973 s’associe avec une compagnie qui a une aussi mauvaise réputation ? Malheureusement, en 2013 la réponse semble être : pas vraiment.
En septembre 2013 démarrera à l’UQAM un nouveau programme d’étude, le baccalauréat en sciences naturelles appliquées de l’environnement. Ce programme, rattaché à la Faculté des sciences, et donc directement au Département des sciences de la terre et de l’atmosphère, évacue toute forme de formation à la pensée critique, assise même de la réflexion environnementale à l’UQAM depuis ses débuts, dans le sillage des travaux de Pierre Dansereau. Ce nouveau programme n’est pas rattaché à l’Institut des sciences de l’environnement, contrairement à la maîtrise et au doctorat en sciences de l’environnement, étant probablement trop critique au goût de la faculté. L’une des spécialités de cet Institut est la réflexion sur l’acceptabilité sociale du développement économique.
La justification de la création de ce baccalauréat délesté de toute considération critique ou épistémologique est simple, c’est la logique du marché. D’un côté la demande : nombreux sont les étudiants qui désirent recevoir une formation en environnement notamment afin de concilier un certain idéalisme tout en s’ouvrant des opportunités d’obtenir un emploi dans ce domaine en expansion. De l’autre côté se trouve l’offre, celle d’une faculté qui voit ses inscriptions constamment diminuer et qui cherche des charges de cours à offrir à ses professeurs.
La pensée critique, sociale et environnementale, sacrifiée au nom de la logique de marché, il n’y a là rien de très nouveau, mais ce n’est pas une raison pour ne pas dénoncer cette situation. Il n’est pas question ici de dire que la Corporation Minière Osisko est à l’origine de cette dérive de notre université, mais la convergence d’intérêts entre la Faculté de sciences et ce contrevenant multirécidiviste est pour le moins troublante.
Source : L'Union Libre, édition de Janvier 2013