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05/10/2010

Publié dans la Piedra no 7 Nous vous avons souvent parlé dans différents numéros du Caillou dans le soulier comment le phénomène du déplacement forcé en Colombie, conjugué à des politiques agraires néolibérales encourageant l’agro-industrie d’exportation, a engendré une concentration de la terre sans précédent dans le pays. En fait, depuis 2002, la tendance voulant que le nombre de paysans pratiquant l’agriculture de subsistance soit en constante diminution, n’a fait que s’accélérer. On assiste à une disparition graduelle des paysans autonomes, qui sont soit convertis en ouvriers agricoles, soit expulsés totalement des régions rurales vers les cercles de misère de bidonvilles urbains. Le dernier rapport de l'organisation CODHES [Boletín informativo de la Consultoría para los Derechos Humanos y el Desplazamiento, Número 76, Bogotá, 27 de enero de 2010. [www.codhes.org ]] fait état de chiffres alarmants ! Sous la politique de « Sécurité démocratique » du gouvernement de Uribe Velez, de 2002 à 2009, environ 2,4 millions de personnes ont été victimes de déplacement forcé. Cela signifie que sur un total de près de 5 millions de déplacés internes depuis les 25 dernières années, 48% l’ont été sous le gouvernement du président Uribe, soit dans les sept dernières années ! Malgré cela, le gouvernement continue de parler des gains et victoires sans précédents de sa politique de « Sécurité démocratique », prétendant avoir fait un « saut stratégique irréversible »… Le haut commandement militaire a même affirmé récemment que la « fin de la fin » de la guerre approchait… Dans le cadre du Plan Colombie, les États-Unis ont déboursé 5500 millions de $ U.S. dans la dite « lutte contre le narco-terrorisme » (lire guerre à la guérilla et aux mouvements sociaux), depuis 2002. Les données officielles concernant les prétendues victoires incontestables de la « Sécurité démocratique » sont pour le moins surprenantes. Selon les chiffres du Ministère de la Défense, de 2002 à 2008, on aurait capturé, abattu ou démobilisé plus de 60 000 guérilleros, toute organisation confondue. Ce chiffre est largement plus grand que ce qui existe réellement en termes de membres d’organisations armées insurrectionnelles (FARC et ELN) en Colombie ! Seulement pour les FARC, le Ministère parle de 19 818 guérilleros capturés, abattus ou démobilisés durant cette période, alors que leurs propres données indiquaient en 2002 qu’il n’existait alors que 16 905 membres des FARC. Ainsi, si on se fie aux chiffres officiels, les FARC seraient maintenant plus qu’exterminées... On peut alors sérieusement se demander pourquoi le gouvernement d’Uribe a signé un accord avec les Etats-Unis à la fin de l'année 2009 pour l’implantation d’au moins sept bases militaires américaines en sol colombien, avec le même objectif de lutte contre le narco-terrorisme qu’il y a sept ans ! Tout aussi incongrus, sont les chiffres officiels concernant le processus de la prétendue « démobilisation » paramilitaire. Alors que le gouvernement d’Uribe se vante actuellement d’avoir réussi à démobiliser plus de 35 000 paramilitaires entre 2002 et 2009, le Ministère de la Défense faisait état en 2002 dans ses rapport officiels de l’existence de 12 000 paramilitaires ! Il est plus qu’évident qu’on a voulu gonfler les chiffres… Comme l’a affirmé la Mission d’appui au processus de paix en Colombie de l’Organisation des États américains (MAPP/OEA), un nombre considérable de personnes dans les listes de démobilisés étaient des délinquants communs des zones d’influence paramilitaire à qui on a demandé de participer aux cérémonies de démobilisation en échange d’une rémunération.[Movimiento Nacional de Victimas de Crímenes de Estado, Fundación Comité de Solidaridad con los Presos Políticos y Corporación Colectivo de Abogados Jose Alvear Restrepo. Sin Justicia y Sin Paz. Verdad fragmentada, Reparacion Ausente. Bogotá, Octubre de 2009.]] Selon des organisations non gouvernementales colombiennes, il n'y aurait pas loin de 10 200 paramilitaires toujours actifs dans 24 des 32 départements du pays1 , agissant maintenant sous de nouveaux noms tels que « Aguilas Negras » ou « Organizaciones de la Nueva Generacion ». Ils ont changé de noms mais poursuivent les mêmes objectifs étatiques de répression politique au service de puissants intérêts économiques que le faisaient par le passé les Autodéfenses unies de Colombie. Pendant ce temps, on vient de découvrir dans le pays, en décembre 2009, la plus grande fosse commune de toute l’histoire récente de l’Amérique latine. Cette fosse contient les restes des corps d’au moins 2000 personnes. Pour retrouver une fosse commune d’une telle ampleur, il faut se référer à la barbarie nazie ! Elle a été découverte à La Macarena, dans le département du Meta, par une délégation d’observation britannique venue sur le terrain à la demande des familles des victimes. Ces dernières avaient réclamé à plusieurs reprises à l’État colombien que des recherches soient faites dans cette zone, sans aucun résultat. Jairo Ramirez, juriste et secrétaire du Comité permanent pour la défense des droits humains en Colombie, ayant accompagné cette délégation a déclaré : « Ce que nous avons vu est absolument terrifiant (…) Une infinité de corps et à la surface des planches de bois de couleur blanche portant l’inscription NN (non identifié) avec des dates allant de 2005 à aujourd’hui. (…) Le commandant de l’armée a dit qu’il s’agissait de guérilleros morts au combat, mais les gens de la région parlent d’une multitude de dirigeants sociaux, de paysans et de défenseurs communautaires qui sont disparus sans laisser de traces. »[Pour plus d'information sur les exécutions extrajudiciaires, voir [Le Caillou dans le soulier, no 6, printemps 2009 ]] Un récent rapport rédigé par des organisations de défense des droits humains colombiennes, intitulé « Sans justice et sans paix », fait état du bilan désastreux sur toute la ligne du processus de démobilisation paramilitaire tant en termes de vérité, de justice, de réparation que de garanties de non répétition. On y rapporte que, selon une compilation effectuée des banques de données de diverses organisations de droits humains, de 1982 à 2009, plus de 5 millions de personnes ont été victimes de déplacement forcé; de 1982 à 2007, plus de 15 000 personnes ont été torturées; de 1965 à 2007, plus de 50 000 personnes ont été victimes de disparitions forcées; et de 1977 à 2007 il y aurait plus de 80 000 cas d’exécution extrajudiciaire. La majorité de ces crimes demeurent dans l’impunité la plus totale.2 Ce sombre panorama place la Colombie comme un cas unique en Amérique latine, ce qui représente une triste réalité. C’est un des dix pays au monde qui est sous la loupe de l’examen préliminaire de la Cour pénale internationale. En attendant, les plus hauts responsables de tous ces crimes contre l’humanité continuent de se promener librement. En attendant, on continue de se référer à la Colombie comme la plus vieille démocratie du continent et M. Harper insiste pour signer un accord de libre-échange avec ce pays, pour « y faire progresser les droits humains ». En attendant, les géantes canadiennes du secteur minier ou pétrolier, tout comme les autres multinationales, continuent de profiter de la répression qui y sévit. En attendant, les nouveaux déplacés de la « Sécurité démocratique » d'Uribe doivent affirmer qu’ils ont été déplacés par la guérilla et non par l’armée et les paramilitaires, sans quoi ils seront accusés de mentir et ne recevront pas d’aide de l’État. En attendant, avez-vous dit « démocratie » ???

Notes

  1. Human Right Watch. Paramilitaries' Heir: The New Face of Violence in Colombia. February 2010. [www.hrw.org
  2. Sin Justicia..., op. cit.

Auteur.trice
PASC