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27/01/2012

L’automne dernier, les étudiant-e-s colombien-ne-s ont tenu une grève nationale de plus de 3 mois mobilisant plus de 500 000 étudiant-e-s au pays. Ce mouvement de contestation face à une annonce de réforme néolibérale du financement de l’éducation, considéré victorieux, a toutefois été marqué par une violence policière sévère et même par la mort d’un étudiant, Jan Farid Cheng Lugo, assassiné par la police le 12 octobre lors d’une manifestation à Cali.

Amèrement, force est d’avouer que le mouvement étudiant colombien est marqué par un long historique de répression, renforcé par un contexte sociopolitique excessivement difficile pour les mouvements sociaux. Dans ce contexte, chaque année, les dates des 8 et 9 juin sont commémorées en tant que “Jour de l’étudiant”, en mémoire de tous les étudiants morts au fil des ans au début du mois de juin. Le 7 juin 1929 à Bogota, Gonzalo Bravo Pérez est le premier étudiant à être tué par les forces de l’Ordre au pays, atteint au dos par le tir d’un membre de la Garde Présidentielle lors d’une manifestation. 25 ans plus tard, le 8 juin, lors d’une marche commémorant sa mort, un étudiant est tué à l’Université Nationale. Le lendemain, une marche de contestation fut organisée et interrompue par un bataillon de l’armée qui assassinera 9 autres étudiants.

Depuis, le visage de la répression a évidemment changé. Le dernier événement marquant lors duquel l’armée et la police interviendront dans le cadre d’une manifestation étudiante est le 16 juin 1984, date à laquelle le campus de l’Université Nationale à Bogota sera vidé violemment; les témoignages sont confus et il n’existe pas de version officielle claire, mais il y eut bien un massacre (à ce jour impuni) et des arrestations de masse à cette date, après quoi l’université a fermé ses portes durant un an.

Dans les années 90, un nouveau corps de police, l’ESMAD, est né spécifiquement «pour contrôler les émeutes», à l’image de la SWAT. Celui-ci, sensé utiliser des armes non léthales, utilise également des armes pouvant tuer. Le tir de grenades de dispersion directement sur des manifestant-e-s, ou encore le tir de ce qu’on appelle des «recalzadas» (des canettes de gaz lacrymogènes transformées en mitrailles, remplies de poudre explosive et de petits objets en verre ou en métal) et même le tir d’objets contondants comme recharges pour les fusils à balles de caouchouc ont été souvent répertoriés et dénoncés. L’ESMAD, comme le font ailleurs d’autres corps policiers du même genre, justifie souvent l’usage de la force avec des agents provocateurs.  «Ce qui est très curieux, témoigne une étudiante de l’Université Nationale, c’est que lorsqu’on parle de l’ESMAD dans les médias, on les décrit comme des sortes de casques bleus, sensés protéger la population, la même population à laquelle ils s’attaquent»; les faits de la brutalité policière, souvent sanguinaire, lorsque démontrés, ne seront pas rectifiés par les médias de masse, ce qui crée dans l’opinion publique cet imaginaire des policiers répondant de façon adéquate à des gestes violents, même si cette réponse est donnée à feu et à sang.

D’autres cas emblématiques plus récents de crimes impunis existent, comme celui de Nicolas Neira, un adolescent de 15 ans assassiné par l’ESMAD le 1er mai 2005. La version officielle de la police suggérait qu’il aurait été piétiné par les autres manifestant-e-s; en réalité, le jeune homme aurait été jeté au sol puis frappé à répétition par des policiers avant de mourir à la suite de ses blessures. Sans oublier Oscar Salas, mort le 8 mars 2006 lors d’une manifestation étudiante après avoir reçu une bille de verre dans la tête (tirée par un fusil à balles de caouchouc par un policier), fait démontré malgré les menaces de mort effectuées à sa famille, à leurs avocats et même au médecin légiste qui a dû s’exiler du pays pour ne pas avoir accepté la version de la police comme étant vraie: les forces de l’ordre disaient que Salas serait mort à cause qu’il manipulait des explosifs lors de la manifestation, et que ceux-ci lui seraient explosés au visage. En 2011, un ancien membre de l’ESMAD avoua qu’un ordre avait été reçu, suite à l’événement, de se débarrasser de toutes les armes trafiquées pour effacer les preuves.

Pour en revenir à la grève de 2011, elle ne fit pas exception en termes de brutalité policière, du moins dans un premier temps. Un exemple parmi trop d’autres: en septembre, l’université publique de Pamplona à Cucuta s’est mobilisée pour dénoncer l’usage de force excessive ayant eu lieu pour déloger les étudiant-e-s qui s’étaient installé-e-s dans l’université pour la nuit. «Ils nous ont presque tués» est l’affirmation générale des étudiant-e-s qui ont été attaqué-e-s par des «recalzadas», des gaz lacrymogènes et des balles de caouchouc à l’intérieur de l’immeuble vers les 2h30 du matin. Toutes et tous ont été sortis de force, «même les camarades enceintes et les enfants». Ils et elles ont d’ailleurs assisté à un saccage de leur université par les forces de l’Ordre.

Un fait important, l’image publique des manifestations étudiantes qui en était une, dans l’imaginaire populaire, d’émeutes menées par des «encapuchados» enragés s’en prenant à la police, a pourtant drastiquement changé quand des photos comme celle de cet étudiante embrassant un policier anti-émeute sur la joue sont apparues dans les médias. Même s’il est certain que cette photo a permis de rallier la population à la cause étudiante, beaucoup d’étudiant-e-s restent perplexes devant ce genre d’images. «Je comprend que certaines personnes soient fondamentalement pacifistes, mais de là à donner un baiser à un assassin?»

Réf. (en espagnol seulement):
Témoignages personnels d’étudiant-e-s préférant garder l’anonymat
http://funcomisionesmodep.org/index.php?option=com_content&view=article&id=96:mesa-amplia-nacional-estudiantil-qjan-farid-cheng-lugoq&catid=34:nacionales&Itemid=37
http://www.centromemoria.gov.co/conmemoraciones/406-8-y-9-de-junio-dias-del-estudiante
http://www.monografias.com/trabajos88/movimientos-estudiantiles/movimientos-estudiantiles.shtml
http://memoriaypalabra.blogspot.com/2008/01/16-de-mayo-de-1984-memoria-del.html
http://uruguay.indymedia.org/uploads/2008/10/la_verdad_de_una_masacre_16-84.pdf
http://www.anarkismo.net/article/13024
http://www.elespectador.com/esmad/columna189286-oscar-salas-y-victimas-del-esmad
http://notiagen.wordpress.com/2011/09/23/mas-de-5-000-estudiantes-de-la-universidad-de-pamplona-repudian-la-brutalidad-policial-y-marchan-en-defensa-de-la-universidad-publica/
http://enpositivo.com/2011/11/18282/
 

Author
PASC