Depuis le 15 février 2017, les communautés des municipalités de Yopal et Aguazul, dans le département du Casanare, sont rassemblées et bloquent une route de manière pacifique, en opposition au projet du bloc pétrolier El Porton, mené par l’entreprise pétrolière canadienne Gran Tierra. Depuis le début des mobilisations, les leaders sociaux ont reçu plusieurs menaces par téléphone, se sont faits suivre par des véhicules et trois personnes sont judiciarisées pour obstruction de voies publiques.
Contexte régional
Rappelons que le département du Casanare est un département convoité pour ses ressources pétrolières. Dans les années 1990, la découverte de puits pétroliers a transformé la région en un des départements les plus importants au niveau de l’exploitation du pétrole. Les conséquences sur l’écosystème du Casanare sont dévastatrices. Par exemple, en mars 2014, la mort de plus de 25 000 capybaras causée par une sècheresse résultant des impacts de l’exploration sismique et de la perforation de puits pétroliers a frappé la région, provoquant l’extinction de cette espèce dans le département. Les sources hydriques se sont également vues affectées à un point tel qu’elles ont été réduites de près de 70% et certaines rivières ont disparu.
Dans la région, plusieurs communautés s’opposent aux projets pétroliers qui ont un impact sur l’économie de la région, provoquent la déchirure du tissu social et s’imposent sur les territoires ancestraux des communautés autochtones. En 2015, Daniel Abril, un leader social et défenseur de droits humains reconnu dans la région, s’est fait assassiné par des paramilitaires. Il n’est pas le seul défenseur à avoir perdu la vie pour ses convictions dans le département.
Historique du projet
En 2009, une licence environnementale est autorisée par le ministère de l’environnement, de l’habitation et du développement territorial à l’entreprise pétrolière espagnole CEPCOLSA. Selon les normes établies pour la phase exploratoire, une étude environnementale n’était pas nécessaire. Le bloc pétrolier visait la création de 30 plateformes de 5 puits pétroliers chacune, pour un total de 150 puits.
En 2014, CEPCOLSA refait son apparition pour consulter la population pour la phase d’exploitation. Face à l’opposition des communautés qui s’inquiètent pour les sources hydriques de la région, CEPCOLSA décide de se retirer. L’année suivante, l’entreprise pétrolière canadienne PAREX reprend les reines et reçoit une vive opposition de la part des communautés de La Union, de la ville de Yopal et de Palmarito. Pour la seconde fois, le projet est avorté.
En 2015, une étude, financée par la communauté, est réalisée par la Fondation Cataruben, démontrant que la zone est riche en biodiversité et que son état de conservation n’est pas « apte à recevoir des activités minières, d’hydrocarbures ou minéro-énergétiques ».
Puis, le 7 août 2015, l’entreprise pétrolière canadienne Gran Tierra fait son entrée dans la région. Accompagnée de l’agence nationale de licences environnementales (ANLA), de l’agence nationale d’hydrocarbure et du ministère de l’intérieur, l’entreprise a réalisé une consultation. La consultation fut exécutée, selon les dires de la communauté, de manière complètement irrespectueuse et avec un manque de transparence flagrant. « Ils nous ont fait signer des coupons pour avoir une collation. Sur ces mêmes coupons, ils avaient intégré l’acceptation du projet de puit Prosperidad 1. De plus, certains votes avaient été achetés par des habitants qui avaient besoin de sous ou de travail », partage un paysan de la communauté de la Union.
À ce jour, la phase d’exploration sismique a été réalisée et la phase d’exploitation s’entame dans certaines des plateformes. Les plateformes pétrolières projetées se situent à quelques kilomètres à peine des zones urbaines des municipalités de Yopal et Aguazul. Yopal est la capitale du Casanare et compte environ 130 000 habitant.es. Il y a quelques années, l’aqueduc qui alimentait la ville en eau potable s’est achevé naturellement. La zone urbaine fait donc face à une problématique des plus importantes en terme d’accès à l’eau potable. Sur place, on peut retrouver la Croix Rouge qui distribue fréquemment de l’eau en période de crise.
En réponse à cette menace face à l’eau potable, les habitant.es des communautés qui seraient affectées, se sont regroupés en blocage pacifique depuis le 15 février 2017. Cela a notamment empêché que les premières foreuses qui permettent le fonctionnement des plateformes soient acheminées au bloque El Porton.
Yopal c'est nous tou.te.s
La communauté de la Union et les communautés affectées par le projet pétrolier de l’entreprise Gran Tierra dénoncent les impacts des perforations pétrolières qui sont bien connus dans la région. Des multiples raisons qui les poussent à bloquer la route de manière pacifique, on retrouve notamment le fait que : (1) la consultation effectuée n’a pas été conforme, l’opposition au projet est claire; (2) les puits sont situés à quelques kilomètres à peine de la ville de Yopal, qui a déjà un plan d’expansion de la région urbaine et ne veut donc pas sacrifier la périférie de la capitale du département; (3) il n’existe jusqu’à présent pas d’étude environnementale sérieuse en vue d'une phase d’exploitation; (4) la communauté vit présentement d’agriculture, de pisciculture et d’élevage de bovins, donc les impacts de la perforation briseraient l’économie paysanne en place; et (5) on retrouve dans la zone d’exploitation au moins cinq sources d’eau potable, qui permettent d’acheminer l’eau à la ville, et d’accès à la nappe phréatique importants. Considérant le problème d’eau déjà existant dans la ville de Yopal, la ville dépend de ces sources hydriques, qui sont essentielles à conserver.
Face à cette menace, la communauté de la Union et des habitant.es de la ville de Yopal se regroupent pour créer : Yopal, somos todos. Cette association cherche différents moyens de freiner l’entreprise et de conscientiser la population aux risques qu’engendrerait l’exploitation pour les sources d’eau de la région.
Persécutions
S’opposer n’est pas chose facile dans la région. Les représentant.es des différents quartiers et communes ont reçu plusieurs menaces. Des gens en moto ou en véhicule les ont suivi jusqu’à leur domicile. Et, sur celui-ci, certaines personnes ont découvert des marques. Ces marques servent, dans la région, à identifier la personne qui habite à cet endroit comme objectif militaire, un geste d’intimidation. Des appels ont été reçus par plusieurs personnes leur indiquant de ne pas se présenter au blocage pour leur sécurité et celle de leur famille. Le gouvernement appui Gran Tierra et indique que la communauté ne fait que « chercher le trouble ».
Le 5 mars 2017, trois leaders ont reçu un mandat pour le délit d’obstruction de la voie publique. Cette demande provient de l’entreprise pétrolière envers les trois leader sociaux. De plus, le 16 mars 2017, l’entreprise accuse également la communauté de violer le droit au travail de ses travailleurs. Ces judiciarisations sont des tentatives de freiner le mouvement de défense du droit fondamental à l’eau potable.
Malgré des demandes d’investigation par rapport au menace, le ministère public refuse de recevoir les plaintes ou d’apporter la sécurité nécessaire aux personnes menacées, alors que cela fait partie de son mandat. Des demandes au Système d’alerte préventive (Sistema de alerta temprana) ont également été placées par des organisations de défense de droits humains en appui à la communauté.
6 avril, se rassembler pour défendre l’eau
Le 6 avril 2017, les rues de Yopal se rempliront pour demander le respect du droit fondamental à l’eau potable. C’est une invitation à se rassembler et à lutter pour les droits que lance l’Association, Yopal, Somos Todos. « On nous accuse de bloquer les routes en disant que ce n’est pas la bonne manière de donner son opinion, mais si on avait pas fait ça, l’entreprise serait déjà en train d’exploiter… S'ls commencent la perforation, ça va être une tragédie », insiste une des présidentes de junta de acción comunal qui s’implique dans l’association.
Jusqu’à présent, la communauté a reçu l’appui de la mairie et de l’entreprise d’aqueduc de la ville de Yopal, en plus de CORPORINOQUIA, une agence colombienne de protection de l’environnement, qui s’est prononcée pour que le projet soit suspendu jusqu’à ce que soit effectuée une étude environnementale assidue.
L’appui de la communauté nationale et internationale est requis en ce moment pour que l’entrepris Gran Tierra ne passe pas à la phase d’exploitation au risque de mettre en péril les sources d’eau du département.