Visite du Président colombien au Canada
Le tapis rouge pour Uribe...
Le Président Colombien Alvaro Uribe Velez a été accueilli en grande pompe par le gouvernement et la classe d’affaires au Canada. D'abord invité d'honneur du Forum international économique des Amériques, il a ensuite rencontré une multitude de dirigeants politiques. Le seul chef d'État invité à ce forum est à la tête du régime de répression le plus sanglant dans les Amériques. Ce n’est pas un secret, l’État colombien viole systématiquement les droits humains fondamentaux, agresse les mouvements sociaux, les autochtones, les afro-colombienNEs, les syndicalistes, les étudiantEs, les défenseurEs des droits humains, bref, contre tous ceux et celles qui réclament paix et justice sociale en Colombie, vérité et réparation pour les victimes des crimes d’État. Mais le président Uribe s’en ait pris aussi contre les congressistes de l’opposition et contre les Cours constitutionnelle et pénale. Le portrait de la Colombie est celui d’un État qui n'hésite pas à recourir à la répression et la violence pour imposer le modèle de développement économique capitaliste et un président qui est prêt à tout pour être réélu à un troisième mandat.
Pour cela, mercredi 10 juin, alors qu’Uribe faisait une intervention à la Conférence de Montréal, intitulée « Le libre-échange dans les Amériques », des manifestantEs dénonçaient sa présence. Au courant de cette journée, Uribe a pu se réunir avec le Premier Ministre du Québec Jean Charest et des entreprises canadiennes, avec le Premier Ministre du Canada Stephen Harper et d'autres membres de son cabinet, et le chef de l'opposition et du Parti Libéral Michel Ignatieff. Le lendemain, Uribe rencontrait des membres du Comité permanent sur le commerce international du parlement canadien, sous « invitation spéciale ».
Au menu des discussions de Harper et Uribe ? L'invention de liens de causalité douteux... « Le président Uribe et le premier ministre Harper ont aussi affirmé qu'un accord de libre-échange était la meilleure manière de lutter contre les narcotrafiquants en Colombie. Selon les deux dirigeants, il s'agit d'une manière d'encourager le commerce légal. »
1 Qu'est-ce que ça signifie ?
Sous prétexte d'offrir des possibilités de “développement alternatif” aux cultures illicites, certains produits dits « gagnants » sont promus par le gouvernement colombien et les agences internationales de développement
2 La compétitivité colombienne est recherchée notamment par l'insertion dans des chaînes de production spécialisées par la fourniture de matières premières pour la demande des pays riches. Le Plan national de développement d’Uribe, « Vers un État communautaire », fait la promotion par exemple du cacao, du caoutchouc, de la palme africaine (pour la production d’agrocombustible), du café et des produits forestiers. La réalité est l'imposition d'un modèle économique d'agro-industrie d'exportation qui va complètement à l'encontre de la souveraineté alimentaire.
Ce n’est pas avec ces produits agricoles que la Colombie créera des alternatives économiques au narcotrafic, le libre-échange ne permettra non plus de trouver des solutions à la difficile situation sociale. Bien au contraire, car les « experts du développement » oublient que parmi les ravages que le libre-échange et la « spécialisation dans la production de matières premières » ont causé sur l’économie colombienne on peut compter la désindustrialisation des dernières 20 ans et le chômage croissant. Leurs faux calculs les amènent à des conclusions périlleuses qui contredissent la réalité : le libre-échange, en anéantissant l’économie et en donnant carte blanche aux multinationales continuera de renforcer le conflit armée et social et crée les conditions idéales pour les cultures des narcotiques.
Au PASC nous dénonçons les conséquences des méga-projets agroindustriels comme la palme africaine
3 . Entre la guerre et le « développement », le lien est clair et direct : on estime à 4 millions le nombre de déplacé-e-s internes en Colombie au cours des 25 dernières années, mais il ne s’agit pas d’une population déplacée pour cause de guerre, c’est plutôt une guerre menée exprès pour déplacer les populations. Le phénomène du déplacement forcé, bien qu’il soit parfois dû aux confrontations armées, est une stratégie étatique contre les populations rurales, afin d’opérer une contre-réforme agraire et de mettre des territoires stratégiques au service des intérêts économiques nationaux et internationaux, afin d’y implanter une vaste gamme de projets agro-industriels, d’élevage extensif, d’exploitation minière, pétrolière et forestière.
« Uribe dénonce la présence de guerilleros colombiens au Canada »4
La visite d’Uribe a servi aussi à annoncer une nouvelle : des membres de la guérilla des Forces armées révolutionnaires de Colombie – FARC se trouveraient au Canada et se font passer pour “des gens de bien”, alors qu'ils participaient avant dans « des organisations terroristes », et même que certains travailleraient maintenant dans des organisations de défense de droits humains.
Uribe accuse notamment des membres de la famille de Raúl Reyes
5 , un des chefs des FARC mort en mars 2008, de se trouver au Canada pour entretenir des liens avec des organisations de défense des droits humains, des partis politiques de gauche et des sympathisants des FARC à Toronto, Montréal, Québec et Vancouver.
La semaine dernière, dans la revue colombienne
Cambio6 , un article sur la « diplomatie des FARC » rapportait que, « selon des experts », plusieurs organisations non gouvernementales appuient les FARC, et que leurs objectif est de « discréditer le gouvernement colombien pour justifier la lutte de la guérilla ». Les « experts » en question on notamment signalé la Red Europea de Solidaridad con Colombia, une organisation dont le PASC fait partie.
L'amalgame entre mouvements sociaux et terrorisme est commun pour l'État colombien : une façon de discréditer quiconque qui dénonce et qui s'oppose aux politiques uribistes est de l'accuser d'être complice des terroristes. Les défenseurEs de droits humains sont fréquemment la cible de menaces et de violence en Colombie. Le fait que les dirigeants politiques de ce pays ne cessent de stigmatiser le travail des organisations de défense des droits humains, en les pointant comme le « bras politique » des FARC, équivaut à donner le feu vert aux organisations paramilitaires pour s'y attaquer. Il n'est donc pas surprenant qu'Uribe arrive au Canada avec des accusations visant à délégitimer le travail des organisations de défense des droits humains, étant donné que nous dénonçons ses politiques et que nous nous opposons à la ratification d'un accord de libre-échange entre le Canada et la Colombie.
Notes