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23/08/2013

Il est important de mentionner que l'appui ou la simultanéité des grèves des secteurs du transport, des travailleurs  miniers, des étudiants, du secteur de la santé et des centrales syndicales  démontrent l'effervescence grandissante d'un mouvement social qui pose des actions de transformation sociale à partir des priorités de chacun de ces secteurs. La coïncidence des multiples mobilisations de cette semaine démontre la possibilité de coordonner des actions entre ces différents secteurs.

Alejandro Mantilla1
Quelle est la portée de la grève générale du secteur agricole qui est en cours? En analysant les agendas, revendications et demandes des organisations qui appuient la grève générale, on peut se demander quelles sont les dimensions politiques de la mobilisation. S'agit-il de simples revendications ou l'objectif est de transformer le système politique et économique de la Colombie?


Une question récurrente dans les mouvements sociaux concerne la portée de leurs actions collectives. En général, on tend à différencier les “revendications” et le “politique”. Les revendications défendent des objectifs spécifiques qui génèrent un meilleur bien-être pour ceux qui participent à la mobilisation, alors que le politique cherche une transformation plus générale du régime économique et politique de la société, créant un changement au sein des institutions.


L'imprécision existante entre ce qui différencie les revendications du politique met en lumière le fait que les revendications ont une dimension politique. Il est utile de se rappeler la différence soulignée par Nancy Fraser entre l'acte "d'affirmation” et l'acte de "transformation”. L'acte d'affirmation vise à corriger des situations inéquitables existantes dans les institutions sociales sans chercher à modifier le cadre général qui les provoque, alors que les actes de transformations cherchent à modifier structurellement ces cadres généraux pour corriger les situations inéquitables.


En ce sens, quelle est la portée de la grève générale ? Examinons les documents de trois organisations agricoles qui participent à la grève.


Le document de la Table nationale de l'unité agricole (Mesa nacional de unidad agropecuaria) qui inclut les cultivateurs de café, riz, cacao, patates et canne à sucre, met l'emphase sur la recherche de subventions pour la vente de leurs produits, la régulation des prix de la production agricole, la mise en oeuvre des accords établis avec le gouvernement durant les mobilisations antérieures et la rupture des accords de libre-échange conclus par le gouvernement colombien2.


Le document présenté par la Table nationale agricole et populaire d'interlocution et d'accord (Mesa nacional agropecuaria y popular de interlocución y acuerdo), qui regroupe diverses organisations agricoles faisant partie de la Marcha Patriotica, indique que la Table exige que des mesures soient prises pour solutionner la crise agricole, favoriser l'accès à la propriété de la terre, reconnaître les territoires appartenant aux agriculteurs et paysans, favoriser la participation des communautés dans les politiques de l'industrie minière, garantir aux communautés rurales le pouvoir d'exercer leurs droits politiques et améliorer les investissements sociaux dans les secteurs de la santé, de l'éducation, du logement, et l'état des routes tant en campagnes que dans les villes3.


Le document de la Coordination Nationale Agricole (Coordinador Nacional Agrario), une coordination qui réunit près de trente organisations régionales qui sont présentes dans 14 départements et font également partie du Congrès des Peuples présente dix points avec un vaste potentiel de transformation. Parmi ces points, on retrouve la mise en oeuvre des accords préalablement conclus avec le gouvernement; la solution politique au conflit social et armé; la reconnaissance des paysans comme acteurs sociaux et politiques, les droits des communautés autochtones et afro-colombiennes, ainsi que paysannes à demeurer sur leurs territoires en toute autonomie et autodétermination; le rejet des multinationales et la protection des petits producteurs miniers, des mines de production ancestrale et traditionnelle; une position contre la fumigation; pour les subventions agricoles; pour l'annulation de la dette des petits producteurs; et pour le respect et la garantie d'exercice de la lutte agricole4.

Si nous adhérons aux concepts mentionnés ci-dessus, nous nous rendons compte que les points mentionnés dans les différents agendas incluent des objectifs qui unissent acte d'affirmation et de transformation . Par exemple, la demande de subventions agricoles, la régulation des prix, l'annulation de la dette, le retrait des multinationales ou la fin des fumigations, sont des objectifs à court terme qui visent à améliorer la situation du monde rural. D'un autre côté, la rupture des accords de libre-échange démontre que la mobilisation a un agenda qui vise la transformation, par exemple, l'exigence d'une restructuration des politiques économiques du gouvernement afin de freiner le modèle néolibéral qui a été appliqué avec rigueur durant la dernière décennie.

Cependant il faut repousser cette tentation. La lucidité des luttes paysannes se trouve dans le fait que chaque proposition paraît être une revendication, mais est réellement une transformation. Prenons par exemple les subventions à la production ou les politiques minières. Les subventions sont l'exemple par excellence de la position revendicatrice, qui a d'ailleurs permis au gouvernement de tenter de diviser le mouvement des producteurs de café en promettant des subventions sélectives. Cependant, si les subventions n'étaient pas l'apanage de certains secteurs, mais qu'elles s'appliquaient à l'ensemble des producteurs, il deviendrait donc nécessaire de redéfinir le budget attribué à l'agriculture, impliquant une restructuration du budget national. Ajoutons qu'il faudrait alors repenser l'ensemble de la politique agricole en plus de fonder de nouvelles institutions pour réguler ce nouveau budget. Avec le code minier actuel, une situation similaire se présenterait. La création de politiques encourageant une plus grande participation des petits mineurs et qui permette aux communautés de décider des concessions minières sur leurs territoires, ferait que la carte des concessions minières de Colombie serait considérablement différente. Somme toute, chaque revendication de l'agenda populaire et rural peut mener à des changement décisifs pour les campagnes colombiennes.


De plus, le fait de viser des transformations démontre que les organisations rurales ont repris la force nécessaire pour exiger le démantèlement des politiques d'ouverture économique, qui ont nuit à la production agricole nationale et ont fait augmenter l'indice de pauvreté dans les régions rurales. Une force qui permet d'exiger la démocratisation de la vie politique et la recherche d'une solution négociée au conflit armé. En bref, non seulement les revendications visent-elles des transformations, mais il existe une dimension globale de transformation dans l'agenda des luttes présentes. Le plus important reste la reconnaissance politique de la paysannerie comme bannière du mouvement social; c'est-à-dire, la ré-émergence d'un acteur social qui a systématiquement été affaibli par les déplacements, l'économie et la violence contre ses dirigeants.


Non obstant, il vaut la peine de mentionner que tout n'est pas encourageant dans cette mobilisation. Il y a trois points qu'il est crucial de prendre en compte comme symptômes provoquant des carences et des tensions dans la mobilisation. En premier lieu, le manque de vigueur à l'heure de dénoncer la criminalisation de l'usage de semences et les subterfuges des entreprises qui se sont appropriés illégalement les terres "sans propriétaires", participe à affaiblir le mouvement agricole. Bien que la Coordination Nationale de l'Agriculture ait émis un communiqué portant sur ce thème5, il est clair que ces derniers deux points devront être affirmés avec plus de vigueur durant la mobilisation.

Il est également préoccupant que les organisations n'aient pas rédigé une liste de revendications conjointes, mais avec trois plate-formes de revendications distinctes, surtout quand l'on sait qu'il existe un mandat agricole depuis 2003 qui est une plate-forme de revendications conjointe des mouvements paysans, autochtones et afro-colombiens qui incluaient, à ce moment-là, la majorité des organisations rurales populaires. C'est encourageant de voir resurgir le mouvement social rural, mais préoccupant qu'il renaisse avec des agendas dispersés.

En troisième lieu, il est clair que l'agenda de la Table nationale de l'unité agricole peut entrer en conflit avec ceux de la Table nationale agricole et populaire d'interlocution et d'accord et de la Coordination Nationale de l'Agriculture. Le premier agenda est lié aux revendications du secteurs agricoles qui regroupe les moyennes et grandes entreprises affectées par l'ouverture du marché économique. De là ressortent les thèmes des subventions et de la révision des traités de libre-échange, mais on ne parle pas d'accès aux terres, ni de la reconnaissance des paysans en tant qu'acteurs. Les deux autres agendas regroupent les demandes de mouvements de petits agriculteurs, travailleurs manuels et propriétaires de petits commerces. Ceux-ci rejettent également le libre-échange, mais, contrairement au premier agenda, cherchent une transformation plus en profondeur des institutions agricoles.

Alors que ces tensions peuvent être en apparence interprétées comme un signe de faiblesse, on peut aussi les voir comme une base pour formuler un engagement historique entre les organisations rurales et paysannes colombiennes. La thèse de l'engagement historique à été défendue par la gauche italienne du vingtième siècle afin de rassembler différents secteurs politiques et sociaux et définir des objectifs communs pour défendre un projet national et populaire en Italie.  Alors que les différents agenda des mouvements ruraux et populaires illustrent des tensions politiques et sociales, il vaut la peine de se demander si ces tensions ne pourraient pas être la base pour créer un agenda commun dont le but est de transformer les campagnes colombiennes. Au-delà de mon scepticisme face à cette possibilité, je considère qu'il est urgent d'agir en ce sens.


Pour terminer, il est important de mentionner que l'appui ou la coïncidence des grèves des secteurs du transport, des travailleurs du secteur minier, des étudiants, du secteur de la santé et des centrales syndicales dans cette mobilisation, fait preuve de l'effervescence grandissante d'un mouvement social qui vise à transformer chacun des secteurs. Mais,  la coordination d'actions reste insuffisante devant la pluralité des agendas. Jusqu'à ce qu'il y ait un agenda commun de politiques affirmatives et transformatrices qui puisse canaliser les différents mouvements sociaux, les efforts resteront insuffisants. Mais comme le savent bien les paysans et habitants des campagnes, tout long chemin commence par un premier pas. Espérons que nous sommes en train de faire ce pas avec ces journées de mobilisation.
***

1L'auteur de ce texte est directeur de la Corporación para la Educación y el Desarrollo de la Investigación Popular-Instituto Nacional Sindical, CED-INS.

2Ver el texto en: http://www.nasaacin.org/index.php/informativo-nasaacin/3-newsflash/5992-el-19-de-agosto-todos-a-la-movilizacion-nacional-cafetera-y-agropecuaria;

3Ver documento en http://www.cut.org.co/index.php?option=com_content&view=article&id=5145

4Disponible en: http://congresodelospueblos.org/index.php/pueblo-en-lucha/ultimas-noticias/49-ultimas-noticias/346-el-cna-convoca-al-paro-nacional-agrario-del-19-de-agosto;

5http://cedins.org/index.php/proyectos-mainmenu-50/tierras-y-territorios-mainmenu-69/491-no-mas-despojo-de-tierras-no-mas-robo-de-baldios

 

Fuente: http://www.vanguardia.com

ORIGINAL: http://palabrasalmargen.com/index.php/articulos/nacional/item/el-paro-nacional-agrario-cuando-lo-reivindicativo-es-transformativo?category_id=138

Auteur.trice
PALABRAS AL MAGEN