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12/02/2022

La loi de sécurité citoyenne, ou loi 2197 de 2022, signée le 25 janvier par Iván Duque et son cabinet, est présentée comme la solution toute désignée pour lutter contre l'impunité des auteurs de délits et, en même temps, comme un outil efficace pour appliquer la justice. « Quien la hace, la paga » (qui le fait, le paie), répète sans cesse le gouvernement. Cependant, la réalité est différente, car, bien que l'on dise que la loi est conçue pour défendre les citoyen-ne-s ordinaires, ceux et celles qui vont travailler tous les jours et qui se font voler leur téléphone portable ou leur vélo, selon les mots du ministre de l'Intérieur Daniel Palacios, cette loi est en réalité conçue contre ses personnes et leurs droits.     

Dans les faits, les modifications relatives aux vols quotidiens sont minimes, mais ce que la loi alimente le plus, outre les étapes supplémentaires des procédures judiciaires, c'est une série de changements dans le Code pénal qui augmentent les peines pour ceux et celles qui se mobilisent et manifestent. Les peines sont encore plus sévères pour les individus qui, dans les contextes de mobilisations, sont pris à part et criminalisés pour avoir porté atteinte ou tentés de porter atteinte à un membre des forces de l’ordre1. Cette loi ne protège donc pas les citoyen-ne-s qui vont travailler tous les jours, pas plus qu’elle ne les protège de la pauvreté ou de la misère. Bien au contraire. Compte tenu du fait que ces citoyen-ne-s sont souvent celles et ceux qui mènent ces luttes sociales, ce sont ces personnes que la loi cherche à punir. Elle confère également un caractère politique aux forces de sécurité, puisqu'en pratique elle leur donne le statut de sujet de protection spéciale, punissant de plusieurs années de prison toute personne qui commet un crime ou est accusée de commettre un crime contre un policier.

Dès lors, la solution à l'insécurité imposée par cette loi consiste essentiellement à protéger les forces de sécurité, à restreindre davantage le droit à la protestation sociale et à la colère légitime du peuple, quitte à accroître le populisme punitif en Colombie. Par populisme punitif, nous entendons les mesures adoptées par la classe politique pour répondre aux problèmes sociaux qui, plutôt à viser l’éradication du problème à sa racine,  promet simplement une surenchère carcérale. Bref, la solution : toujours plus de prisons. 

Ses mesures populistes sont inefficaces, sachant qu'en Colombie, les prisons n'ont plus de place pour qui que ce soit ; les niveaux de surpopulation y dépassent les 55%. De plus, à l'intérieur de ces pénitenciers, l'abus de pouvoir et la violation des droits fondamentaux par les forces publiques sont monnaie courante.     

C’est ainsi que l’on supprime toute dignité à ceux et celles qui commettent un crime et que l’on prétend ensuite que justice est rendue, ce qui est encore pire pour les personnes qui sont injustement incarcérées. 

La prison n'est pas la même chose que la justice. Les mesures correctives pour les différents crimes peuvent varier, allant des mesures éducatives et de réinsertion en passant par les travaux d'intérêt général. Cependant, comme nous le verrons plus loin, le point clé de cette loi est l'augmentation des peines, non seulement dans son cinquième article, qui fait effectivement passer la peine maximale de 50 à 60 ans de prison, mais aussi dans différents articles où, en plus de l'augmentation des peines, les facteurs aggravants sont également augmentés.    

Les articles suivants sont les plus problématiques de la loi sur la sécurité citoyenne en ce qui concerne la protestation sociale et la colère légitime. Il s'agit de comprendre comment cette loi a été écrite pour favoriser les forces de sécurité, en justifiant leurs outrages et en punissant plus sévèrement tout acte contre elles.    

Dans l'article trois de la loi 2197 de 2022, ou « loi sur la sécurité des citoyens », la section réglementant la légitime défense est modifiée, ajoutant subtilement la possibilité d'utiliser la force létale dans les cas où cela est nécessaire. En d'autres termes, quiconque considère qu'il doit défendre, par la force, un droit qui est violé ou dont la violation semble imminente, pourra le faire au point de prendre la vie de la personne qui cause la violation. 

Historiquement, le droit à la légitime défense devait, en tout état de cause, être proportionnel, c'est-à-dire que si quelqu'un était témoin d'un passage à tabac d'un voisin contre un autre, ce témoin pouvait intervenir dans les coups portés contre l'agresseur jusqu'à le neutraliser ; des coups en réponse à des coups pour défendre un droit qui avait été violé. Cependant, avec la loi en question, il est possible de répondre à une telle situation par la force létale ; frapper l'agresseur avec des objets ou le frapper même après l'avoir neutralisé, ce qui peut entraîner sa mort, est désormais une légitime défense, même si elle n'est pas proportionnelle.    

Cela peut déclencher encore plus de problèmes sociaux que ceux que nous connaissons déjà, encourageant la violence contre les personnes opprimées, c’est-à-dire socialement et économiquement vulnérables. Ce petit détail étant déjà légalisé, qu'est-ce qui pourrait arrêter un Andrés Escobar qui se justifie en disant que comme les manifestants endommageaient un service public de la communauté (comme le réseau de transport de Cali), il a  tiré sur les manifestant-es ? Ou qu'est-ce qui pourrait empêcher maintenant, en termes juridiques, les « gens de bien » (gente de bien) de Cali de tirer sur la Minga (Ndt- mobilisation) , prétendument pour défendre une intrusion dans leurs complexes résidentiels ?     

Il est bien connu que la loi en Colombie ne s’applique qu’à un petit nombre, à ceux qui détiennent le pouvoir ou le capital, au grand désarroi des personnes qui ne peuvent pas se défendre, et ce précisément à cause de l'omission de l’État. Maintenant, cette différence de droit est encore plus explicite, car il est aujourd’hui certain — bien que cela ait toujours été le cas — que cette légitime défense n'est pas valable pour une personne pauvre ou marginalisée qui se défend contre un tireur en civil ou en uniforme.

Cette loi n’annonce pas la fin des irrégularités. En effet, l’article suivant réaffirme encore le désavantage des classes précaires dans les procédures d’accès au droit. Le quatrième article ajoute un élément, le numéro 33, au Code pénal. Dans ce dernier, on admet l’inimputabilité d’individus en raison de diversité socioculturelle, c’est-à-dire qu’un individu appartenant à une communauté autochtone ou historiquement marginalisée de la sphère sociale dominante pourrait ne pas être considéré coupable d’un délit qui n’est pas reconnu comme tel par sa communauté. En quoi cette précision concerne-t-elle la loi sur la sécurité citoyenne ? Eh bien, dans le passé, lorsqu'une personne appartenant à un groupe issu de la diversité socioculturelle commettait un délit (voler, par exemple), la punition était déterminée par le chef de la dite communauté, faisant ainsi office de juge. Cette punition était librement choisie par la communauté elle-même. Un délit était sanctionné par le correctif adéquat, donc indépendamment des facteurs de récidive, du moment ou de la location du délit ; à l'intérieur comme à l'extérieur de la communauté, si la personne appartient activement à une communauté donnée, c’est elle qui doit la juger.    

Avec la nouvelle loi, le châtiment est double. Toute personne appartenant à la diversité socioculturelle qui commettrait une infraction doit en plus recevoir une peine réparatrice de la part de sa communauté. Dans des contextes de récidives, ils peuvent être jugés par l’État, dans le mépris total des traditions de leur communauté, et des sanctions seront alors imposées sans aucune différenciation par rapport à sa réalité sociale. Cela viole non seulement les principes d’autodétermination des peuples, de pluriethnicité et de pluriculturalisme de la Colombie qui sont protégés par la Constitution, mais aussi le droit à un procès équitable des individus appartenant à un groupe socioculturel distinct. Ce droit correspond précisément au fait d'être jugés en tant que membres à part entière d’une communauté, avec les règles, manières ou formes politiques de leur collectivité. 

La nouvelle loi escamote aussi les cas, où les personnes poursuivies par l’État avancent l’absence de culpabilité en raison de l’absence du délit dans leur culture. En d’autres mots, si une personne associée à la diversité est accusée d'un crime et qu’elle déclare que ce crime n'est pas interdit ou n'existe pas au sein de sa communauté, elle devrait, par hypothèse, ne pas être jugée pour ce crime.    

En négligeant ce principe juridique élémentaire, la loi ouvre la porte à des scénarios dans lesquels, par exemple, les membres de la Minga peuvent être poursuivis à plusieurs reprises pour obstruction de la voie publique, même si un tel crime n'existe pas ou n'est pas puni dans leur communauté. Ou encore, les règles punitives autochtones ne s’appliqueraient ici que si l’on considère qu’il y a eu des dommages à la propriété d’autrui. Ce changement, en apparence modeste, constitue très clairement une violation du droit fondamental à l’accès à une procédure judiciaire appropriée pour sa condition.

Nous continuons dans l'article sept de cette loi qui augmente les peines, à savoir qu’elle modifie les conditions minimales pour que les délits soient punis plus sévèrement. Le paragraphe mentionne notamment que si la personne poursuivie avait commis le crime avec une arme à feu ou un couteau, sa peine serait augmentée. Ajoutons qu’avec cette nouvelle loi, ceux et celles qui, au cours de la protestation sociale, ont été incriminé-es pour quelque délit que ce soit pourraient subir une peine plus élevée. Cela, parce que des « armes » moins létales ou des dispositifs moins létaux ont été ajoutés à l’article. Ces armes, éléments et dispositifs moins meurtriers ne sont spécifiés à aucun moment. Il appartient donc au juge de déterminer si ces caractéristiques sont remplies dans des cas spécifiques. Il est donc possible que le fait de jeter une pierre ou de brandir un bouclier tombe sous le cas de l’article2 susmentionné et que la personne poursuivie soit donc déclarée coupable plus rapidement et plus sévèrement. 

En plus de tout ce qui précède, dans le dixième article de la loi sur la sécurité des citoyens, une nouvelle mesure est ajoutée au Code pénal : le simple fait d'intimider ou de menacer avec une arme non létale peut également être puni d'un minimum de 4 ans de prison. Encore une fois, le fait qu'une telle menace avec une arme non létale se soit produite ou non est entièrement laissé à la discrétion du juge.

Nous avons mentionné précédemment l'article huit, en ce qu’il forme un exemple de populisme punitif. Cependant, il y a d'autres complications à explorer. Toute personne qui commet un homicide contre un membre des forces de sécurité ou de la police judiciaire dans le cadre de ses activités sera condamnée à une peine pouvant aller jusqu'à 58 ans de prison. Ce nouveau paragraphe vise clairement à poursuivre les manifestant-es jugé-es pour ce type d’actes avec des peines plus lourdes, démontrant une fois de plus le véritable objectif de la loi : la criminalisation de la protestation sociale. Nous devons ici insister sur le fait que de nombreuses poursuites ne sont que des coups montés du pouvoir judiciaire, phénomène qui engendrera une atmosphère d'injustice absolue, pire encore que l’ancien modèle.

En outre, ce paragraphe assimile les forces de sécurité à, par exemple, des fonctionnaires, des juges de paix, des membres d'organisations politiques ou des personnes bénéficiant d'une protection internationale, comme un ministre des affaires étrangères ou une personne bénéficiant de l'asile politique. En bref, elle politise les membres des forces de sécurité, en leur donnant un statut dans lequel leur assassinat est comparé à l'assassinat d'un leader social, d'un juge de paix, d'un conseiller municipal ou d'un maire, comme si les raisons pour lesquelles ces événements se produisent étaient politiques et devaient être défendues comme telles. Cette politisation de la police légalise et protège celle-ci en tant qu'organe répressif du régime, dans le meilleur style des dictatures ou de la police chulavita des années 1950 en Colombie. 

Il en va de même pour l'article 9. Une fois de plus, les peines sont aggravées pour des délits tels que les blessures avec des agents chimiques, les troubles psychologiques ou fonctionnels (dommages psychologiques ou physiques tels qu'ils empêchent la réalisation d'activités normales) ou les dommages corporels, si ces délits sont commis contre un membre des forces de sécurité ou de la police judiciaire. Jusqu'à présent, ces circonstances aggravantes ne s'appliquaient qu'à ces crimes et aux autres crimes commis contre des femmes ou des enfants de moins de 14 ans. Dans la pratique, cette loi soumet les membres des forces de sécurité à une protection spéciale contre toute situation dans laquelle toute personne participant à la protestation sociale, principal « ennemi interne  » aux yeux du gouvernement, peut être mise en cause.    

Cette criminalisation de la protestation sociale est à nouveau mise en évidence dans les articles treize et quatorze.     

À l'article treize, une nouvelle mesure est créée dans le Code pénal, l'article 264. Elle interdit totalement l'occupation, l'usurpation, l'invasion ou l'expulsion de la propriété d'autrui, que ce soit de manière pacifique ou violente, temporaire ou continue. En d'autres termes, toute personne qui occupe l'infrastructure d'autrui se rend coupable d'un délit et est donc passible d'une peine de prison allant de quatre à dix ans. Cet article contient également certaines circonstances aggravantes :

Si l'occupation des lieux s'est faite par la violence, la peine est augmentée de deux à cinq ans de prison. Si l'occupation a été effectuée par plus d'une personne, la peine est portée à un an et demi à trois ans et demi d'emprisonnement. Si l'occupation a lieu sur un bien de l'État ou un bien public ou fiscal (le bien fiscal est un bien qui peut être utilisé par le public, mais qui appartient à l'État), la peine est portée à un an et demi à trois ans et demi d'emprisonnement. Si l'occupation a lieu sur un bien public utilisé pour la fourniture d'un service public essentiel, la peine augmente encore une fois de deux à cinq ans d'emprisonnement supplémentaires. 

Tous ces facteurs aggravants se retrouvent dans les actions légitimes de protestation sociale et sont courants dans les grèves nationales, comme les occupations des CAI [postes de détention temporaire] pour les transformer en bibliothèques, ou les prises de contrôle des stations du Transmilenio à Bogota ou du Transit de masse intégré à Cali, comme réponse directe contre l'omission consciente du gouvernement national aux besoins populaires et comme réponse contre la violence policière continue et croissante. Cette loi vise à couper complètement la forme de protestation juste du peuple et des mouvements sociaux, la forme historique de protestation du peuple colombien. Armé d’un populisme punitif, l’État alimente chaque petit détail qui pourrait aggraver la poursuite injuste de ceux et celles qui luttent contre le gouvernement national. Pis encore, on présente démagogiquement cette poursuite comme une solution aux problèmes sociaux, essayant ainsi d’agiter le marteau des juges pour faire taire le peuple colombien et ses demandes.

On réaffirme ce point de vue dans l'article quatorze, qui ajoute sans surprise un paragraphe au Code pénal. Dans ce texte, les peines liées à des dommages causés à des biens d’autrui sont aggravées si les dommages en question sont dirigés contre des infrastructures destinées à la sécurité publique, à l'administration de la justice, au système de transport public de masse ou encore aux installations militaires ou policières. De même, toute personne qui incite publiquement et directement à endommager la propriété d'autrui sera également poursuivie. Cette disposition a été ajoutée par l'article 15 de la loi sur la sécurité des citoyens. 

L'utilisation de masques ou d'éléments similaires servant à cacher son identité ou à la rendre difficile constitue également une condition aggravante, selon l'article 16 de cette loi scélérate.

Il est clair que l'initiative, approuvée par Duque le 25 janvier et proposée par des membres du banc du Congrès du parti du Centre démocratique, vise ni plus ni moins à réduire les libertés de protestation sociale. Leur stratégie consiste à : 

Premièrement, brouiller complètement l'idée des juges de la punition objective, c'est-à-dire la punition selon le contexte approprié et la volonté de ceux qui sont jugés ; dans une véritable justice, celui qui vole par faim ne doit pas être jugé de la même manière que celui qui vole par cupidité, celui qui vole une miche de pain ne doit pas être jugé de la même manière que celui qui vole le trésor public.

Deuxièmement, criminaliser les éléments qui ont fait partie de la protestation sociale, individualiser avec de nouvelles peines et ainsi poursuivre les participants aux protestations sociales, avec l'intention de générer la peur chez les personnes opprimées et dans les organisations sociales, de sorte que la situation politique de la protestation sociale soit contenue par le système pénal, complètement en leur faveur et sans avoir cédé en aucune façon aux demandes des citoyens. 

À la terreur des assassinats s'ajoute désormais l'intention d’effrayer le peuple par la menace de la prison. Cependant, les longs mois de protestation ont montré que les lois et les actions qui aggravent la répression n'intimident pas un peuple déjà fatigué de courir, et augmentent au contraire l'indignation. Duque ne fait rien de plus qu'ajouter de l'huile sur le feu.


NOTES

(1) La criminalisation des manifestant-es est une pratique courante de la police, qui utilise souvent la modalité des « faux positifs judiciaires » [soit des personnes faussement judiciarisées]. Selon l'ONG Temblores, au cours des 10 premiers jours de la grève qui a débuté le 28 avril 2021 : « au moins 39 meurtres ont été enregistrés, attribués aux forces de sécurité ; 12 cas de violence sexuelle perpétrés par des agents en uniforme ; 963 détentions arbitraires ; et 28 victimes d'agressions oculaires, entre autres ». Voir : https://verdadabierta.com/con-la-estigmatizacion-de-la-protesta-social-…

(2) Le sénateur Gustavo Bolívar a fait l'objet d'une enquête de la Cour suprême de justice à la suite d'une plainte l'accusant d'avoir donné des objets dangereux à des jeunes de la Première ligne. Ces objets dangereux se sont avérés être des lunettes de protection et des boucliers de protection. Pour plus d'informations, voir : https://www.eltiempo.com/justicia/cortes/gustavo-bolivar-indagacion-de-…
 

Author
Nicolás Garzón Becerra – Cedins- Traduction PASC