L'audace avec laquelle le gérant d'une société multinationale d'un pays qui prétend fournir une aide humanitaire à la Colombie, [le Canada] déclare qu’un village colombien doit être détruit parce que sa compagnie a besoin de l'or qui s'y trouve rappelle celle avec laquelle les États-Unis, cent ans plus tôt, ont pris possession du Canal de Panama parce qu'ils en avaient besoin, à la différence prêt que le Panama existe toujours alors que Marmato disparaîtra.1
Pour réaliser son projet de mine à ciel ouvert, la canadienne Medoro Ressources Ldt entend préalablement raser l'ensemble du village de Marmato: maisons, commerces, église et écoles, déplacer les habitant-es et expulser les mineurs artisanaux.
Notre village, ce n'est pas seulement une mine et les habitant-e-s, nous ne sommes pas uniquement des propriétaires de mines ou un bassin de main d’œuvre. Le peuple marmateño c'est nous, nous qui avons vécu dans ce village et qui avons envers lui un attachement qui ne se mesure pas en argent : le paysage que nous observons, les rues pavées que nous parcourons, l'architecture singulière qui caractérise notre village, les voisins avec qui nous construisons la solidarité, les histoires que racontent les anciens à propos de notre passé, histoires croisées des autochtones, des afrodescendants et des blancs, les mineurs qui depuis toujours savent extraire l'or de notre montagne, les muletiers qui rendent possible le transport du matériel à travers nos sentiers escarpés, les paysans et les autochtones qui, depuis nos champs, nous ravitaillent de leurs produits agricoles, bref, pour tout ce peuple de Marmato, nous affirmons que : Le gouvernement entend commettre un ethnocide à Marmato parce que la montagne qu'ils veulent abattre n'est pas une terre inhabitée, mais une zone urbaine d'occupation ancestrale par les autochtones et de 474 ans d'histoire coloniale et républicaine. Selon le recensement du DANE de 2005, ce village est habité principalement par la population afrodescendante (56,5%) et autochtone (16,7%), (…) et par un peuple qui s'est forgé une identité culturelle autour de l'activité minière, sans compter l'urbanisme typique de notre village qui lui vaut le nom de « la crèche d'or de la Colombie ».
Des esclaves aux mineurs traditionnels : Marmato est un site historique pour l'activité minière
Il s'agit de la destruction d'un patrimoine culturel et historique de la nation (…) parce que Marmato revêt une importance historique majeure pour les Colombiens et pour l'Amérique du Sud en général, puisque sa production d'or a servi a financer la Guerre d'indépendance et que ses mines furent cédées en garantie des emprunts réalisés par le gouvernement de Bolivar et Santander à la Banque d'Angleterre pour financer la campagne pour le Pérou et la création de la Grande Colombie. En d'autres mots, sans Marmato, la Colombie, l'Équateur, le Venezuela et le Pérou n'existeraient pas aujourd'hui ou du moins ces pays auraient pris beaucoup plus de temps à réaliser leurs indépendances. 200 ans plus tard, alors qu'on célèbre le Bicentenaire de l'indépendance, le tribut que perçoit Marmato est celui de son extinction.
La ruée vers l'or de Marmato n'est pas chose nouvelle. Les premiers conquistadores envahissent le département de Caldas en 1536 pour exploiter l'or grâce au travail forcé du peuple autochtone Cartamas (lequel sera complètement décimé après 100 d'esclavage dans les mines) puis des esclaves africain-es. Les habitant-e-s de Marmato, principalement autochtones et afrodescendant-es se dédient depuis à l'exploitation minière artisanale, principale source de revenus dans la région dont dépendent directement 1600 familles.
Les problèmes s’annoncent en 2005 avec l'arrivée à Marmato d'une compagnie canadienne, la Colombian Goldfields Ltd. Le gouvernement national commence alors a rendre la vie difficile aux mineurs indépendants pratiquant l'exploitation minière artisanale depuis des générations. Il déclare leurs activités illégales, interdit la vente de dynamite dans la région et use de plusieurs stratagèmes pour les forcer à vendre leurs petites concessions minières. En 2008, Colombian Godfields achète 84 mines dans la région de Marmato; la force publique procède aussitôt à la fermeture de ces mines traditionnelles, laissant sans emplois plus de 800 ouvriers. Ces derniers n'ont à ce jour reçu aucune compensation. Mais le pire est encore à venir.
Le gouvernement national est complice de la crise sociale qu'a traversé la municipalité de Marmato suite au passage et à la faillite de la compagnie canadienne Colombia Goldfield qui s'est soldé par la fermeture des mines, la destruction des usines, le chômage, l'insécurité lié aux déplacements de la population, la destruction du centre historique du village, la crise commerciale, les mutilations des mineurs, etc.
Mensonge éhonté : le gouvernement appelle les habitant-es à quitter la région devant le risque d'effondrement de la montagne
Le traitement cruel et inhumain réservé aux habitants de Marmato par l’État colombien qui s'évertue à terroriser la population avec des alertes mensongères concernant le possible effondrement de la montagne ne vise qu'à l'acculer au déplacement forcé. L'autorité environnementale, CORPOCALDAS, a certifié de la solidité du terrain et a statué que les risques environnementaux proviennent plutôt de la mauvaise gestion des déchets miniers, motif pour lequel, depuis 10 ans, le Ministère des mines a abandonné toute activité de surveillance de l'exploitation minière dans la région. Il est également cruel de la part du gouvernement colombien d'avoir cédé au pressions de la multinationale en interdisant la vente de dynamite à Marmato, forçant les mineurs artisanaux à utiliser la « black dynamite » [explosif artisanal] qui laisse une traînée d'aveugles et de handicapés dans son sillage. Tout aussi cruel est son recours à la violence pour expulser des centaines de mineurs artisanaux de leurs emplois et les obliger à travailler clandestinement dans des nids de poule alors que la compagnie utilise légalement de la dynamite juste au-dessous d'eux.
Des rumeurs concernant un méga projet d'exploitation à ciel ouvert commencent à circuler au village. La gérante du Projet Marmato au sein du gouvernement du Département de Caldas, Patricia Gómez se veut rassurante; elle déclare : « Pour l'instant, ce ne sont que des spéculations, il n'existe aucun projet enregistré indiquant que sera réalisée une exploitation à ciel ouvert exigeant le déplacement du village de Marmato ...» (La Republica, 1 septembre 2008). Pourtant, au même moment, le gouvernement de Caldas lance un cris d'alarme invitant les habitant-e-s de Marmato à quitter le village dans les plus brefs délais devant le risque imminent de glissement de terrain. La montagne de Marmato (zone minière du village) est sois-disant sur le point de s’effondrer sur elle-même. Malgré ce « risque imminent » (sic), la Colombia Goldfield poursuit pourtant l'exploration jusqu'à la fin de l'année 2008, conclue que le potentiel d'or de la région est trois fois plus important que les prévisions initiales et déclare faillite.
La Medoro Ressources accoure aussitôt, rachète les concessions que possède la Colombia Goldfiels sur le haut de la montagne (décembre 2009) puis celles situées sur les terres avoisinantes d'Echandía appartenant à de petits propriétaires ainsi qu'à la compagnie britannique Colombia Gold et enfin les concessions de l'entreprise colombienne Mineros Nacionales (le plus important employeur de la région) situées au bas de la montagne (février 2010). En 2011, le projet est consolidé et la Medoro Ressources possède l'ensemble des concessions sur le territoire, soit les trois zones d'extraction minière : la Zona Alta, la Zona Baja et Echandia, lesquelles réunies offrent un potentiel d'exploitation de 6,6 millions d'onces d'or et 37 millions d'onces d'argent.
Le ministre des mines appuie le projet de la Medoro avant de quitter le gouvernement pour travailler pour la compagnie canadienne
L'autorisation du gouvernement national [du projet de mine à ciel ouvert de la Medoro] épuisera en 20 ans une ressource naturelle non-renouvelable alors que son exploitation à petite et moyenne échelle et le travail artisanal ont permis pendant quatre siècles et demi, de développer une culture et une économie minière qui bénéficie à plusieurs générations. [Pour sa part, le gouvernement entend] en terminer avec l'activité minière le temps d'une génération, retirant aux générations futures la base culturelle et la subsistance économique de la région .
En juillet 2009, le Ministre des mines et de l'Énergie de l'époque, Hernán Martínez Torres, visite Marmato pour « informer et trouver des solutions » à la crise traversée par les mineurs indépendants et les habitant-es de la région. Le ministre refuse néanmoins de rencontrer les associations civiles et les individus désirant porter plainte contre les compagnies étrangères. Face à la demande de consultation publique, M. Torres, déclare que ce droit ne s'applique pas dans le cas de Marmato puisque cette région connaît une activité minière centenaire. Il faut croire que sa déclaration a dû plaire à la compagnie canadienne puisque à peine terminé son mandat au ministère, il reçoit un siège au conseil exécutif de Medoro Ressources Ltd. Suivant son exemple, son successeur, Carlos Rodado, visite la région en février 2011 et annonce publiquement son soutien au projet de mine à ciel ouvert; cherche-t-il également à s'assurer un emploi « en or » ?
La Medoro cherche la conciliation : les mineurs artisanaux n'ont qu'à changer de profession
Dès son entrée dans la région en 2008, la Medoro met sur pied une ONG : la CETEC [Corporation pour l'étude interdisciplinaire et le conseil technique] qui a comme mission de changer la vocation minière de Marmato pour l'orienter vers les activités agricoles. Dans le Journal local on peut lire que « la Medoro a mandaté la CETEG pour organiser la communauté en égard à l'exploitation à ciel ouvert. » Dans le même journal, le directeur de l'ONG présente un plan stratégique en trois temps. Premièrement, il s'agit, pour le moment, de restaurer les emplois dans les mines; durant la phase d'exploration, Medoro devrait offrir 300 empois. Dans un deuxième temps, des projets agricoles seront proposés à la population. Troisièmement, nous verrons à la formation techniques des mineurs. « La mine à ciel ouvert ne signifie pas que les petits mineurs disparaîtront, l'idée c'est que les mineurs artisanaux reçoivent une bonne formation durant la phase d'exploration pour qu'ils puissent ensuite se joindre à l'entreprise lorsqu’elle débutera l'exploitation. » (La Patria, 2 mai 2009) Face à ces déclarations, le maire de Marmato, Uriel Ortiz Castro, émet des réserves : « Changer la tradition d'une municipalité n'est pas chose facile. Les revenus obtenus de l'activité minière ne sont pas les mêmes que ceux que l'on peut tirer d'activités agricoles. Je vois ce projet avec angoisse, mais nous devons le faire. » (idem).
Les mineurs de Marmato ne partagent qu'en partie l'opinion du maire : pas question pour eux d'abandonner leur gagne-pain traditionnel et leur indépendance. Le 21 janvier 2011, la police évince par la force plus de 400 mineurs artisanaux. Devant cette nouvelle opération policière, les mineurs indépendants de Marmato déclarent : « Nous rejetons les méthodes utilisées par cette compagnie qui par le biais de l'ONG CETEC entend réaliser une sois-disante conciliation (...) Sous le couvert du dialogue et de la concertation, ces stratagèmes cherchent à abaisser nos conditions de travail à un niveau très inférieur à celui que nous avions avant [l'arrivé de la transnationale] (…) Aujourd'hui, ils essaient de nous expulser, nous laissant sans autres options de travail et nous condamnant pratiquement à la misère. Dans un avenir proche, la compagnie agira sûrement de la même manière avec le reste des mineurs indépendants et des habitants de Marmato qui contreviennent à son projet d'exploitation à ciel ouvert situé à même le village de Marmato. ».
La résistance s'organise : non à la disparition d'un peuple et de son histoire
À peine 4 jours plus tard, l'appel des mineurs indépendants est repris par plusieurs organisations sociales de Colombie qui signent une déclaration en appui au Comité civique Pro Defensa de Marmato et dénoncent les tactiques de division de la communauté ainsi que les tentatives d'intimidation et de corruption mises en branle par la Medoro Ressources et son ONG vitrine, la CETEC. Les signataires dénoncent la campagne médiatique de diffamation entrepris par Medoro Ressources à l'encontre des habitant-es de la région ainsi que la manipulation (par exemple les fausses alertes quant à l'effondrement de la montagne) à laquelle participent les fonctionnaires locaux et urgent les médias à cesser de relayer une telle propagande mensongère. En plus des désastres humains (déplacements forcés, pertes d'emplois, etc.) et écologiques, le front de défense qui se mobilise pour appuyer les habitant-e-s de Marmato souligne que le projet de la Medoro Ressources contrevient aux dispositions légales en vigueur qu'il soit question du décret 2223 de 1954 autorisant strictement l'exploitation minière à des fins de subsistance sur la partie élevée de la montagne, de l'article 35 du Code minier qui interdit l'exploitation minière dans les zones urbaines ou encore de l'article 6 du régime d'organisation territorial de Marmato qui stipule que doit être évité à tout prix l'exploitation à ciel ouvert afin de garantir la durabilité des ressources pour les prochaines générations.
L’État colombien viole tous les règlements de la loi nationale et internationale quant à l'exploitation minière 1) dans les zones urbaines, 2) sur un lieu de patrimoine culturel et 3) sur un territoire où réside de manière traditionnelle des communautés autochtones et afrodescentantes (…) En outre, la compagnie n'a toujours pas réalisé d'étude environnementale.
La Medoro est pourtant fière d'annoncer qu'elle termine actuellement (avril 2011) la phase d'exploration et a déjà commencé les activités de forage qui devraient se conclurent cet été par l'ouverture officielle de la mine d'or à ciel ouvert. La compagnie considère en effet que « The Marmato Mineral Resource is not materially affected by any known environmental, permitting, and legal, title, taxation, socio-economic, political or other relevant issues. » (Rapport de Medoro Ressources, janvier 2011).
Nous continuerons à lutter pour la défense de nos territoires ancestraux et pour la dignité de notre peuple! Tous unis pour Marmato!
Un mariage arrangé
Le 14 avril 2011, la Gran Colombia Gold et Medoro Ressources annoncent leur fusion en une seule entreprise laquelle aura une capitalisation boursière d'un milliard de dollars canadiens à la bourse de Toronto. Une histoire quelques peu incestueuse faut-il dire puisque Serafino Lacono, l'un des fondateurs de la Medoro, est coprésident exécutif et également membre fondateur de la Gran Colombia, l'autre membre fondateur, Miguel de la Campa, étant lui directeur exécutif de la Medoro !
Sources : Asociación de Mineros Unidos de Marmato, « Por el derecho a trabajar de los guacheros », Communiqué du 27 janvier 2011. Comité Ejecutivo del Consejo Regional Indígena de Caldas (CRIDEC) « Compañia canadiense anuncia que necesita tumbar todo el pueblo de Marmato », 12 juin 2010. « En Marmato el oro vale más que la vida », Journal Periferia, Colombia, septembre 2009. Jorge Enrique Robledo, Sénateur. « Hay que repudiar que contra los marmateños se proceda de hecho », lettre ouverte, Bogotá, 22 décembre 2010. Medoro Resources Ltd. « Minister of Energy and Mining of Colombia Visits Marmato Project and Indicates Support for Open Pit Mine », Communiqué du 16 février 2011. Medoro Ressources Ltd « Mineral ressource estimate of Marmato Project, Colombia », Rapport préparé par SRK Consulting, 6 janvier 2011. Medoro Ressources Ltd . « Gran Colombia and Medoro Announce Merger to Become Leading Colombian Gold Company », Communiqué du 13 avril 2011. Red Colombiana de acción frente a la gran minería transnacional-RECLAME et al. « Declaración de la 1era Cumbre de unidad por la defensa de Marmato », 25 janvier 2010.
Medoro Ressources Ltd. 333 Bay Street , Suite 1100, Toronto, Canada, M5H 2R2 Tel: 416-603-4653 Fax: 416-360-7783
Greg DiTomaso, Investor Relations Tel. 647.436.2592, IR@medororesources.com
Notes
La Piedra, no 8, été 2011