Le 25 janvier 2016, les habitant.es de la province de Sugamuxi, situé dans le département de Boyacá, se sont mobilisé.es afin de protester contre les multinationales et l'exploitation minière sur leur territoire. Plusieurs militant.es ont bloqués des routes dans différents secteurs stratégiques de la région pendant une période de trois jours, notamment en face des usines des multinationales suisses Argos et Holcim. La problématique de l'exploitation du territoire de Boyacá et la mobilisation sociale qui s'y rattache n'est pas récente, elle s'inscrit dans une lutte nationale plus grande pour la protection environnementale, le droit à une vie digne et la souveraineté alimentaire.
En effet, le département de Boyacá est une région stratégique pour la souveraineté alimentaire de la Colombie. Traditionnellement majoritairement composée d'agriculteur.trices, la région subit actuellement une restructuration économique orchestrée par le gouvernement nationale qui suscite inquiétudes et préoccupations. Dans une optique d'économie de marché, l'État colombien favorise aujourd'hui l'exploitation des ressources non renouvelables présentes sur le territoire, notamment le charbon et le pétrole, ainsi que la production de ciment.
Les changements climatiques et leurs conséquences, dont le phénomène El Niño, ont modifié les températures de la région. Les agriculteur.trices doivent maintenant faire face à des températures très élevées durant la journée, et très basses durant la nuit. Cet écart rend difficile la production agricole et favorise un délaissement des campagnes au profit de l'activité minérale de la part de plusieurs individus à la recherche d'un revenu leur permettant un niveau de vie viable. À cette situation climatique s'ajoute les politiques d'importations du gouvernement colombien qui placent sur le marché des produits étrangers à un prix si bas que les agriculteur.trices ne peuvent leur faire compétition. Le délaissement des campagnes, en plus de mettre en péril la souveraineté alimentaire du pays, entraîne une urbanisation précaire et des problématiques qui vont de pair avec un accroissement de la pauvreté.
La population qui s'est tournée vers la production minérale est devenue une source de revenu intéressante pour les multinationales. Ces dernières préfèrent désormais sous-contracter les petit.es producteur.trices et leurs acheter leurs productions afin de l'exporter sur les marchés internationaux à plein prix. Elles évitent ainsi de devoir affronter les exigences et revendications des populations locales, tout en s'assurant un profit maximal, profitant du manque d'outils et d'expertises des petit.es producteur.trices pour assurer le transport de leur marchandise et la vente de celle-ci à l'étranger. Cette prolifération de petits producteurs miniers favorisent aussi l'informalisation de l'exploitation minière, certains d’entre eux ne possédant aucune licence ni existence légale, et donc aucune norme environnementale à respecter.
Outre cette transformation sociodémographique, l'exploitation minérale et pétrolière sur le territoire entraîne des conséquences environnementales désastreuses pour la région. Que ce soit la pollution de l'eau ou de l'air, ce sont les habitant.es de la province qui en souffrent les premier.es, comme l'illustre le fait que les problèmes respiratoires sont la première cause de mortalité de la région. L'utilisation de méthodes sismiques pour l'exploration pétrolière affaiblit les maisons qui s'effritent et présentent des fissures importantes. Les producteur.trices de charbon quant à eux et elles s'approprient le sous-sol, et vulnérabilisent les maisons qui se trouvent au-dessus des galeries d'exploitation. Les aqueducs sont eux aussi affectés par l'exploitation, et se trouvent soient asséchés, soient contaminés.
Ce sont toutes ses raisons qui ont motivé la population à se mobiliser et à exiger la responsabilité des entreprises pour leurs impacts environnementales, sur les conditions de vie et concernant leurs politiques d'employabilité, exigeant notamment de contracter des ouvrier.es de la région. La situation est devenue problématique à un tel point qu'il est envisagé de plaider devant la Commission Interaméricaine de l'Organisation des États Américains si aucune action n'est entreprise par les autorités locales pour contraindre une responsabilisation des entreprises.
Si ce sont les actions et l'absence de responsabilité des producteurs minéraux et pétroliers qui sont les causes directes des problèmes sociaux et environnementaux de la région, c'est en fait tout un système législatif et structurel qui permet une telle situation. Non seulement ni les autorités locales, ni celles nationales, n’entreprennent aucune action pour restreindre la pollution perpétrée par l'exploitation du territoire, et ce malgré les protestations répétées de la population locale, mais en plus, ces dernières encouragent cette exploitation en délivrant des licences environnementales sans effectuer des recherches approfondies sur les impacts d'une telle exploitation. Ricardo López Dulcey, le directeur de Corpoboyacá - organisme chargé de délivrer les licences environnementales nécessaires à l'exploration et l'exploitation d'un territoire aux petits producteurs miniers de la région - a reconnu lui-même ne pas détenir toutes les informations nécessaires pour évaluer les impacts de telles pratiques. Malheureusement, une fois émises, ces licences sont difficiles à suspendre. De plus, le gouvernement colombien catégorise lui-même l’activité minérale d’intérêt nationale et de '' locomotive '' pour le développement du pays, mettant en place des politiques se concentrant sur les retombées à court terme d'une telle industrie et refusant de diversifier l'économie de la région.
Boyacá est donc aujourd'hui composé d'agriculteur.trices et de producteur.trices minéraux qui forment ensemble une communauté aux intérêts divergents mais souffrant des mêmes conséquences liées à une exploitation du territoire légalisée par un gouvernement au service des multinationales et de l'économie de marché. C'est cette situation qui pousse plusieurs organisations, notamment l’ASONALCA (Asociación Nacional Campesina José Antonio Galán Zorro), à mettre de l'avant le projet d'une nouvelle loi minérale-énergétique pour favoriser une nouvelle organisation économique et sociale dans lequel le secteur minier pourrait cohabiter avec le secteur agricole, non seulement dans la région mais aussi à un niveau nationale.
Mais la lutte ne sera pas simple pour les habitants de Boyacá, qui doivent faire face à des projets de ''développement '' d'envergure sur le territoire. D'un côté, la cimenterie Argos a investi pour un montant de 450 millions de dollars américain dans l'objectif d'améliorer la capacité productrice de son usine à Sogamoso et d'augmenter sa production de 2,3 millions de tonne de ciment par années. Cet investissement privé de la part de l’entreprise est intimement lié avec les politiques de développement du gouvernement Santos, notamment du projet 4G qui prévoit la construction d'autoroutes à travers tout le pays pour faciliter le transport des marchandises. De l’autre, une proposition de construction de voie ferrée qui permettrait le transport de 8 millions de tonnes de charbon par année de Boyacá jusqu'à la rivière Carare dans l'optique d'atteindre la côte atlantique plus rapidement se trouve devant l'Agence Nationale d'Infrastructure. Encore une fois ce projet s'inscrit dans un désir d'augmenter la production de charbon et de faciliter son exportation sans aucun soucis pour la protection de l'environnement et les conséquences sociales de tels projets.
Les protestations de janvier dernier s'inscrivent dans une lutte contre ces projets, mais aussi dans un contexte plus large qui devrait trouver son apogée dans une grève générale de tous les secteurs sociaux colombiens prévue pour l'été 2016.