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17/04/2012

Carlos Olaya Rodriguez, syndicaliste colombien, explique comment les multinationales sont au cœur du conflit dans son pays. Il raconte comment les Etats-Unis et leurs vassaux ont développé le concept de guerre de basse intensité contre un mystérieux ennemi intérieur. Une cible pratique pour désigner toute personne qui se trouve sur le chemin des multinationales.

Des milliers de civils ont ainsi été déplacés ou assassinés pour permettre l’exploitation des matières premières. Carlos Olaya Rodriguez attire également l’attention sur le fait que la Colombie est une véritable poudrière qui pourrait déstabiliser toute la région si une solution pacifique n’est pas apportée au conflit.

La Colombie est devenue un grand terrain d’expérimentation de la contre-insurrection ou ce qu’ils appellent une guerre de faible intensité. Les Etats-Unis avaient d’abord développé la théorie de la sécurité nationale. Ensuite, ils ont décidé de mener une guerre sale, une guerre de faible intensité de telle sorte que la Colombie allait devenir un champ d’expérience pour ce genre de conflit.

La guerre de faible intensité est caractérisée par le fait que l’ennemi est intérieur. Aujourd’hui, le mur de Berlin est tombé et on ne peut plus assimiler cet ennemi au communisme. On ne peut plus dire que tous les opposants colombiens sont des communistes, ça ne colle plus. Alors, ils ont mis au point ce concept d’ennemi intérieur en Colombie. D’abord pour désigner les narcotrafiquants, ensuite les terroristes. Et finalement, un ancien ambassadeur US en Colombie, Louis Tambs, qui avait déjà officié au Salvador quand ce pays était en guerre, a mis au point par un tour de passe-passe extraordinaire le concept de narcoterroriste pour définir les insurgés colombiens !

 

Ce concept s’étend en fait à tous les mouvements sociaux de protestation. La théorie de l’ennemi intérieur implique nécessairement la destruction de cet ennemi. Mais si vous analysez de près les stratégies nord-américaines, vous constaterez que l’ennemi intérieur ne va jamais disparaître. Au contraire, l’ennemi doit être maintenu et la guerre doit continuer pour poursuivre la répression et permettre aux multinationales de s’emparer des matières premières, des marchés, des infrastructures et des finances de la nation.

 

Si bien que les ennemis de l’intérieur ne sont pas nécessairement les insurgés. Ca peut être ceux qui ont la malchance de se trouver au mauvais endroit. Imaginons que j’habite près d’un puits de pétrole : je deviens un ennemi de l’intérieur et il faut me déloger. En Colombie, le comble du cynisme a été atteint puisque les gisements pétroliers et les mines sont déclarés « territoires supranationaux » : aucun Colombien ne peut pénétrer une zone que délimite une couronne de 5 km de profondeur tout autour du centre concerné.

 

70% de l’armée colombienne sont consacrés à garder les installations énergétiques, pétrolières et minières. Il y a donc eu l’idée d’instrumentaliser la guerre en Colombie. Cette guerre a débuté en 1948, pour la défense de la petite propriété agricole er des revendications agraires fondamentales. Ensuite, à partir de 1964, c’est devenu pour certains une guerre pour le socialisme et la libération nationale. Mais les forces réactionnaires ont fait de ce conflit une guerre contre-insurrectionnelle, une guerre menée contre les populations civiles dans le but de vider des territoires de leurs habitants pour mieux en contrôler les ressources.

 

Quels résultats ? Observons par exemple le cas d’Uraba ou celui de Catatumbo : des centaines de milliers de personnes ont été expulsées et des dizaines de milliers d’autres ont été assassinées. A Cesar, où se trouvent les mines de charbon les plus importantes, de milliers de personnes ont été déplacées.

 

Un autre exemple éloquent. La société Greystar devait exploiter des gisements à Santander. Mais la population a manifesté contre le gouvernement qui avait octroyé à la firme un permis pour saccager tout un haut plateau. Si bien que le gouvernement a dû faire marche arrière. Hélas, ce n’était qu’un leurre car au même moment, des groupes de paramilitaires ont pénétré dans la région. Ils ont menacé les leaders du mouvement de protestation et commis toutes sortes d’exactions. Une partie de la population a commencé à être déplacée. Ensuite, la Greystar qui avait officiellement annoncé se retirer du projet, est revenue à la charge sous un autre nom, à travers une filiale, et avec un nouveau projet d’exploitation : finalement, ce ne sera plus une mine à ciel ouvert mais une mine en profondeur !

 

La Colombie, poudrière de l’Amérique latine ?

 

Un autre élément important : la Colombie est la clé des Etats-Unis dans la région. Le niveau de militarisation est devenu tellement important que si un conflit régional devait éclater, il est probable que l’armée colombienne remporterait la victoire. Cette armée a 60 ans d’expériences, dispose de la technologie la plus avancée du monde et peut compter sur des conseillers US. De plus, il y a plus de 4000 militaires nord-américains sur le territoire.

 

Dans ce conflit qui traverse l’Amérique latine pour les contrôles des ressources, la Colombie joue un rôle central dans le déséquilibre régional. C’est pourquoi nous devons impérativement trouver des formules honorables pour imposer la paix en Colombie. Si nous ne trouvons pas de solution, il pourrait y avoir un conflit régional aux proportions immenses. Car les multinationales ne vont pas renoncer à des choses aussi simples que les 450 milliards de barils de pétrole situés dans le bassin vénézuelien de l’Orénoque et qui échappent aujourd’hui à leur contrôle. Elles ne vont pas renoncer aux 80 milliards de barils du Pré-Sal brésilien et pour lesquels les Brésiliens disent : « Pas touche ! ». Elles ne vont pas non plus renoncer au gaz naturel de la Bolivie.

 

Il y a donc un danger d’embrasement car la Colombie n’est pas viable. Certes, c’est un Etat fort qui repose sur une dictature militariste terrible. Mais en tant que nation, la Colombie reste faible tant qu’elle n’aura pas résolu les problèmes de la guerre. C’est pour quoi ramener la paix en Colombie est nécessaire pour apaiser les tensions qui traversent toute l’Amérique latine. Et beaucoup de gens sont intéressés pour trouver une solution à ce problème. Pour ma part, je ne demanderai pas que les gouvernements européens interviennent car ils soutiendraient les mauvaises personnes. Mais beaucoup de membres des organisations sociales, ici en Belgique ou ailleurs, peuvent jouer un rôle important en faveur de la paix en Colombie.

 

Sur les cartes ci-dessous, on peut voir que la localisation des grands projets des multinationales correspond avec l'implantation des groupes paramilitaires et les zones de déplacement des populations.

 

 

 

 

 

 

Avec l'aimable participation de Pedro Nolasco Présiga correspondant à Bruxelles (Belgique) de l’hebdomadaire VOZ

Carlos Olaya Rodriguez,  Traduit de l'espagnol par Manuel Colinas pour Investig'Action-michelcoloon.info, le 5 avril 2012

Author
Carlos Olaya Rodriguez,