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30/09/2006

 

Pour les balles, le désarmement...  20 000 hommes sans armes apportés par la paix, mais ils ne parleront jamais des plans de sécurité militaire et policier. Pour la faim, des projets agro-industriels, mais jamais ils ne diront que la terre est celle des 3 millions de déplacés.


La première initiative disait: Vérité, justice et réparation.

D’abord, la vérité a disparu.

Et maintenant, ni justice ni réparation.
...bienvenue au futur, à l’État de fait, à la démocratie sans pain, sans terre, sans liberté.


Du militaire au politique

Les paramilitaires n’ont pas seulement été créés par l’État comme une expression militaire mais également comme une expression sociale, politique et économique qui se projète au niveau local, régional, national et international. L’influence à tous les niveaux des paramilitaires est si profonde et étendue qu’il n’est pas exagéré de parler d’une paramilitarisation de la Colombie. À la différence de la guérilla, les paras ne sont pas nés contre le système, mais de celui-ci même, avec comme bannière la défense de la propriété et le soutien à l’État dans le combat contre la subversion. Le gouvernement d’Alvaro Uribe Velez est complice de l’action délictueuse des paramilitaires, à preuve la politique de sécurité démocratique, les prétendus dialogues de paix avec les chefs paramilitaires et le fait que les organisations du narcotrafic n’ont pas été démantelées et que chaque jour elles occupent une place grandissante dans la vie des communautés. Un gouvernement répressif, allié de la délinquance organisée, qui met les outils juridiques requis au service du narcotrafic.


Chronologie du paramilitarisme


Mancuso: "Nosotros nacimos como informantes de las instituciones del Estado"

En 1965, était promulgué de manière provisoire, sous l’état d’exception, le Décret 3398, qui établissait que “... tous les Colombiens, hommes et femmes, non compris dans l’appel au service obligatoire, peuvent être utilisés par le gouvernement dans des activités et travaux qui contribuent au rétablissement de la normalité”1. Par ce décret, les groupes de civils pouvaient s’armer légalement. Le Ministère de la Défense nationale était également autorisé, par l’article 33, à utiliser comme si elles étaient de propriété privée des armes des forces armées, lorsqu’il le jugeait convenable. Il fut convertit en législation permanente en 1968 et les «groupes d’autodéfense» se sont adaptés grâce à ces normes, sous le parrainage de la force publique. Ce n’est qu’en 1989 que la Cour se prononça sur ce décret, déclarant inconstitutionnel l’article 33 et précisant ce que recouvre l’article 25.


Même si l’État soutient ne pas avoir eu de politique officielle d’incitative à la constitution de groupes paramilitaires, il en a la responsabilité de par l’interprétation faite de la loi qui les protègent et de ne pas avoir mis en œuvre les mesures nécessaires pour prohiber, prévenir et punir leurs activités. Des manuels de l’armée, datant des années 1960 et 1970 donnent des instructions précises sur la nécessité d’armer des civils et d’employer toutes les sortes de méthodes irrégulières contre la “population civile sympathisante” de l’ennemi. Il y a clairement une relation entre des unités des forces militaires et policières pour l’application des divers modèles de paramilitarisation de territoires du pays. Le paramilitarisme devint la clé de la stratégie de la “guerre sale”, où les actions “sales” ne peuvent pas être attribuer à des gens au nom de l’État, parce qu’elles auront été déléguées à des groupes confus de civils armés. Deux types d’évènements se confondent alors: des actions d’officiers militaires camouflés comme des civils et des actions militaires de civils protégés de manière clandestine par du personnel militaire. L’objectif est commun: l’impunité. Même si les médias de masses rapportent des affrontements entre les forces armées de l’État et les groupes paramilitaires, dans la plupart des cas des “dommages de bases” ne sont pas des paras, mais des paysans ou gens du peuple dont les cadavres apparaissent comme “paramilitaires”, dans d’autres cas il y a eu des accords entre l’armée et les commandants paras pour se débarrasser de paramilitaires de bas rang qui sont devenus insubordonnés ou problématiques, les faisant apparaître comme cibles de la persécution officielle.

À la fin de 1978, le terrorisme d’État est mené contre des activistes de gauche par le “Triple A” ou A tion américaine anti-communiste. Plus tard, des enquêtes relieront ce groupe à du personnel militaire du Bataillon de renseignements et de contre-espionnage Charry Solano (BINCI). En 1981, apparaît le groupe MAS ou Muerte a Secuestradores, auquel on attribue de nombreux crimes, disparitions, massacres, assassinats, tentatives d’assassinats et autres attaques. En 1982, des groupes de civils armés dans les régions rurales s’identifient à ce logo, particulièrement dans le Caqueta et Magdalena Medio. Lentement, le paramilitarisme se renforce, et bientôt le nom devient celui d’Autodefensas, organisées en réseau de groupes de civils armés, coordonnés et entraînés par l’armée, dans une action frénétique d’extermination des «communistes». Les bombardements menés par les hélicoptères de l’armée étaient accompagnés ou suivis par des incursions d’extermination des Autodéfenses, directement contre les activités de n’importe quelle organisation sociale ou politique d’idéologie gauchiste. Les armes étaient fournies par l’armée. L’ACDEGAM, Asociación Campesina de Ganaderos y Agricultores del Magdalena Medio, mettait sur pieds des projets «légaux» financiers, éducatifs, sanitaires ou d’infrastructures et de routes, afin de gagner le contrôle de la population entière. Plus tard, un mouvement politique mena l’expérience au niveau idéologique: MORENA, le Mouvement de rénovation nationale. Dans les années 1980, apparue également l’alliance entre les Autodéfenses et les trafiquants de drogues. Ainsi que l’offre de mercenaires anglais et israéliens pour entraîner les paramilitaires.

Autour de 1989, le paramilitarisme devint plus clandestin, il ne devait plus être reconnu explicitement par le gouvernement, mais ses actions n’en seront pas diminuées. Dans les années 1990, le paramilitarisme a une nouvelle impulsion. Un communiqué du président Samper fournit une existence légale au paramilitarisme reformulé comme des Associations communautaires de vigilance rurale (13 décembre 1994), les soutenant dans une supposé action “défensive”. Les groupes de civils armés sont coordonnés et fournit en armes par la force publique, et financés conjointement par les secteurs publics et privés. Le premier sommet des Autodéfenses de Colombie a lieu au début de l’année 1995. Les paramilitaires se réjouissent que les autodefensas se sont ravivées sur tout le territoire national, avec une identité commune, sans quitter la ligne «antisubversive». Ils décidèrent de grouper ensembles toutes les organisations d’autodéfenses existantes dans le pays, avec comme mission principale la lutte contre la subversion en Colombie. Ils se sont organisés dans des structures comme le GRAU (Groupe d’autodéfense urbaine), GRIN (Groupe de renseignement) et le GRAP (Groupe de support politique). De plus, les personnalités syndicales et politiques de la gauche sont encore considérées comme des cibles militaires. L’idée des Autodefensas Unidas de Colombia se concrétisa lors d’une seconde conférence en avril 1997, où ils exprimèrent clairement qu’ils ne voulaient pas seulement être une armée, mais également une force politique «qui représente et défend des droits et intérêts nationaux négligés par l’État».

Il y aurait 49 blocs paramilitaires présents dans 26 des 32 départements colombiens et dans 382 des 1 098 municipalités. Ce qui équivaut à 13 500 hommes distribués sur 35% du territoire national. Les AUC aurait un contrôle absolu dans de vastes secteurs de Caribe, Urabá et la partie centrale de la rivière Magdalena; une domination relative dans le nord-est et des secteurs de Medellín; une ascendance importante mais en lutte dans une partie des Llanos; une influence naissante dans Valle et Nariño, et une ‘tâche’ inconclue dans les forêts du sud, surtout à Putumayo.

On peut dégager les principales caractéristiques du paramilitarisme :
  • financement de la part de la grande entreprise et d’autres organisations commerciales (agro-industrie, éleveurs, compagnies pétrolières, trafiquants de drogues)
  • support politique de la part de maires, de militaires, de leaders des partis traditionnels (jusqu’au congrès et en haut du pouvoir exécutif)
  • support militaire du bataillon local, et à la fois de la brigade locale, donc du haut-commandement de l’armée, jusqu’au bureau de la défense nationale (et même un support international via les mercenaires étrangers)
  • support du pouvoir judiciaire, c’est-à-dire impunité, via l’absence d’enquête, la sanction de petits criminels et l’absolution des décideurs; en fait, seulement 3% des crimes en Colombie résulteraient en une condamnation
  • support effectif des pouvoirs exécutif et législatif, par la promotion des responsables des structures paramilitaires et des lois et décrets favorables à l’impunité, malgré les “condamnations” dans les discours
  • support de la part des organismes de contrôle de l’État, qui abdiquent volontairement leur pouvoir de punir les auteurs des crimes pour ne pas se retrouver face au phénomène paramilitaire.

 

El para-Estado de los paras: contre-réforme politique

La véritable vocation des paramilitaires est le pouvoir: militaire, politique et économique. Un pouvoir qu’ils ont consolidé avec l’appui de secteurs des forces armées, commerçants, industriels, propriétaires terriens et politiciens. Aujourd’hui, ce n’est pas simplement une infiltration paramilitaire qui a lieu, mais un nouvel ordre des choses avec la légitimation du narcoparamilitarisme dans le pouvoir public et l’identité d’un projet politique féodal et autoritaire conforme aux logiques de privatisation. Le bruit produit par la première étape, la militaire, masqua pour beaucoup de temps la seconde, celle de la pénétration dans l’économie et le politique des différentes régions où ils acquirent une influence ou un contrôle territorial.

Si dans certaines régions du pays le contrôle paramilitaire est exercé via la terreur, ou la dispute contre la guérilla pour des corridors et des zones de cultures illicites bat son plein, dans d’autres régions le processus de domination de la société est bien avancé. Celui-ci combine la présence armée avec le travail communautaire: construction de routes, prestations de services de santé, ou via des fondations et des coopératives, des projets productifs. Tout ça accompagné d’un discours qui exploite habilement les intérêts régionaux vis-à-vis le centre, et en se présentant comme le remède naturel face à la menace de la guérilla et l’absence de l’État. Le projet politique paramilitaire est donc plus dangereux que le projet militaire: les paramilitaires gagnent une base sociale par un projet de participation démocratique.

L’appui que les AUC reçoivent dans certaines régions n’est pas à leur projet politico-militaire, sinon une reconnaissance, en général passive, au rétablissement d’un ordre régional. Ils ont une certaine acceptation sociale provenant de la sensation de sécurité qu’ils auraient donnée à la population par leur arrivée ou par les programmes de développement social et économique qu’ils promeuvent.

Mais il y a également une importante dose de l’infiltration des autodéfenses à feu et à sang. Pratiquement tous les assassinats de syndicalistes, journalistes et défenseurs de droits humains qui ont été enquêtés ont pour responsable des paramilitaires. Les tactiques d’élimination d’opposants vont du pot-de-vin aux campagnes de salissage contre le fonctionnaire qui ne se soumet pas, jusqu’à la mort. Concrètement, les massacres ont été une stratégie utilisée contre les membres de la société les plus vulnérables tels que les peuples indigènes, les communautés afrodescendantes et les déplacés, alors que les méthodes de l’assassinat sélectif et de la disparition sont  utilisées contre les défenseurs de droits humains, les leaders syndicaux et sociaux, les journalistes, les avocats et les candidats électoraux.


Déposséder les communautés natives de leurs droits ancestraux par la terreur.

L’engagement de toute la population dans le conflit armé a été recherchée, afin qu’une position de neutralité devienne impossible. Seulement trois alternatives sont laissées aux paysans des territoires contrôlés par les paras: collaborer avec eux et se soumettre à leur imposition, abandonner la zone, ou mourir. Ceux qui restent doivent construire des bases paramilitaires, livrer leurs jeunes enfants à l’entraînement et aux patrouilles, payer les taxes, et assister à tous les meetings.


Quatre phases

On peut tracer quatre phases du paramilitarisme en Colombie.

La première étant celle des  massacres, de la terre brûlée, de la destruction des liens collectifs. Peut-être dû aux pressions internationales face à ces pratiques horribles, ou parce que dans les deux dernières années il n’y a pas eu de grandes avancées sur de nouveaux territoires, aucune municipalité colombienne ne semble aujourd’hui être dans cette phase, même si beaucoup souffre des assassinats sélectifs.

Ce type de crime est précisément une caractéristique de la seconde phase, lors de laquelle les paramilitaires cherchent à se consolider sur le plan militaire et commencent à pénétrer les structures sociales, politiques et économiques. C’est le temps où ils éliminent les opposants, imposent des tributs aux commerçants et industriels, et exercent des pressions sur les mairies et les leaders communautaires pour accéder à leurs ressources. Cependant, il n’y a pas encore un contrôle total sur les secteurs publics et privés. C’est également l’époque de l’achat à bas prix des terres laissées par les paysans qui ont fui lors de la terreur des massacres.

La troisième phase est celle du travail communautaire et de l’occupation territoriale. Suite à une période de tension, d’extermination ou de mise au silence des opposants, les paras entreprennent d’obtenir définitivement la direction de la région. Les extorsions cessent d’être la méthode de base de relation avec le secteur économique. Ils commencent à installer des fondations et des coopératives pour mettre de l’avant des projets productifs et faire de la gestion sociale partagée : exploitation forestière, minière et d’autres ressources naturelles, agro-industrie, œuvres d’infrastructures pour le marché mondial. Mais c’est aussi le temps de la déterritorialisation mentale et spirituelle des peuples et communautés.

Dans la quatrième phase, on peut parler de domination réelle d’un territoire. Les indices de criminalité baissent, l’opposition n’existe pratiquement plus et se consolide le projet politique et social para. Cesar, Magdalena et Córdoba en sont des prototypes.

 

Conversations de paix!

Et pour le gouvernement, quiconque s’oppose aux négociations avec les AUC favorise la guérilla.

Quiconque s’oppose est un ennemi du pays et de la paix.

La création de groupes paramilitaires en Colombie a été une méthode de guerre sale, qui avait comme finalité d’épargner à l’État les coûts des atrocités qu’il commandait.  Aujourd’hui, les structures décomposées (ou institutionnalisées) de cette stratégie irrégulière se convertissent en piliers d’un nouveau modèle de société par l’oubli et l’impunité. La séduction discursive et l’autoritarisme font partie de la combinaison.

Le gouvernement d’Uribe n’a formulé aucune politique étatique pour la paix, au contraire, il soutient la thèse absurde qu’il n’existe en Colombie aucun conflit armé interne qui mériterait une telle politique. Il n’a pas non plus rempli les aspects essentiels des recommandations internationales pour la protection des droits humains, et en échange a promu un “dialogue” avec les AUC qui résulte en l’amplification de leur pouvoir et l’impunité généralisée. Le gouvernement d’Uribe ne propose pas de programmes pour la réparation des centaines de milliers de victimes de la guerre, mais il donne de l’argent pour une organisation qui s’est appropriée des immenses étendues de terre, s’est enrichie par le narcotrafic et contrôle beaucoup d’autres pans de l’économie illicite. Le gouvernement d’Uribe n’exige pas de ceux qui ont commis les massacres qu’ils réparent leurs torts, au lieu il les libère de la “charge” de leurs crimes. Le gouvernement destine quatre fois plus d’argent pour les démobilisés qu’il en investit pour s’occuper de seulement 30% des déplacéEs.

Les négociations avec les paramilitaires ne sont rien de plus qu’une conversation entre amis pour faire des arrangements pour l’impunité. Cette mascarade derrière laquelle se protège Uribe vaut la peine de rappeler que le congrès, élu à 35% par les paramilitaires, a éliminé de la loi 418 la reconnaissance préalable du statut politique des groupes comme condition sine qua non pour établir un tel dialogue. Le gouvernement n’est pas entre les mains des paramilitaires... le gouvernement est paramilitaire. Les assassins paramilitaires et les soldats de la patrie partagent déjà tables et maisons dans diverses régions du pays.

La première étape pour mettre en branle les négociations avec les paramilitaires fut donc de modifier la loi 418 de 1997 et supprimer dans la nouvelle loi 782 de 2002 la condition selon laquelle pour établir des conversations et dialogues avec quelconque organisation armée, le gouvernement doit d’abord lui reconnaître un caractère  politique, qui se base dans la défense de principes et pratiques opposés au régime. Le gouvernement d’Uribe nie l’existence d’un conflit armé en Colombie, son but est de ne pas avoir à envisager une solution politique et négocier avec le véritable pôle insurgé. Il préfère tenir un discours dans lequel les seules forces politiques avec lesquelles  il négocie sont celles qui défendent le même modèle social que l’État...

En juillet 2004, le gouvernement colombien a initié un “dialogue” de paix avec les Autodéfenses unies de Colombie à Santa Fe de Ralito. Pour faciliter les “négociations” et  les démobilisations, le Décret 128 a été approuvé (en janvier 2003) qui gracie les membres des groupes armés qui n’ont pas été condamnés ou qui n’ont pas été accusés de  violations de droits humains2. Le Décret 2767 du 31 août 2004 étend le régime de bonifications économiques pour collaboration via remise d’information sur les organisations illégales, déjà établit par le Décret 128. Cette fois, les bénéfices économiques pour collaboration se trouvent orientés en général pour des activités de  coopération avec la force publique en relation avec le contrôle des délits en territoire colombien.3 C'est justement l’emploi de civils en appui à la force publique qui peut reproduire les circonstances au cours desquelles se sont formés le groupes de justice privée qu’aujourd’hui on prétend démanteler...


"Un desempleado encuentra que si acusa a su vecino de guerrillero se puede ganar algo para comer" (Javier Giraldo)

Le controversé décret 128 prétend en fait légitimer et légaliser le projet étatique de contrôle armé de la population. Le décret 2767 quant à lui permet le “recyclage” des  combattants paramilitaires à l’intérieur de la force de sécurité publique, à travers l’instauration de paiements pour l’information et les services rendus. Le gouvernement  colombien actuel veut que la société civile soit collaboratrice des forces armées du pays sans établir de frontières entre le peuple et les militaires. De 2002 à 2004  seulement, plus de deux millions et demi de Colombiens se sont convertis en «coopérants militaires» du gouvernement Uribe en échange d’une rémunération. L’État rend  plus difficile la délimitation entre le civil et le militaire, à travers des programmes comme le Réseau de coopérants civils, celui des informateurs et le programme de  “soldats paysans”. Le paramilitarisme a un principe directeur qui consiste à effacer les frontières entre le civil et le militaire et créer une zone grise où jamais il n’est clair  où commence l’action armée de l’État et où se termine l’action désarmée des civils. Le gouvernement d’Uribe l’a amplifié de manière exorbitante, créant de nouveaux  espaces “légaux” par lesquels les civils peuvent s’impliquer dans la guerre, renforçant le pôle belliqueux étatique. Le changement de statut légal des entreprises privées de  sécurité de plus en plus nombreuses, converties en appendice de la force publique (décret 3222/02), a augmenté encore plus la zone grise, pour confondre le civil et le militaire dans un conflit dans lequel seulement un pôle civicomilitaire monopolise toute la légitimité possible et autorise à démoniser un ennemi également considéré  comme civicomilitaire.

Le cadre juridique de l’institutionnalisation paramilitaire, qui s’appelait d’abord le projet de loi d’« Alternativité pénale » et se nomme aujourd’hui la loi de « Justice et Paix »  loi 975, adoptée le 21 juin 2005) est en réalité un projet de « Pardon et d’Oubli »4. Dans l’imaginaire social de la pacification para-institutionnelle, martelée dans les  cerveaux par la propagande médiatique, de la nouvelle phase du paramilitarisme comme para-État, la paix est jouée comme un acte théâtral et se réduit à un spectacle de  remise des armes. La loi de « Justice et Paix » accepte la remise des armes comme signe de repentir et de regrets, sans démonter ni affaiblir aucunement le  paramilitarisme, sans déconstruire la privatisation de la force, sans rompre avec les logiques et idéologies militaires qui soutiennent les conceptions d’ennemis internes,  mettant dans le même sac les combattants et les civils.

Démobilisation ou remobilisation ?

En décembre 2002, les AUC ont déclaré unilatéralement un cessez des hostilités comme “geste de compromis”. Pourtant, selon de nombreux témoignages, des hommes  des AUC continuent à perpétrer des massacres, assassinats sélectifs, enlèvement, extorsions, déplacements forcés, expropriation de biens, surtout de terres. Les paras  continuent également à recruter des combattants. Selon la Commission colombienne de juristes, les forces paramilitaires ont assassiné 1 899 personnes suite à la  déclaration de cessez-le-feu du 1er décembre 2002 au 31 août 2004. Le « pacte » a de nombreuses fissures et la tentation est permanente d’utiliser la guerre sale comme mécanisme d’imposition et de contrôle. Les nombreuses cérémonies de « démobilisation de paramilitaires » qui se sont succédées depuis novembre 2003 (initiée par la « démobilisation » du Bloc Cacique Nutibara à Medellín) n’ont pas désintégré les structures paramilitaires : restent le contrôle des territoires, l’obéissance aux chefs, l’apologie des autodéfenses, le prosélytisme militaire, les campagnes politiques. Des démobilisés se regrouperaient actuellement pour continuer leurs actions. Notamment  les Autodefensas Unidas Independientes, les Aguilas Negras, les Caminantes, Los Rastrojos. La démobilisation des groupes paras aurait-elle alors seulement été une simulation?

Impunité

Selon les mots de Baez : “No nos hemos consumido en 20 años en el monte para salir por la puerta trasera"..."Ni un minuto, ni un segundo de cárcel, ni allende ni aquende  las fronteras”. Ils iraient prisonniers seulement si les accompagnent “tous les présidents depuis Belisario".

Plusieurs organisations non gouvernementales colombiennes et internationales condamnent la loi de Justice et paix, qui est un nouveau coup pour les victimes des  paramilitaires, car en réalité la loi consolide l’impunité et nie le droit des victimes à la vérité, la justice et la réparation. De plus, cette idée viole un principe directeur de la  constitution, celui de l’égalité des citoyenNEs devant la loi. La loi prévoit une peine maximale de cinq à huit ans qui ne soit pas nécessairement en prison. Il n’y a aucune  obligation pour les démobilisés de révéler la totalité de leurs crimes et même si, des années après la “confession”, on découvre d’autres crimes, le démobilisé bénéficiera  encore de peines alternatives. En fait, même s’ils finissent par être condamnés, les commandants paramilitaires peuvent avoir des peines aussi minimes que deux ans pour  tous leurs crimes, sans avoir à se confesser, à révéler ce qu’ils savent sur les réseaux mafieux et sans devoir remettre la totalité des biens qu’ils ont acquis  illégalement. Le Décret 128 amnistie de facto la majorité des paramilitaires. Un article crucial dans la “Ley de Justicia y Paz” catégorise le “paramilitarisme” et les crimes connexes (dont le trafic de drogues) comme des crimes politiques, qui ne peuvent mener à l’extradition selon la constitution colombienne.

En Colombie, les victimes sont ignorées. Il n’y a pas eu une seule réunion du gouvernement avec une des 430 associations de victimes existantes dans le pays avant  l’adoption de la loi. L’État demande aux victimes qu’elles sacrifient leur douleur pour la “paix”. L’impunité ne mène pas à la réconciliation. Le gouvernement renonce à  arrêter la machine de la guerre sale. Ce qui est approuvé n’est pas le chemin de la paix, mais la légalisation de la guerre. Il serait nécessaire de renoncer en grande partie  aux exigences de justice face aux crimes des paramilitaires pour pouvoir obtenir “la paix”.

Les crimes qu’on se propose de soustraire à la justice ont le caractère de crimes internationaux (tel que crimes contre l’humanité, etc. ) Le droit international établit que les  crimes contre l’humanité sont imprescriptibles et qu’ils ne sont pas amnistiables ou graciables, que si leurs auteurs ne sont pas jugés dans le pays où ils sont peut  s’appliquer la juridiction universel dans n’importe quel autre pays, qui peut alors exiger l’extradition pour un tel procès, ce qui n’admet pas d’exemption aucune. Des  organisations de défenses de droits humains colombiennes et étrangères affirment que le processus de démobilisation jusqu’à aujourd’hui ne rencontre pas les standards  internationaux de justice, vérité et réparation que le gouvernement colombien a ratifiés.

Même si l’Organisation des Nations Unies a déclaré que le gouvernement colombien actuel “tend à considérer toute violence comme terroriste, ignorant de cette manière  l’existence d’un conflit armé interne et par conséquent la nécessité d’appliquer le droit international humanitaire”, pendant ce temps, la communauté internationale monte  sur son unique et invariable cheval de bataille: il faut lutter contre le terrorisme. Parfait, s’il faut lutter contre le terrorisme, vous devez savoir qu’en Colombie le terrorisme  est un terrorisme d’État, que l’agression provient d’en haut, et que ceux qui invoquent la solidarité mondiale contre la sauvagerie sont précisément les sauvages qui assassinent, massacrent, volent et expulsent.

L’Union européenne donne son appui politique au processus de démobilisation et de réinsertion des groupes armés illégaux. Le Cananda a également donné son appui. La  plus importante demande de la communauté internationale concerne en fait l’exigence d’un cadre juridique adéquat pour le processus de démobilisation.

La terre comme butin

La terre a un prix, la terre pour la vendre et l’acheter, la terre sans attaches culturelles, la terre qui répond à la loi de l’offre et la demande.

Non seulement les paramilitaires ne rendent pas les terres dans le cadre de leur supposée démobilisation, mais en plus ils continuent à agrandir la frontière agricole qu’ils  protègent pour les investisseurs nationaux et internationaux, à coups de feux, de mensonge et de séduction. Le processus de démobilisation des paramilitaires permet la légalisation des terres usurpées, appropriées avec violence, ou usufruit de projets agro-industriel d’exportation de palme africaine, asperges, brocolis, entre autres, aux États-Unis, Canada et Europe, de l’exploitation minière, de l’industrialisation de la coca et de la construction d’infrastructures (par exemple la route panaméricaine, le canal  Atrato-Truando, etc.). En réalité, le processus de démobilisation permet la légalisation de la contre-réforme agraire des 25 dernières années.

Des estimations récentes suggèrent que la terre abandonnée par les déplacés dans les années récentes équivaille à 4 millions d’hectares, un chiffre presque du triple de la terre distribuée pendant  plus de quatre décennies de réforme agraire. Le désir d’établir le contrôle territorial est un élément clef de la stratégie de guerre, tant de la guérilla que des paramilitaires,  qui utilisent la violence pour vider les territoires et forcer leur population à l’abandonner. Il existe pourtant un décret (2007) de 2001, cependant non appliqué, qui  recommande que lorsqu’une zone est déclarée spécialement affectée par le phénomène du déplacement doit s’appliquer un espèce de gel des transactions dans les  bureaux de registres publics, afin d’éviter le chantage et la dépossession des propriétaires déplacés.

Pendant la guerre, les narcotrafiquants auraient acquis des terres dans plus de 400 municipalités colombiennes, contribuant à l’extension des propriétés de plus 500  hectares et à la réduction d’un million le nombre de propriétés de moins de 5 hectares. Avec cela s’est réalisé la plus grande contre-réforme agraire des dernières années.  Le président Uribe proposa donc de lutter contre le narcotrafic en confisquant les terres où sont semées des cultures illicites. Ces terres sont situées en fait dans des zones  de colonisation où il n’y a virtuellement aucun titre de propriété sur les terres occupées par des colons expulsés d’autres régions, ou bien elles se trouvent dans des zones d’économie paysanne déprimée. Dans les deux cas, les producteurs de coca ou d’amapola sont menacés par les grands propriétaires terriens ou les organisations armées.  De plus, le président doit sûrement savoir que la territorialité de la production n’est pas la même que la territorialité de résidence des narcotrafiquants, que leurs fermes  sont dédiées à l’élevage extensif ou à la simple spéculation foncière, et donc que suivant la nouvelle politique, elles ne sont pas comptées dans la lutte contre le  narcotrafic.

La réconciliation par le « progrès »

Les chefs paramilitaires eux-mêmes développent leurs projets productifs, entre autres de culture de palme et de reforestation. Dans les Llanos, le Bloque Centauros a mis  de l’avant la réincorporation des démobilisés avec les déplacés et les victimes de la guerre dans un gigantesque mégaprojet de palme africaine, et ils considèrent des  alternatives similaires dans Córdoba, Urabá et Magdalena Medio. Dans les zones où les AUC ont le contrôle, la « cohésion sociale » est garantie par les armes. Maintenant,  la cohésion sociale serait nouvellement garantie par le développement économique.

À chaque territoire qu’ils occupent, les paramilitaires achètent ou s’approprient la terre, puis ils font des liens de travail et de patronage avec les résident-e-s. Fidel Castaño  a créé la Fundación por la Paz de Córdoba (Funpazcor) pour donner des terres, de l’argent et du bétail à des ex-guérilleros de l’EPL. Miguel Arroyave a mis en place un mégaprojet de plantation de palme africaine. Mancuso et Ernesto Báez ont dit avoir créé une coopérative de substitution de cultures pour plus de 3 000 familles. Et Carlos  Castaño parlait de l’association de colons et paysans de l’Alto Sinú et Urabá (Acolsiba), avec plus de 14 000 associés. Le chemin de la réconciliation serait donc celui du «  progrès »..., l’agro-industrie serait le lieu de rencontre entre les victimes et les criminels. L’État veut éviter les micro-entreprises et préfère organiser des grandes  entreprises où les gens reçoivent des titres comme s’ils avaient des actions. Le gouvernement insiste dans sont projet sous la bannière ‘Empresarios exitosos por la paz’. On favorise également des « associations productives » entre entreprises et paysan-ne-s, ces derniers fournissant la terre, la main-d'oeuvre et les noms pour le crédit.

Derniers développements

La sentence C-370 de la Cour constitutionnelle du 18 mai 2006 à propos de la loi de « justice et paix » donne des points qui devraient être réglementés : la validité des  condamnations antérieures à la démobilisation, l’ordre de livrer tous les biens des criminels en fonction d’une réparation matérielle, ne pas compter le temps de «  concentration » (à Santa Fe de Ralito) comme temps de  sanction pénitentiaire, l’obligation d’une confession complète du démobilisé et la perte automatique de tout  bénéfice devant de nouvelles preuves non incluses dans sa déclaration, la participation des victimes avec plein droit dans les processus d’enquête et de jugement, la  flexibilisation du temps imparti à la Fiscalía pour prendre une décision sur le démobilisé, la reconnaissance du délit de complot dans le but de commettre un crime et la  négation du statut de séditieux politiques aux paramilitaires.

La Cour constitutionnelle ne s’est toutefois pas encore prononcée sur la constitutionalité de la loi 975. En touchant ce thème, on questionne la participation de l’État dans la  création de la stratégie paramilitaire. Le Movimiento Nacional de Víctimas de Crímenes de Estado demande la réparation intégrale des victimes du paramilitarisme, ce qui  inclut non seulement le dommage matériel, sinon la reconstruction des projets de vie, projets politiques, formes d’organisation et cosmovision, modes d’interaction avec la propriété et le territoire; traitement des dommages causés aux femmes et aux enfants, aux communautés afrocolombiennes et indigènes, et le rétablissement de  l’environnement; la sanction adéquate de ceux qui sont les auteurs intellectuels et les bénéficiaires de la violence paramilitaire; la création de mécanismes de  reconnaissance des propriétés des criminels acquises durant le conflit et par le déplacement forcé des populations.

Le Movimiento Nacional de Víctimas de Crímenes de Estado affirme la nécessité que se reconnaisse, en termes juridiques et politiques, l’existence de victimes de crimes  contre l’humanité et de génocide perpétrés par des agents étatiques à travers d’opérations cachées ou de la stratégie paramilitaire. Également, la nécessité de créer des  mesures efficaces pour que ne se répète pas ce phénomène, en particulier pour le démantèlement définitif des structures para-étatiques, et d’adopter des politique pour  remettre les millions d’hectares de terre volées. Les organisations de victimes ont critiqué la composition et le mandat de la Comisión Nacional de Reparación y Reconciliación, entre autre pour le manque d’indépendance de certains de ses membres.

On a vu dernièrement en Colombie des paramilitaires se livrer volontairement aux forces policières. L’effet publicitaire d’une telle chose est grand: on peut faire croire au  pays que la douce capture de certains chefs paramilitaires signifie l’affaiblissement de leur appareil de guerre, qui demeure en réalité intact. Ces “captures” répondent  aussi aux pressions américaines.

L’arrêt de la Cour constitutionnel déclare inapplicable, pour erreur de forme, l’article 70 de la loi 915, selon lequel les AUC sont homologués comme les guérillas, comme  séditieux. Cependant, la décision concerne la forme, et non le fond, donnant la possibilité de réviser la loi. Mais qu’implique exactement être séditieux? L’article 179 de la  Constitution établit que "ne peuvent être congressiste quiconque a été condamné à une peine de privation de liberté, excepté pour des délits politiques". Connaissant les  intentions de certains chefs paras de se lancer en politique... De plus, la Constitution établit en son article 35 qu’aucun Colombien ne peut être extradé pour des délits politiques, et ce n’est un secret pour personne que c’est ce qui mortifie les AUC. Le gouvernement colombien prépare donc deux décrets pour répondre aux “failles” de la loi conséquemment à l’arrêt de la Cour. Il tient aussi compte des exigences des AUC (qui dictent les “négociations”): la garantie de ne pas être extradés et que leur soit  garantie leur sécurité sur le nouveau site de réclusion. Un autre ingrédient qui donne à penser qu’un nouveau projet se prépare est l’arrivée à échéance, en décembre  prochain, de la loi 418 de 1997, sous laquelle se sont menés tous les derniers dialogues et accords avec les organisations armées.


Conclusion

Les paramilitaires sont aujourd’hui disposés à remettre à l’État son rôle, non pas pour disparaître comme force, mais pour s’intégrer aux projets de l’État et participer avec  lui dans le contrôle des territoires qui ont été sous leur domination. La stratégie du pouvoir colombien est de créer une zone grise, dans laquelle le civil et le militaire ne  connaissent pas de frontières. Le pouvoir prône l’unanimité d’une fausse justice, basée sur la négation de la responsabilité de l’État colombien dans la genèse de l’iniquité,  dans la conformation et le développement du projet paramilitaire. Le paramilitarisme représente un pouvoir économique grandissant, basé sur la guerre. Le contrôle territorial n’est pas seulement politique, mais économique. Il permet de faire de bonnes affaires, par l’exploitation des ressources naturelles et des populations expulsées.  La guerre est un bon business...

1 Décret No 3398 du 24 décembre 1965 “Por el cual se organiza la defensa nacional”.

2 L’article 13 du Décret 128: “De conformidad con la ley, tendrán derecho al indulto, suspensión condicional de la ejecución de la pena, la cesación de procedimiento, la  reclusión de la instrucción o la resolución inhibitoria, según el estado del proceso, los desmovilizados que hubieren formado parte de organizaciones armadas al margen de  a ley, respecto de los cuales el Comité Operativo para la Dejación de las Armas, CODA, expida la certificación de que trata el numeral 4 del artículo 12 del presente  decreto.”

3 Articles 2 et 4 du Décret 2767: “Artículo 2 Beneficios por colaboración. El desmovilizado o reincorporado que voluntariamente desee hacer un aporte eficaz a la justicia o a la Fuerza Pública entregando información conducente a evitar o esclarecer delitos, recibirá del Ministerio de Defensa Nacional, una vez haya sido certificado por el Comité Operativo para la Dejación de las Armas, CODA, una bonificación económica acorde al resultado, conforme al procedimiento que expida este Ministerio.” “Artículo 4 Otros beneficios. Los desmovilizados o reincorporados que voluntariamente deseen desarrollar actividades de cooperación para la Fuerza Pública podrán recibir del Ministerio de Defensa Nacional, una bonificación económica, conforme al procedimiento que expida este Ministerio.”

4 Décret 4760, du 30 décembre 2005, réglemente la loi 975 :« al desmovilizado que se encuentra libre de apremio, que no está obligado a declarar contra sí mismo, ni  contra su cónyugue, compañero permanente o parientes dentro del cuarto grado de consanguinidad o civil, o segundo de afinidad y le informará todo aquello que considere  pertinente para garantizar su consentimiento »
 

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PASC