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15/11/2006

ERA UN SUEÑO Y SE HIZO REALIDAD :

Des paysanNEs victimes de déplacements internes forcés ont unis leurs espoirs autour du projet de récupération de leurs terres, décidant de s'organiser en une Zone Humanitaire dans la région du Curvaradó. Les menaces, les massacres, les meurtres violents perpétrés par les Autodefensas Unidas de Colombia -AUC (paramilitaires) de pair avec les forces militaires contre les paysanNEs de cette région ont " étrangement " coïncidé avec la progression depuis 2001 de l'agro-industrie de la palme africaine (le type de palmier servant à la production d'huile de palme), dont les principales compagnies sont Urapalma S.A, Palmas de Curvaradó et Palmas de Urabá "Palmura". Ces compagnies spoliatrices bénéficient encore aujourd'hui de l'institutionnalisation du paramilitarisme (pour légaliser l' "illégal ") et jouissent de la protection des forces publiques. Les crimes liés à la palme africaine demeurant dans l'impunité totale, la Zone Humanitaire signifie une application du principe de protection des populations civiles, et surtout, pour ses habitantEs, un projet de dignité et de résistance.

Le Retour

Le 8 avril 2006, accompagnéEs de membres de diverses organisations non-gouvernementales colombiennes et internationales (dont deux accompagnatrices du PASC), ainsi que des représentants des Conseils communautaires avoisinants, les paysanNEs ont pris la direction vers le futur emplacement de la Zone Humanitaire. Après s'être vuEs empêcher d'utiliser la plateforme servant de traversier sur la rivière Curvaradó, appartenant à la compagnie Urapalma et surveillée par les militaires, ils-elles ont dû rebrousser chemin. Leur rage n'a fait qu'exacerber la volonté de retourner. Dès le lendemain, ils-elles ont fait un long détour par l'unique autre accès, un chemin contrôlé où le passage a dû être négocié premièrement avec des paramilitaires, puis avec des militaires, faisant le guet dans les petits villages à l'orée des milliers et milliers d'hectares exploités par les compagnies de palme africaine. Passé les enseignes disant "territoire privé Urapalma", des palmiers, des palmiers, une tour de surveillance de la Brigade 17 de l'armée nationale, visage d'une forteresse militarisée, puis d'autres palmiers et finalement ils-elles sont arrivéEs au terrain destiné à la construction de la Zone Humanitaire. Celle-ci allait s'aménager sur une partie de la terre de Don Enrique Petro, ce paysan ayant résisté au risque de sa vie pour tenir tête face aux menaces et l'expropriation. Malgré cela, sa propriété de 130 hectares a été semée illégalement de palme dans sa quasi-totalité. L'Institut colombien de développement rural (INCODER), qui a été mis au courant de l'intention de créer la Zone Humanitaire du Curvaradó, a notamment reconnu les titres de propriété de Petro et admis l' " erreur " de la compagnie Palmura d'avoir étendu leur exploitation à cet endroit. L'établissement de la Zone Humanitaire impliquait donc d'abattre, dans une symphonie de coups de machette, cinq hectares de palmiers prenant racine dans le sang. Depuis les déplacements forcés, les paysanNEs qui s'étaient réfugiéEs dans des petites agglomérations adjacentes, devant abandonner leur mode de vie rural et survivre tant bien que mal, n'avaient pas pu retourner librement aux lieux d'où ils-elles avaient été expulséEs. Et ce, pour une période de neuf ans. L'émotion était donc palpable lors de ces premiers moments de la création de la Zone humanitaire, quand les machettes faisaient tomber la palme, c'était aussi leurs craintes qui tombaient pour laisser place au courage de rebâtir une vie digne, basée sur l'agriculture de subsistance. La première journée de retour fut également marquée par un pèlerinage à Andalucía, un village devasté où, entre la palme africaine, se tiennent encore les ruines d'une école et les fondations de quelques maisons brûlées. Les paysanNEs avec amertume observaient ce décor triste, partageant leurs témoignages. Cet acte de récupération de la mémoire collective était suivi de près par des militaires épiant la scène. Le jour suivant, juste avant le départ des délégations venues appuyer le retour, des militaires se sont introduits pour observer ce qui avait été fait jusqu'alors, dissimulant difficilement leur intention de s'enquérir de l'état des dommages économiques liés à la palme coupée. Ces " visites " non souhaitées où venaient tour à tour les militaires, la police, des civils connus comme appartenant aux paramilitaires et palmiculteurs, ont été régulières au cours de l'établissement de la Zone Humanitaire et servent à créer un contexte d'intimidation, à recueillir de l'information au nom des entreprises et au service des intérêts capitalistes. Incursions, prises de photos sans autorisation, hélicoptères scrutant du ciel et surveillance constante, voilà le climat imposé. Par exemple, le 14 mai, quatre habitants de la Zone partis chercher du bois à proximité ont été abordés par une vingtaine de militaires de la Brigade dix-sept qui en les insultant, leur ont spécifié que : "La palmiculture ici va durer encore 30 ans, vous ne devez pas continuer à détruire les palmiers avant qu'il y ait eu une entente avec la compagnie 'Palmura'. Ce que vous faites est dangereux et si les 'gringos' partent, il va y avoir beaucoup de massacres ". De jour en jour, la Zone fut bâtie, un dur labeur qui impliquait la construction d'abris avec des troncs taillés à la machette soutenant des toits de plastique ou de tôle, servant de maisons, cuisine et lieux communautaires. Les ressources étaient rares mais la débrouillardise palliait aux manques. Des réunions quotidiennes, rassemblant les hommes, les femmes et les jeunes, servaient à planifier les tâches à exécuter et à long terme renforcer le sentiment de communauté. La récupération de terres s'est poursuivie à travers la constitution de la Zone de Biodiversité de Cetino sur les lieux de la pépinière des compagnies de palme africaine, installée sur la terre de la famille Renteria (dénonçant cet autre cas de spoliation et également l'impact écologique désastreux que cause la monoculture intensive de la palme). Le 5 juin, la famille Renteria et les habitant(e)s de la Zone Humanitaire sont partis pour entreprendre un travail de regénération de l'écosystème amenant des grains de riz, des jeunes pousses de plantain et d'autres boutures d'espèces natives qui formaient la végétation tropicale d'avant la déforestation. Ils-elles se sont réapproprié(e)s le territoire volé afin de lui redonner sa vocation première. Afin d'assurer la sécurité lors de la réalisation de cette action, des accompagnateurs-trices nationaux et internationaux étaient présents. Par aillleurs, une hélipcoptère faisait des rondes incessantes pour observer les moindres faits et gestes. À partir de cette date, la famille Renteria avec l'entraide des habitant(e)s de la Zone Humanitaire, ont pu également reprendre l'agriculture pour retrouver graduellement leur souverainté alimentaire, ainsi qu'un certain équilibre écologique. La création de cette Zone de Biodiversité s'est appuyée notamment sur la Convention sur la diversité biologique et les dispositions à ce sujet contenues dans certains instruments nationaux colombiens (Loi 99, art.109-110 et le Décret 1996 de 1999). Face au mouvement de résistance qui se déployait depuis quelques mois, les compagnies de palme ont invité des délégué(e)s de la Zone Humanitaire à une réunion pour les informer du projet de reconstruction du village d'Andalucía. À cette réunion étaient également présents, des individus de la région ayant manifesté leur accord avec ce projet -qui pourtant n'appartenaient pas à la communauté d'Andalucía d'avant sa destruction et donc n'étaient pas habilités à décider de son sort-, des administrateurs de la palme, des militaires et civils armés reconnus comme paramilitaires. On proposait à chaque nouvelle famille " colonisatrice " de se faire octroyer une maison, ainsi que cinq hectares à cultiver en échange de trois jours de travail pour les compagnies de palme. Le consentement des membres de la Zone Humanitaire (dont certains sont les légitimes fondateurs et propriétaires d'Andalucía) était important afin d'obtenir l'engagement que la palme ne serait plus coupée dans les environs. Alors que l'appropriation de ces terres s'est faite dans les circonstances tachées par la violence demeurant impunie et dissimulée sous le silence institutionnel, cette offre relevant du néo-esclavagisme fut proposée comme fausse réparation.

Projet de Loi 30 " sur le développement rural en Colombie": la stratégie du para-néoliberalisme s'intensifie

L'année 2006 a permis la mise en place des pièces cruciales sur l'échiquier de la stratégie du para-néoliberalisme : premièrement, en mars, la conclusion des négociations du Traité de libre-échange bilatéral USA-Colombie (TLC) a ouvert la porte à une série d'ajustements institutionnels et structurels constituant le dénommé "Agenda interne pour la productivité et la compétitivité", ou en d'autres mots : le cadre interne de soumission aux diktats de l'économie d'exportation. Puis le 28 mai, on assistait à la ré-élection de Alvaro Uribe Vélez, qui s'est déroulée dans des circonstances très contestables, possible suite à une modification de l'article 190 de la Constitution et l'adoption de la Loi de garanties (Loi 996 de novembre 2005), s'appuyant sur les assises de l'oligarchie au pouvoir, de la grosse machine médiatique qu'il contrôle et profitant de montages d'attaques à la voiture piégée organisés par les services secrets militaires. En somme, quelle démocratie en Colombie? Cette ré-élection d'Uribe va garantir l'adoption au Congrès de réformes en vue de la "stabilité juridique " que nécessite le TLC, ce qui assurément ira à l'encontre des droits des petits paysanNEs. Déjà, le Ministre de l'agriculture Andrés Felipe Arias a présenté au Sénat le projet de loi 30 "sur le développement rural en Colombie". La principale intention de cette loi est de légaliser les occupations de terres, clarifier les propriétés terriennes et les délimitations de celles-ci. Il s'agit en fait d'un ingénieux tour de "passe-passe " pour légaliser la spoliation qui s'est produite dans le Chocó dont les compagnies de palme africaine sont les responsables avec tous leurs complices armés. L'article 157 du projet de loi établit une nouvelle prescription d'acquisition d'un territoire délimité, pour ceux qui font la preuve d'une occupation continue et effective de ce territoire pendant une période de 5 ans. Ceci irait contredire les décisions dans l'octroi de titres collectifs en vertu de la Loi 70 de 1993 de l'Incoder. Ceci est une mesure venant se poser comme obstacle à l'organisation des déplacéEs internes voulant affirmer leur droit à la vie et à la souveraineté alimentaire. Ceci est un projet de loi de légalisation des déplacements internes forcés et de légalisation du paramilitarisme. C'est dans ce contexte que la Zone Humanitaire du Curvaradó signifie vraiment un projet de résistance, un projet réclamant que les droits des paysanNEs, déplacéEs afrocolombienNEs et métis(se)s soient respectés et que justice soit faite.
Author
PASC