Les 21 et 22 mars derniers, plus de 1200 personnes, membres d’organisations autochtones, afro-descendantes, paysannes et sociales, se sont rassemblées dans la chaleur de la ville de Yopal, en Colombie, pour assister à l’inauguration du Congrès des Peuples dans la région Centre-Orientale du pays.
Le Congrès des Peuples pour la souveraineté populaire
« Le Congrès des Peuples est une convergence de différents mouvements sociaux de la Colombie qui est née des mobilisations de 2003 et s’est concrétiséeen Congrès en 2010 » explique Juan Fernandez, membre de la Commission internationale du Congrès. Cet espace se veut un outil social et politique pour que les organisations colombiennes puissent proposer un modèle alternatif à celui soumis par la structure politique actuelle en adoptant des mandats populaires, construits sur la base du consensus. Ils impliquent à la fois des revendications à l’État et des décisions de mettre en œuvre les propositions adoptées collectivement lors des sessions du Congrès.
« Le fait d’organiser une rencontre dans la région Centre-Orientale permet de stimuler le mouvement au niveau régional » explique Ricardo Apolinar, membre du Congrès des Peuples et coordinateur de la Corporation CHOAPO, une organisation qui se dédit à l’étude de problématiques économiques et sociales dans le Meta, une des principales régions pétrolières du pays. Lors de l’évènement du mois de mars, les départements présents étaient invités à partager leurs propositions quant à leur vision de l’organisation du territoire et de ses ressources afin que soient adoptés de nouveaux mandats qui reflèteraient la volonté de souveraineté, en termes d’autonomie et d’auto-détermination, des communautés autochtones, afro-descendantes, paysannes et des organisations sociales.
Trois propositions pour un modèle de vie digne
Durant l’évènement, les participants étaient divisés en quatre groupes de travail pour discuter des différents thèmes qui mèneraient à une proposition sociale et politique conjointe.
Dans un premier temps, la problématique minéro-énergétique fut traitée. Présentement, les politiques d’exploitation et la cession des terres aux transnationales permettent aux entreprises de satisfaire leurs intérêts économiques, alors que les travailleurs et travailleuses œuvrent dans des conditions de travail précaires.La dégradation sociale est perceptible et les impacts sur l’environnement font preuve de la détérioration du territoire. Aux termes des discussions, la proposition principale apportée par les participantEs fut celle de nationaliser les ressources qui sont présentement exploitées par des multinationales. Le Congrès des Peuples a adopté comme mandat de créer une nouvelle loi minéro-énergétique basée sur la souveraineté et le respect de l’environnement. Entretemps, l’augmentation des redevances et la réappropriation des contrats d’exploitation restent prioritaires.
Dans cette même optique de souveraineté et d’autonomie, le Congrès a également débattu de la proposition d’élaborer des territoires agroalimentaires et ancestraux. Il y a quelques années, une bataille quant à la reconnaissance des territoires autochtones et afro-descendants avait été gagnée grâce aux mobilisations sociales, obtenant que ces zones soient reconnues et protégées par la Constitution colombienne. La proposition de fonder des territoires agroalimentaires naît de l’idée de créer des zones où les paysanNEs peuvent exercer leurs droits et être reconnuEs comme sujets de droit, considérant l’isolement qui résulte de la cession des terres aux grands propriétaires terriens et aux entreprises transnationales. Ces zones, qui seraient établies avec des formules différant des réserves autochtones ou territoires afro-descendants, deviennent des outils auprès des instances politiques afin de faire pression pour le respect et la préservation des terres. Évidemment, ces espaces n’ont pas besoin d’être acceptés légalement pour entamer des démarches de construction d’un modèle de production nationale qui relève de la souveraineté alimentaire. Comme la création de ces espaces paysans soulève certaines problématiques, notamment en termes de respect des réserves autochtones, il a été déclaré durant cette session du Congrès des Peuples que ces territoires agroalimentaires se devaient de respecter les lieux ancestraux et les processus d’organisation populaire et que le Congrès serait mandaté pour la création de territoires ancestraux également.« Il est important de noter que, malgré l’acquisition d’une certaine reconnaissance dans la constitution des territoires autochtones et afro-descendants, il reste un travail énorme à faire pour diminuer les abus de droits à l’encontre de ces groupes » souligne Victor Chivaraquia, de la communauté U’wa.
Le fait d’avoir tenu l’évènement à Yopal n’était pas sans coïncidence, considérant que l’un des espaces de discussion traitait des biens de consommation collectifs, c’est-à-dire l’accès à l’eau, à l’électricité, à l’éducation, etc. Depuis environ trois ans, Yopal fait face à une crise sur le plan de ses ressources hydriques. « La ville de Yopal, qui, avant l’arrivée de l’industrie pétrolière, était desservit en eau potable, se trouve maintenant confrontée à la terrible réalité de devoir restreindre sa consommation d’eau et payer des sommes faramineuses pour l’eau potable et non potable » critique Carlos Roa, membre de la Corporation Social pour la Capacitation communautaire (COSPACC), une organisation qui œuvre à la défense des droits humains dans la région centre-orientale du pays. Ceci semble ironique et outrageant quand on apprend que les entreprises qui exploitent les ressources de la région ont des ententes avec le gouvernement et ne paient pas pour l’eau. Le thème des biens de consommation est un thème large et des discussions du Congrès s’est élaboré le mandat d’arrêter de privatiser les biens collectifs, mais plutôt de se les réapproprier dans un esprit de vie digne, en prônant des entreprises coopératives et communautaires.
Le quatrième groupe était formé des représentants des communautés autochtones de chaque région invitée. « C’était important pour nous d’avoir cette espace explique Victor Chivaraquia de la communauté U’wa pour traiter des trois sujets mentionnés afin qu’ils et elles concrétisent leurs propres propositions face aux différentes problématiques. Il apparaît primordial, compte tenu dela violence du modèle néocolonialiste, d’unir les luttes des communautés autochtones et des différents secteurs sociaux.
Un plan de développement alternatif
Le 20 mars, une dizaine d’heures avant le début de cette session du Congrès des Peuples, le gouvernement colombien a présenté son Plan national de développement pour 2015-2018. Avec ambition, il y parle des mesures qui seront prises face à la chute du prix du baril de pétrole et des stratégies qui seront mises sur pied pour mener le pays vers la paix, l’équité et un meilleur système d’éducation. Plusieurs critiques résonnent face à la stratégie de développement qui y est abordée, dénonçant qu’elle ne répond pas aux intérêts nationaux, mais plutôt aux stratégies néocolonialistes de l’Organisation pour la Coopération et le Développement Économique (OCDE), comme l’indiquait lors du panel d’ouverture de l’évènement le sénateur Alberto Castilla, dirigeant de Pouvoir et Unité Populaire (Poder y UnidadPopular), une branche du parti politique Pole Démocratique Alternatif (Polo democraticoalternativo).
Les propositions portées par le Congrès des Peuples permettent de présenter un modèle de développement du territoire colombien alternatif à celui imposé par le gouvernement et plus représentatif des besoins des communautés autochtones, afro-descendantes et paysannes qui subissent les effets de l’exploitation des terres. Un plan plus proche du Peuple, dans la mesure où l’objectif n’est pas l’accumulation de capital, mais la souveraineté territoriale et le respect des droits, mais qui se veut aussi alternatif dans sa manière de miser sur un modèle de production et de transformation plus local.
Billet rédigé par Florence Tiffou, stagiaire pour le Projet Accompagnement Solidarité Colombie