Aller au contenu principal
22/11/2012

Marylén Serna, porte-parole de la Minga 
de résistance sociale et communautaire, 
affirme qu’« il n’y aura pas de paix sans justice sociale ». Pour elle, le dialogue entre 
le gouvernement et 
la guérilla doit intégrer les revendications populaires.

Quelle est la position de la Minga (1) quant au processus de dialogue de paix entamé entre le gouvernement de Juan Manuel Santos et la guérilla des Farc ?

Marylén Serna. La Minga et le Congrès des peuples ont de grandes attentes, car la guerre, les multiples violations des droits de l’homme ont engendré une grande lassitude. Nous avons surtout fait le pari collectif de chercher, de contribuer, et de renforcer une issue politique au conflit armé. Nous avons manifesté notre appui mais également des exigences. D’abord, toutes les forces insurgées doivent être présentes à cette table, notamment l’Armée de libération nationale (ELN). La négociation doit aussi impliquer de manière importante le mouvement social. Il faut également proclamer un cessez-le-feu. Les communautés continuent à souffrir de la violence. Plus généralement, le processus de paix a besoin d’un environnement stable afin que la population, les différentes communautés puissent y participer.

Comment la société colombienne peut-elle être actrice du processus en cours ?

Marylén Serna. C’est une question très épineuse. La société colombienne est déstructurée, divisée en raison du conflit armé mais également de la polarisation de la vie politique, de la corruption et du manque de légitimité des institutions. Le tissu social est détruit. Le mouvement social n’échappe pas non plus à ce fractionnement. Les organisations ont résisté. Mais la déstructuration de la société a déteint sur les processus de luttes. L’aiguisement du conflit armé leur a fait prendre des postures très en deçà de ce que commandait la situation. Il existe une confusion de classes avec laquelle ont joué ceux qui ont été au pouvoir. Beaucoup de couches de la population sont aujourd’hui en faveur de la classe dominante. La campagne médiatique a été très dure. Elle a eu pour but de discréditer la lutte sociale, en la liant systématiquement avec la lutte armée. Ces facteurs, comme la cooptation de personnes issues du mouvement social par le pouvoir, ou encore la persécution persistante, sont autant de facteurs qui menacent un environnement favorable à la paix et à l’unité. Mais ce sont là des défis que le mouvement social a décidé de relever.

Qu’implique une issue politique négociée du conflit, notamment sur le plan des revendications sociales ?

Marylén Serna. La paix va bien au-delà du silence des armes, de la démobilisation ou de la participation dans les espaces politiques des anciens insurgés. Les luttes du mouvement social en faveur de la répartition des terres, la santé, l’éducation sont en soi des luttes en faveur de la paix. Le défi est comment construire des cadres communs pour qu’elle triomphe. Le processus de paix doit nous rassembler et non finir de nous diviser. Nous devons construire un accord politique entre les différents mouvements sociaux afin de pouvoir participer au processus. Il y a plusieurs questions fondamentales à nos yeux : la terre et le territoire, la mobilisation sociale, les droits fondamentaux de la population. Concernant le premier point, il faut affronter le problème de l’entrée massive du capital international en Colombie, qui a eu pour conséquences des expropriations et une surexploitation des terres. Enfin, il y a le thème fondamental de la vérité, la justice et la réparation.

Concernant, la question agraire : à l’automne 2008, la Minga a réalisé une marche nationale à travers le pays pour dénoncer l’état d’exception, et exiger le respect des communautés et de leur travail. Qu’en est-il aujourd’hui ?

Marylén Serna. La Minga a surgi avec pour buts de fortifier les processus de luttes et d’articuler les propositions existantes. En 2010, nous avons lancé le Congrès des peuples. Il s’agit de rassembler les revendications historiques des luttes sociales, et de les transformer en mandat populaire. L’idée est que la population se restitue le pouvoir depuis la base. Notre premier congrès a porté sur les luttes contre les multinationales, et pour la défense de l’eau, des páramos (écosystème de haute montagne – NDLR), la souveraineté alimentaire… Ces thématiques sont l’essence des problématiques du peuple colombien. Nous tiendrons en février notre prochain congrès autour de l’enjeu de la paix afin de dégager un consensus. Nous savons qu’au sein des mouvements sociaux il existe différentes lectures du conflit et de ses solutions. Nous voulons aborder les questions structurelles du conflit social et armé.

Quelles alternatives avancez-vous ?

Marylén Serna. Nous insistons sur le modèle économique. Celui-ci a créé de grands déséquilibres dans la société colombienne. La question de la redistribution de la terre est aussi fondamentale que compliquée, car elle implique de mettre hors jeu des multinationales qui exploitent les mines sur des millions d’hectares.

Partagez-vous l’idée selon laquelle il y a eu un changement de cap avec le président Juan Manuel Santos par rapport au précédent gouvernement et singulièrement de l’ex-chef d’État, Alvaro Uribe, opposant déclaré au processus de paix ?

Marylén Serna. Le langage et la forme sont différents mais l’essentiel reste inchangé : le modèle économique. Il s’est même aiguisé. Le président Santos a ouvert en grand les portes du pays au capital international. Celui-ci menace les communautés urbaines et rurales. Il veut promouvoir une réforme du privilège du for militaire [fuero militar: juridiction militaire permettant aux militaires d'échapper au droit commun et aussi de juger des civils, NdE Tlaxcala]  qui favorisera un cadre juridique d’impunité. Il promeut ce processus de paix mais il s’agit d’une paix sans justice sociale.

Croyez-vous que ce processus de paix ait été pensé pour garantir les intérêts économiques privés ?

Marylén Serna. Les entreprises ont besoin d’un pays tranquille, tout comme l’État, afin de développer sa politique de bradage du pays. Des millions d’hectares en concessions n’ont pu être occupés et exploités en raison du conflit armé. Il faut de nouvelles conditions. Mais qui en supportera le coût ? Les populations, car elles vont devoir affronter l’arrivée massive de multinationales qui exploiteront les terres au détriment des communautés.

(1) Mouvement de résistance sociale 
et populaire pour la défense des intêrets 
des communautés indigènes.

Entretien réalisé par 
Cathy Ceïbe

Source: l'Humanite.fr, le 20 novembre 2012 

Traducciones disponibles: Español

A lire sur La Pluma

Colombie: La paix passe aussi par l’unité populaire

Auteur.trice
Humanité