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02/12/2025

Depuis 2009, des minières canadiennes, dont la plus récente mutation est la Aris Mining Corporation, rêvent d’exploiter une mine à ciel ouvert sur les sols du páramo de Santurbán, écosystème protégé en raison de son rôle essentiel à la régulation et conservation des eaux pour toute la région.

Jusqu’à présent, les luttes populaires (dizaines d’actions juridiques, mobilisations sociales immenses, enquêtes) ont permis de freiner ce projet. Le Comité pour la défense de l’eau et du páramo de Santurbán, dont fait partie Mayerly depuis ses débuts, se réunit chaque mercredi soir depuis plus de quinze ans (« la messe », comme iels la surnomment en riant) pour étudier les développements du projet et planifier la résistance.

La menace ne cesse de se renouveler alors que la multinationale mobilise toujours de nouvelles stratégies afin de continuer à extraire des ressources de cet écosystème rare, malgré ses protections juridiques. Aris Mining a acquis la semaine dernière 100% des parts du projet (elle en détenait avant 51%), laissant présager une accélération des opérations.

C’est dans ce contexte que Mayerly nous fait le récit des tactiques de l’inépuisable entreprise, et de la conjoncture actuelle de la bataille menée par le Comité.

 

Quelles stratégies mobilise aujourd’hui Aris Mining pour pouvoir exploiter le páramo?

Changements de nom

C’est une stratégie utilisée par les sociétés minières en général. Greystar, la première entreprise canadienne, l’a également fait à l’époque [depuis 2009]. Elle a changé de nom pour devenir Eco Oro. Minesa a fait de même, elle vient de changer de nom. Elle ne s’appelle plus Minesa, mais Proyecto Soto Norte, aux côtés d’Aris Mining, qui s’appelait avant Gran Colombia Gold. Elles le font en partie pour que les gens se sentent plus proches, moins étrangers. Pour qu’ils se sentent plus chez eux.


 

Projet à moyenne échelle et formalisation minière

Lorsque Aris Mining arrive en 2022, il y a un changement de stratégie. Ils ne parlent plus d’un immense projet à grande échelle (interdit), mais d’un projet à « moyenne échelle » et de « formalisation minière » par leur intermédiaire. Ils ont ainsi créé une « entreprise » de 160 mineurs de la région de California et leur ont laissé une partie de leur titre minier pour soi-disant les « formaliser ».

Cette formalisation sert deux objectifs : redorer leur image et exploiter les territoires. C’est d’abord un moyen pour l'entreprise de redorer son image – un véritable exercice de greenwashing.

Et deuxièmement, cela leur permet de continuer à exploiter les ressources en toute impunité. Dans le cas de Calimineros, ils ne reconnaissent que l’or; pas l'argent, le cuivre et les autres minerais extraits de la mine. Ces autres minerais ne sont pas payés à Calimineros, ils restent à l’entreprise. Et celle-ci dit à Calimineros : « De ces tonnes de terre que vous avez apportées, on a tiré, disons, 5 onces d’or. Et bien, ils n’ont pas d’autre choix que de croire l’entreprise. Qu’il s'agisse de 10, 20 ou 15 onces, ils n’ont aucun moyen de vérifier, car le traitement est contrôlé par l’entreprise dans son usine.

De plus, cela leur permet, pendant qu’ils n’ont pas l’autorisation d’exploiter, de faire tout le travail préparatoire nécessaire à leur projet.


 

Cooptation sociale

La province entière de Soto Norte, ils l’ont cooptée: ils financent les campagnes des maires des six municipalités, et ont mis en place toute une stratégie avec eux pour défendre les intérêts de l’entreprise.

En termes de communications, ils ont aussi conclu un accord avec Vanguardia Liberal, le média le plus important ici à Santander. Il y a également des preuves que l’entreprise donne des directives claires à son équipe de communication pour stigmatiser la défense de Santurbán. Ainsi, nous allons dire des écologistes qu’ils sont des politiciens, qu’ils ne cherchent qu’à obtenir des votes, qu’ils appartiennent à des partis politiques et que ce sont des gens d’affaires frustrés qui rejettent le projet.

En plus de ça, Aris Mining a déployé une nouvelle stratégie. La dernière entreprise était très éloignée des communautés et c’est une chose qu’Aris Mining a apprise : pouvoir utiliser les communautés, en particulier les mineurs traditionnels, pour défendre son projet.

Peu à peu, l’entreprise a remplacé l’État. Elle utilise l’abandon historique de l’État pour créer une dépendance. Si un pont est endommagé, les gens ne s’adressent plus à la mairie, ni au gouvernement, mais à la travailleuse sociale de l’entreprise pour qu’Aris Mining leur vienne en aide. Pour qu’elle répare les parcs, les hôpitaux, les écoles, qu'elle leur accorde des projets de financement...

Ainsi, les personnes qui bénéficient de ces projets finissent par devenir les porte-parole de l'entreprise auprès du public. Vous ne verrez jamais le président d’Aris Mining débattre avec nous, eux ils ne se montrent pas, ils n’apparaissent pas dans la presse, qui allez-vous voir? Les dirigeants miniers de la région, des personnes cooptées par l’entreprise dans la communauté qui parlent en leur nom et qui nous livrent le débat. Et cela leur donne beaucoup plus de légitimité.

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Quelle est votre lecture du moment actuel dans l’histoire de la lutte pour le páramo? Quelles avancées, quels défis?

Gouvernement actuel et protection du páramo

Au fil des ans, on a intenté toutes les actions juridiques possibles : actions populaires, tutelles, plaintes, pression sur les gouvernements pour qu’ils adoptent des lois, des résolutions, des décrets, tout ce qui est à notre portée dans ce domaine juridique a été fait.

En avril, le ministère a publié une résolution sur les zones de réserve temporaire (ART). Cela représente une avancée : la « délimitation » du páramo qui avait été effectuée en 2014 visait simplement à légaliser les projets miniers à Santurbán [qui se trouvaient en dehors de la ligne]. Nous nous sommes opposés à cette délimitation, car Santurbán doit être protégé dans son intégralité. Et c’est précisément l'objectif des ART. Enfin mettre en œuvre une mesure de protection qui ne considère pas seulement Santurbán comme les lacs et les frailejones [plantes endémiques du páramo] qui s’y trouvent, mais qui tienne également compte du cycle de l’eau.

Des études techniques sont donc prévues afin d’examiner le cycle de l'eau à Santurbán, d’identifier les zones de recharge hydrique, les zones qui doivent absolument être protégées en raison de leur connexion avec l’eau qui alimente Bucaramanga, et les zones où certaines activités peuvent être menées. Ces zones libèrent même 600 hectares afin de pouvoir formaliser les petits miniers de California.

Cela a constitué un frein supplémentaire pour l'entreprise. Aris Mining considère cette résolution, elle l’a fait savoir dans des communiqués, comme une menace. Quelle a donc été sa stratégie médiatique? Affirmer que cette résolution affectait également les activités agricoles et allait déplacer 35 000 personnes. Alors que cela n’avait absolument rien à voir! Cela n’a absolument rien à voir avec des restrictions à l’activité agricole, mais c’est comme ça qu’ils ont manipulé la communauté.

Nous avions beaucoup d’attentes vis-à-vis de ce gouvernement. Nous pensions qu’il allait prendre une décision de fond qui permettrait de protéger Santurbán, pas seulement temporairement, mais le temps a manqué, et il y a eu beaucoup de négligence.


 

L’importance des années à venir

Bien sûr, l'année prochaine, les élections, tant au Congrès qu’à la présidence, vont jouer un rôle important dans ce qui se passera à Santurbán. Nous le savons. Si un gouvernement de droite, un gouvernement extractiviste, arrive au pouvoir, c’est bien sûr un scénario qui favorise l’entreprise, et elle aussi fait ces calculs en ce moment.

Les prochaines années vont être vraiment importantes. Parce que, que se passe-t-il lorsqu’un problème dure depuis tant d’années, 16 ans déjà? Les gens se lassent, se relâchent. Et les entreprises, contrairement au mouvement social, disposent de tout l’appareil économique et politique pour attendre. Attendre sans rien à perdre, car elles continuent de s’enrichir grâce à la spéculation. Elles peuvent donc attendre quinze, vingt ans et espérer que la lutte sociale s’affaiblisse, s’éteigne, se fatigue, et qu’elles aient enfin l’occasion d’obtenir le permis. C’est la tâche qui nous incombe au sein du Comité : faire comprendre aux gens que cette lutte est une lutte dont a hérité ce territoire et qu’on ne doit jamais l’oublier.

Que les gens comprennent – c’est quelque chose que je répète partoutn a la chance d’avoir à deux heures [de Bucaramanga] un écosystème de páramo qui veille sur nous. Mais on a aussi l’infortune que, bon, c’est maintenant de notoriété publique qu’il y a de l’or à Santurbán, qu’on a l’un des plus grands gisements d’or d’Amérique du Sud. Et donc il y aura toujours cette menace que quelqu’un veuille le sortir, l’exploiter. Et ce jusqu’à ce que l’or perde de sa valeur en bourse.

Une multinationale s’en va, une autre arrive, leurs actions changent. Mais la menace latente sera toujours là. On ne pourra jamais baisser la garde.

Auteur.trice
PASC