Dans son discours d’investiture le 7 août 2011, le président Juan Manuel Santos a été emphatique en assurant que dans son gouvernement il y aurait cinq locomotives qui tireraient la Colombie vers le progrès : le logement, l’infrastructure, l’industrie minière, l’agriculture et l’innovation. Selon l’opinion des experts en environnement, dans le cas de l’industrie minière, le fait de courir vers le progrès laisse sous les rails l’avenir durable environnemental et culturel du pays.
(Foto: Susan Abad)
La Colombie conserve les plus grandes réserves carbonifères d’Amérique Latine, en plus de posséder de l’or, de l’argent, du platine, des émeraudes, du nickel, du cuivre, du fer, du manganèse, du plomb, du zinc et du titane.
« Cette richesse, ajoutée aux lois favorables qui régissent cette activité, fait qu’actuellement 40 % du territoire colombien est sollicité sous forme de concession pour l’industrie minière », assure Mario Valencia, du Réseau Colombien Face à la Grande Industrie minière Transnationale (RECLAME).
Les chiffres officiels confirment que l’exploitation de minerais est une grande affaire en Colombie. Les autorités du Commerce extérieur ont révélé que plus de 85 % de l’investissement étranger dans le pays se trouve dans l’extraction de minerais et d’hydrocarbure. Les statistiques montrent qu’entre 2002 et 2009 l’investissement dans ce secteur s’est élevé de 466 million de dollars à 3 milliards de dollars et les exportations ont progressé dès 2.8 milliards de dollars jusqu’à 8.1 milliards.
« Les lois accordent la priorité seulement à l’économique », assure Juana Díaz, porte-parole du Bureau des Territoires et de Biodiversité de l’Organisation Nationale Indigène de la Colombie (ONIC). « En 2001 le Code de Mines a été réformé avec la loi 685 qui est apparue très avantageuse pour les grandes entreprises. On perd alors la primauté de la propriété étatique sur les territoires miniers et l’inclusion d’éléments de protection de l’environnement et la reconnaissance de zones minières artisanales. De la même manière, il introduit quelques exigences que seules les entreprises multinationales peuvent tenir en ce qui concerne l’infrastructure, la machinerie et quelque chose de plus grave encore, il a éliminé la condition requise de permission environnementale pour l’exploration ».
De grands impacts
Cependant, l’abondance économique « ne se concilie pas avec l’environnement et le social et beaucoup d’autres coûts existent qui peuvent difficilement être évalués. Des ressources naturelles pas renouvelables sont extraites causant un grand préjudice au patrimoine collectif des Colombiens. Les licences d’explotation minières sont expédiées sans aucun type de rigueur, sans aucun type de qualification. C’était un système rempli d’absence de vision et d’irrégularités », dit Juan Mayr, ex-ministre de l’Environnement et conseiller du Programme de développement des Nations Unies (PNUD).
Les multinationales possèdent des concessions sur plus de 43,000 kms². « Pour mentionner un seul cas, [la compagnie minière sudafricaine] Anglo Gold Ashanti a 690.000 hectares dans les projets Gramalote à Antioche et La Colosa dans le Tolima, en gros, un territoire immense avec un impact sur des questions politiques et économiques et qui explique en grande partie les conflits sociaux qui sont vécus dans le monde de l’industrie minière et qui tendent à s’aggraver », assure le sénateur Jorge Robledo, du Pôle Démocratique Alternatif.
« La population paie et paiera des coûts élevés qui ne peuvent pas être évalués par l’économie », alerte le sénateur indigène Marco Avirama. « Dans le processus d’exploration et d’exploitation minière, et à cause des machines, véhicules et technologie employés, la stabilité des sols et de sa faune, de la flore et de l’eau est très affectée, causant la disparition de l’écosystème local, avec aucune possibilité de récupération. Dans le cas de l’extraction de l’or on a besoin de grandes quantités d’eau pour le séparer d’autres éléments et on utilise en plus du cyanure et du mercure qui après être arrivé dans les rivières devient un grand polluant ».
Selon l’Organisation des Nations Unies pour le Développement industriel (ONUDI), l’exploitation démesurée aurifère en Colombie a abouti à ce que la Colombie devienne le pays le plus contaminé par le mercure dans le monde. Des mesures réalisées par cet organisme ont déterminé l’année dernière, que dans la municipalité de Segovia, département d’Antioche, dans l’ancienne zone d’exploitation aurifère, le niveau de mercure par m3 air maximum de 10,000 nanogrammes permis par l’Organisation Mondiale de la Santé est dépassé entre 10 et 20 fois.
La ressource hydrique est aussi sérieusement menacée par l’exploitation à grande échelle. Un cas emblématique est la lutte que soutient la population du département de Santander au nord-est qui exige du gouvernement de ne pas donner le permis environnemental au projet dans lequel l’entreprise canadienne GreyStar cherche à sortir plus de 500,000 onces d’or par an en exploitant les gisements situés dans le Paramo de Santurbán, écosystème précieux protégé par la Constitution, où existent plus de 40 lagunes, des centaines de ruisseaux et une lvégétation abondante et variée captant et retenant l’eau.
« Avec l’exploitation seraient en danger les sources aquifères qui alimentent l’aqueduc métropolitain des villes de Cúcuta [Nord de Santander] et Bucaramanga [Santander], dont dépendent 1.6 million d’habitants », affirme Robledo. « Ils vont utiliser quotidiennement 40 TM de cyanure, 230 TM d’anfo. Ils vont dynamiter 1075 millions de TM de sol dans la première phase, hormis qu’ils le feront dans une zone de biotope néo tropical d’altitude et de réserve naturelle ce qui est interdit ».
« Et en même temps que cela a un impact sur l’environnement cela affecte aussi nos valeurs culturelles », remarque Avirama. « Les structures sociales et productives se troublent. Le paysan, l’indigène ou l’afro-descendent se trouve interdit d’eau et de territoire quelques fois de la part de ses propres camarades qui travaillent dans la mine de façon artisanale ou qui se sont ’vendu’ aux grandes entreprises. En plus de l’investissement qu’apportent les compagnies et l’argent qu’elles génèrent, elles apportent des coutumes qui ne sont pas en accord avec la forme de vie et les coutumes ancestrales de la population ».
Spoliation et déplacement
Un autre désavantage que les interviewés ont manifesté est la présence de groupes armés illégaux qui, attirés par la circulation d’argent, s’installent dans la région pour piller à leur compte, ou dans quelques cas se mettent au service des multinationales.
« La spoliation de la terre s’installe, [en même temps que] l’investissement étranger se renforce notamment dans l’industrie minière et la culture de la palme, ce qui est en relation avec les déplacements forcés », a dit Jorge Rojas, directeur du Conseil pour les Droits de l’homme et le Déplacement (CODHES). « Approximativement 32 % des 280.000 personnes déplacées qui se sont inscrites en Colombie en 2010, sont arrivées dans les zones où ces deux activités économiques ont progressé de façon notoire ».
Et dans ce cadre, le gouvernement a pris des mesures — comme faire des visites surprises dans les mines, retirer les permis pour insécurité, augmentation du montant des amendes et il prévoit la création de l’Agence Nationale de Minerais — pour régulariser la petite industrie minière, qui selon lui est la plus grande cause de contamination, tue le plus par son manque de sérieux et est devenue une nouvelle source de financement pour les groupes illégaux.
Cependant, Valencia considère que c’est aussi une façon de faire sortir ces mineurs de cette activité pour donner les concessions à de grandes entreprises.
« En Colombie il y a plus de 2 millions de mineurs artisanaux, à petite échelle, qui depuis longtemps ont survécu grâce à cette activité et le gouvernement essaie de leur prendre cette source de travail et de remettre l’exploitation aux grands projets miniers », affirme-t-il. « D’une façon détournée il a mis dans le même sac l’industrie minière artisanale avec celle qui est illégale, alors il acquiert l’autorisation pour les poursuivre de la même façon et trace le chemin aux grandes multinationales ».
Susan Abad, Noticias Aliadas. Pérou