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02/02/2015

La traducción español de este trabajo es disponible al final del artículo.

Le texte qui suit est un travail réalisé par une accompagnatrice du PASC durant son séjour en Colombie à l'automne 2014. Il s'agit d'une base de données et de dénonciation des agissements de la compagnie Talisman. Cette entreprise, auparavant canadienne, a aujourd'hui été rachetée par la compagnie espagnole Repsol.


Notre mode de vie moderne est dépendant de deux ressources bientôt épuisées, le pétrole et le gaz naturel. Le contexte dans lequel évolue l’exploitation de ces deux substances est désolant : criminalité et violence résultant en guerre ainsi que pollution durable de l’environnement et ce, pour des sommes incroyables d’argent au profit de quelques individus. La situation actuelle de la Colombie est un exemple qu’il n’y a aucune limite à ces activités d’exploitation. En effet, on observe sur l’ensemble de la Colombie une militarisation intensive des zones d’exploitation d’hydrocarbure; la rareté provoque vraisemblablement cette nécessité de protéger activement les investissements. Parallèlement, sur le plan environnemental, le gouvernement colombien a récemment autorisé la pratique d’extractions dites « non-conventionnelles ». Cette déclaration a fait bien des émois considérant que ce type d’extraction est encore plus nuisible que les anciennes techniques. Ainsi, le texte qui suit s’intéresse à l’exploitation non-conventionnelle connue sous le nom du « fracking », aux futurs projets d’une compagnie canadienne et de son partenaire colombien en Colombie ainsi qu’au contexte juridique canadien pouvant contribuer à freiner les ambitions des entreprises canadiennes à l’étranger.
 

FRACKING IS KILLING

L’exploitation du gaz naturel par le biais de la technique du fracking a pour but d’extraire le gaz en question emprisonné dans des schistes, c’est-à-dire des « rocher d’aspect feuilleté très compactes, imperméables et profond (situées entre 2 000 et 3 000 mètres de profondeur).  » Cette exploitation est dite « non conventionnelle ».

Les grands consommateurs de gaz naturel sont les États-Unis, l’Union européenne et la Russie. De prime abord, ce produit est très efficace quant à sa capacité de chauffer pratiquement instantanément l’air et l’eau. En outre, celui-ci représente la deuxième source d’énergie en importance après le charbon pour la production d’électricité. De surcroit, on compte aujourd’hui 9 millions de véhicules qui fonctionnent au gaz naturel sur la planète. Somme toute, le quart de l’énergie mondiale consommée provient du gaz naturel .

Le basique procédé d’exploitation dit « fracking », aussi appelé « hydrofracturation » est utilisé depuis les années 1940. Antérieurement, le fracking consistait à forer verticalement un puit jusqu’aux schistes pour ensuite y injecter une mélange d’eau (environ 80 000 gallons d’eau) et de produits chimiques sous haute pression afin que le gaz soit libéré de la roche. Aujourd’hui, la nouvelle technique d’hydrofracturation nommée « directional » permet de creuser un puit à une importante profondeur non seulement verticalement, mais également horizontalement, soit parallèlement à la surface du sol. Cette récente pratique a prouvé sa grande capacité à libérer une quantité incroyable de gaz . Celle-ci, bien que profitable pour les compagnies d’exploitation gazière, nécessite un volume considérablement plus élevé d’eau en plus d’une augmentation de l’utilisation de produits chimiques . Aujourd’hui, sont utilisés, 5 millions de gallons d’eau et 15, 000 à 16, 000 gallons de produits chimiques par puit foré à des fins de créer les fissures désirées dans les joints ouverts des schistes pour libérer le gaz emprisonné dans la roche . Pour maximiser l’accès au gaz, une compagnie creuse une douzaine et même plus de puits verticaux par site . Cette première étape à elle-seule nécessite une quantité majeure de camions citernes et de conteneurs afin d’y transporter et entreposer tout ce liquide. Ensuite, une fois le processus d’injection du fluide par pression terminé, l’eau toxique éjectée doit être entreposée. Cette étape de la pratique est malheureusement très mal administrée par les compagnies. La plupart d’entre elles utilisent des puits à aire ouverte pour entreposer le produit malgré que cette substance chimique présente un risque inquiétant de contaminer l’eau et la terre sur des kilomètres. Selon une étude du Département de protection environnementale de Pennsylvanie, 73% des produits utilisés par le fracking causent entre 6 et 14 effets néfastes sur la santé humaine incluant des dommages de la peau, des yeux et des organes sensoriels, problèmes respiratoires tels que l’asthme, maladies gastro-intestinales et du foie, dommages au cerveau et au système nerveux, cancers ainsi que d’importantes conséquences sur le système reproductif . L’étude explique que dans certains cas, les effets négatifs sur la santé publique seront rapidement ressentis mais que pour la majorité, tel que pour la problématique des cancers et des atteintes au système reproductif, les impacts seront perçus des mois voire même des années plus tard, affectant ainsi les futures générations. En vérité, le liquide éjecté suite à l’étape d’injection, aussi appelé « process water », contient certains perturbateurs endocriniens. On définit comme étant perturbateurs endocriniens tout:

Chemicals capable of disrupting the normal functioning of the endocrine system, may pose a growing threat to human and wildlife health. These compounds can modulate both the endocrine and immune systems resulting in alteration of homeostasis, reproduction, development and behavior .

Jusqu’à maintenant, les impacts néfastes du cette technique sur la santé humaine et sur l’environnement ne sont que des hypothèses scientifiques quoi que alarmantes. À ce propos, tel que le souligne le Département de protection environnemental de Pennsylvanie, s’ils n’existent que des hypothèses c’est parce qu’il n’y a, à ce jour, aucune loi obligeant les compagnies à divulguer la liste des produits chimiques utilisés dans le processus du fracking . Compte tenu du danger que représente cet enjeu, un éveil socio-politique à son égard s’impose.

De toute évidence, malgré les multiples scandales environnementaux et de santé publique à l’origine de l’utilisation de cette nouvelle technologie, l’ambitieux capitalisme maintient toujours sa désolante inconscience et poursuit son perçage. Par contre, on observe aux États-Unis plusieurs résistances face à cette problématique qui pourrait être l’ébauche d’une première dénonciation de cette impasse. D’une part, le New York Times publia divers articles au sujet d’un scandale de contamination de l’eau des bassins des rivières Susquehanna et Delaware situées en Pennsylvanie, due à une mauvaise gérance du « process water ». En effet, suite à l’exploitation par le fracking dans la région, l’eau des robinets à usages domestiques s’approvisionnant dans ces bassins s’enflamme. C’est alors qu’en 2011, le Département de protection environnemental de l’État a condamné l’entreprise Chesapeake, le deuxième plus grand producteur de gaz naturel des États-Unis, à une amende de 1 million de dollars US pour avoir infecté avec du méthane l’eau de 16 foyers suite à un perçage négligent . De surcroit, en 2010, le U.S Environmental Protection Agency [EPA] dénonce que l’exploitation du gaz naturel entreprise par la compagnie Range Resources basée à Fort Worth au Texas serait à l’origine de la contamination de deux puits d’eau potable résidentiels situés près de l’exploitation de celle-ci. En effet, a été découverte dans les deux puits la présence de méthane dit « thermogénique » soit un type de gaz que l’on retrouve seulement dans les schistes. L’EPA note également qu’un des deux puits était infecté par les produits chimiques utilisés lors de la pratique du fracking tels que le benzène, un produit pareillement inflammable . De plus, Robert B. Jackson, expert en écologie de l’eau de Duke University’s Nicholas School of the Environnement, et son équipe ont fait d’importantes découvertes lors de leur travail dans le cadre du Proceedings of the National Academy of Science USA. En fait, l’équipe de scientifiques a récolté 60 échantillons d’eau de puits résidentiels situés près des schistes Marcellus et Utica, deux réserves localisées non-loin de la grande métropole de New York. Les résultats prouvent l’existence de méthane thermogénique dans 51 des puits. Suite à ce constat, Jackson suggère fortement aux ministères de l’environnement de collecter avant l’exploitation des échantillons d’eau potable afin de prouver que la présence de méthane est liée aux activités des entreprises. Le géologiste pétrolier Geoffrey Thyne de University of Wyoming’s Enhanced Oil Recovery Institute, propose pour sa part la mise en place d’un « chemical tracer » dans le fluide utilisé pour le fracking afin de connaitre l’identité exacte des substances du processus .

Somme toute, force est de constater que la qualité de vie des populations vivant près des schistes propices à l’exploitation par hydrofracturation est menacée. L’exploitation aux États-Unis est un exemple à ne pas suivre. Malheureusement, les entreprises persistent à sillonner l’Amérique à la recherche de ce précieux gaz. Talisman Énergie Inc., une compagnie canadienne, est l’avare qui sera dénoncé par la présente. Ainsi, une étude de cas de ses activités en Colombie sera exposée.

Pour terminer, soulignons un premier fait saillant sur Talisman. La compagnie détient d’importants investissements sur la réserve de gaz de schistes Marcellus, dans l’État de Pennsylvanie oui, celle dont il a été question précédemment. À la fin 2013, la multinationale y exploitait 446 millions de pieds cubiques gaz par jour (mmcf/d) .


L’EMPIRE TALISMAN EN COLOMBIE

En 2013, la compagnie canadienne Talisman Energy Inc., exploitant en Colombie sous le nom de Talisman (Colombia) Oil and Gas LTD., détenait 4.2 millions d’hectares nets du territoire. Déjà bien établie dans le pays, l’entreprise cherche tout de même à élargir son empire via de multiples projets d’explorations principalement dans le bassin Llanos, riche en hydrocarbures. Cette même année, on estimait sa production annuelle en Colombie à 1.0 millions de barils de pétrole par jour (boe/d) . Afin de bien cerner ses intentions, voici un bref aperçu de ses visées pour les années 2013-2014.

En décembre 2013, Talisman et son coparticipant Ecopetrol S.A signèrent une entente commerciale officialisant leur partenariat sur l’exploitation du Block CPO-09 situé dans la municipalité Acacias dans le département du Meta. On estime la production de ce champ pétrolier à 1.3 milliards boe/d, Talisman détenant 45% de celle-ci. Selon une déclaration de Javier Gutiérrez Pemberthy, chef de direction d’Ecopetrol, Akacias serait le plus grand projet d’exploration que connait la Colombie depuis les dernières années. Ecopetrol estime que la réserve offrira une production de 25 000 boe/d d’ici 2015 .

La même année, Talisman obtenu les licences environnementales ainsi que l’autorisation de procéder à des explorations par ondes séismiques sur le Block CPE-6, toujours dans le département du Meta. L’entreprise détient 50% des parts du champ pétrolier qui jusqu’à maintenant était non-opéré; l’autre moitié appartient à Pacific Rubiales. Détenant le feu vert pour exploiter, s’en suivi le perçage de deux puits d’exploration et l’injection d’un autre puit afin d’en déterminer son potentiel. Pour 2014, Talisman prévoit y implanter 15 puits additionnels .

Toujours en 2013, la compagnie débuta l’exploitation du puit Huron-2 et prévoit débuter pour 2014 l’exploitation du puit Nuron-3, les deux appartenant au Block Niscota situé à 300 km au nord-est de Bogota dans le département du Casanaré. L’entreprise vise également à exploiter le Block El Porton, localisé dans le même département. En fait, suite à ses projets d’exploration de 2013, Talisman y détecta la présence de pétrole et de gaz d’où la mise en place de son puit Curiara-1. En 2014, la compagnie a l’intention d’entamer son projet à long terme d’exploitation incluant l’examen du potentiel de production  de l’ensemble de ce secteur .

En décembre 2013, celle-ci vendit ses 12.5 % d’intérêt sur l’oléoduc OCENSA. Par contre, notons qu’elle y détient toujours ses droits de transportation équivalant à 63 000 boe/d .

Parallèlement, en 2011, Talisman acquit 49% des parts de la compagnie BP Exploiration Compagny, le 51% restant ayant été racheté par Ecopetrol. Ces deux géants pétroliers exploitent en partenariat sous le nom d’Equion Energia Ltd. Par cette entente commerciale, les multinationales ont fait l’acquisition des deux plus grands réservoirs de gaz naturel du pays . En septembre 2014, M. Gutiérrez annonça les intentions d’Ecopetrol et de son partenaire canadien d’initier l’exploitation de ce gaz via la technique du fracking . Selon le document Presentacion a los inversionistas d’Ecopotrol de février 2014, la compagnie prévoit entreprendre, pour la présente année, d’importantes activités d’exploration afin d’y connaître la présence de pétrole et de gaz de schistes et gaz naturel conventionnel sur l’ensemble de la région centre-orientale . À ce propos, depuis mars 2014, un nouveau projet de loi du gouvernement colombien autorise les compagnies privées à utiliser des techniques d’exploitation dites non-conventionnelles dont l’hydrofracturation  .

Les activités d’Equion se situent principalement dans le Casanaré où la compagnie poursuit les projets entamés en 1986 par BP Exploiration Compagny sur quatre réserves, soient Piedemonte, Recetor, Tauramena y Rio Chitamena. Actuellement, la production opérée par Equion s’élève à 100 milles bop/d mais la compagnie se réserve des droits d’exploitation s’élevant à 63 millions bop/d sur les champs pétroliers Florena, Pauto, Dele et Cusiana tous situés dans le Casanaré. Equion détient également 40.56% de l’exploitation des contrats RC4 et RC5 situés sur la côte atlantique. En résumé, les trois principales installations permettent à Équion de toucher une production de 200 milles bop/d, sans compte le 1 300 mmcf/d de gaz qu’elle exploite .

De toute évidence, Equion est un grand joueur quant à l’exploitation du gaz naturel en Colombie. Sur le site officiel de la compagnie, on constate que son grand projet pour les prochaines années est de compléter son plan de développement de la licence d’exploitation du pétrole et du gaz dans la réserve Piedemonte, à El Morro, dans la municipalité de Yopal. En conséquence, une intensification des activités de perforation sera entreprise. En outre, depuis 2012, Equion poursuit ces projets d’exploration via la mise en place du puit Mapalé 1 sur le Block RC5 de la plateforme Mischief sur la côte atlantique où a été sondée la présence de gaz à 10.845 pieds de profondeur . Bref, les intentions de ces trois compagnies partenaires quant à l’exploitation par fracking restent imprécises mais de tout évidence prévisibles, d’où la nécessité d’agir maintenant.

Au début de l’année 2014, la région du Casanaré, foyer d’une population paysanne et d’une savane logeant une faune abondante et un écosystème unique, fut gravement affectée par une pénurie d’eau prolongée. Cette sécheresse laissa sur son passage la mort de 20 milles espèces animales, soit plus de 10% des animaux du département, sans compter une piètre récolte pour ses habitants. En mars 2014, la ministre de l’environnement du gouvernement colombien, Luz Helena Sermiento, reconnu la gravité de cette catastrophe naturelle qui s’étendait sur un territoire de 250 000 à 300 000 hectares . Parallèlement, Talisman et Ecopetrol, sous le nom d’Equion, initièrent davantage d’activités pétrolières dans la région, usant d’une incroyable quantité d’eau. La même année, le partenariat annonce leur intention d’entamer le fracking, donc la perte de milliers de gallons d’eau supplémentaires. Ironiquement, pour redorer son blason, M. Gutiérrez, lors de cette même déclaration, fit référence au dit succès de l’exploitation par fracking présentement active au Texas, aux États-Unis ; cette exploitation  sujette à des centaines de controverses sociales et environnementales.


VERS LA PROGRESSION, VERS L’EXTRATERRITORIALITÉ DES LOIS

Bien que les infractions commises par Talisman Energy Inc. en Colombie étant vraisemblablement manifestent, le système juridique colombien, et plus précisément, les manœuvres politiques du gouvernement, rendent difficiles toutes tentatives d’initier quelconques processus judiciaires contre les entreprises. Ainsi, la question se pose : comment rapporter ces infractions devant une instance canadienne? Quelles sont les lois canadiennes entourant la thématique de la destruction environnementale et ses conséquences sur la qualité de vie des populations?

La partie suivante présente les lois canadiennes se rapportant à la protection de l’environnement ainsi que la logique d’extraterritorialité des lois.

Situation canadienne quant à la protection de l’environnement

Dans un premier temps, au Canada, la Loi canadienne sur la protection de l’environnement (LCPE) protège de toutes infractions criminelles résultant de la privation de la jouissance de l’environnement et le risque de mort ou de blessures. Le paragraphe 274 (1) de LCPE se lit comme suit :

[c]ommet une infraction et encourt, sur déclaration de culpabilité par mise en accusation, une amende et un emprisonnement maximal de cinq ans, ou l’une de ces peines, quiconque, dans le cadre d’une infraction visée aux paragraphes 272(1) ou 273(1) : a) soit provoqué, intentionnellement ou par imprudence grave, une catastrophe qui prive de la jouissance de l’environnement; b) soit, par imprudence ou insouciance graves à l’endroit de la vie ou de la sécurité d’autrui, risque de causer la mort ou des blessures .

Le terme, « imprudence grave »  suggère qu’il suffit que le résultat soit raisonnablement prévisible pour que l’accusé soit reconnu coupable. À titre d’exemple, au sens de l’article 274 (1), une entreprise se voit commettre une violation grave dans une situation où, par insouciance ou négligence, celle-ci laisserait échapper des substances dangereuses dans l’environnement mettant la vie ou la sécurité physique des êtres humains . En outre, « le paragraphe 123 (2) LCPE interdit aux ressortissants canadiens l’immersion de substances dans les eaux appartenant aux pays étrangers  ». Bref, il existe bel et bien au Canada des lois protégeant de toutes infractions nuisant à l’environnement et en conséquence, lésant la qualité de vie de quelconques individus.

La portée des lois canadiennes à l’étranger

De manière générale, les lois canadiennes sont interterritoriales. Par contre, dans l’Affaire Libman, la Cour Suprême a estimé que le principe de territorialité des lois ne peut justifier le manque d’intérêt des États de supprimer toutes activités illégales sous leur contrôle à l’étranger ainsi que leur volonté d’éviter les conflits que celles-ci peuvent engendrer .  Dans cette affaire, l’infraction commit constituait à de fausses représentations effectuées par téléphone à partir du Canada à l’origine de fraude à l’encontre d’un ressortissant américain vivant aux États-Unis.  « En conséquence, il serait admis en droit pénal canadien, que le principe de la territorialité peut non seulement asseoir la compétence des tribunaux lorsque les crimes ont été entièrement commis sur le territoire national, mais aussi lorsqu’ils n’y ont été commis qu’en parties. » En d’autres mots, dans le cadre de cette présente étude, retenons que les tribunaux canadiens détiennent la compétence de recevoir toutes plaintes relevant d’une situation où le cadre administratif d’une entreprise basée au Canada participe à la prise de décisions qui aboutissent à des actes criminels à l’étranger. La logique de l’Arrêt Libman suggère de considérer cette infraction comme si elle avait été commise au Canada .

Interprétation des lois canadiennes sur l’environnement

Dans un deuxième temps, l’interprétation du texte de loi LCPE démontre les intentions du législateur d’élargir considérablement la portée de l’instrument. En effet, selon la déclaration précédant le préambule de la LCPE, l’objectif de ce texte est de « contribuer au développement durable au moyen de la prévention de la pollution  ». Le concept « développement durable » apparait pour la première fois en 1980 dans le document Stratégie mondiale de la conservation publié par Union internationale pour la conservation de la nature [UICN], Programme des Nations Unies pour l’environnement [PNUE] et Fonds mondial pour la nature [WWF]. On définit alors l’expression comme suit :

Le développement est défini ici comme la modification de la biosphère et l’emploi des ressources humaines, financières, vivantes et non vivantes, pour satisfaire aux besoins des hommes et améliorer leur qualité de vie. Pour assurer la pérennité du développement, il faut tenir compte des facteurs sociaux et écologiques, ainsi que des facteurs économiques, de la base des ressources vivantes et non vivantes, et des avantages et désavantages à long terme et à court terme des autres solutions envisageables.   (section 1, paragraphe 3)

Ce principe a ensuite été repris dans le Rapport Bruntland, la Déclaration ministérielle de Bergen sur le développement durable et la Déclaration de Rio issue de la Conférence des Nations unies sur l’environnement et le développement de 1992, signée par le Canada . Étant rattaché à la Déclaration de Rio, le Canada se voit contraint d’agir en conformité avec le principe no7 de celle-ci, c’est-à-dire de, « coopérer dans un esprit de partenariat mondial en vue de conserver, de protéger et de rétablir la santé et l’intégrité de l’écosystème terrestre  ».

De surcroit, dans l’affaire Ontario c. Canadian Pacifique où,

[l]e brûlage contrôlé effectué par Canadian Pacifique sur son emprise ferroviaire a rejeté une fumée épaisse sur les propriétés adjacentes.  Des citoyens ont porté plainte en invoquant qu'ils avaient subi des conséquences préjudiciables pour leur santé et leurs biens, et des accusations ont été portées contre l'appelante en vertu de l'al. 13(1)a) de la Loi sur la protection de l'environnement de l'Ontario (LPE) ,

la Cour suprême du Canada confirme que la législation environnementale a été volontairement rédigée avec imprécision afin de répondre à un maximum d’atteintes environnementales, y compris celles non prévues par le législateur. Soulignons également que l’article 12 de la Loi d’interprétation fédérale prévoit « tout texte est censé apporter une solution de droit et s’interprète de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet.  »

Bref, puisque plusieurs principes internationaux ont été intégrés à la législation canadienne régissant l’environnement et que celle-ci a volontairement été rédigée dans son sens large, force est de constater que le Canada est tributaire du respect des obligations nationales ainsi qu’internationales en matière environnementale . Toutes tentatives de la part des tribunaux canadiens de réprimer les acteurs en violation avec la LCPE pour des actions commises à l’étranger est donc conforme aux objectifs du droit national et international.

Somme toute, conformément à ce qui précède, les infractions commises par Talisman en Colombie ayant été rapportées par la présente pourraient être soumises à une plainte tenue par un ressortissant colombien devant une instance juridique canadienne.

Un procès pertinent en Angleterre

À ce propos, un procès pour dommages environnementaux contre une entreprise anglaise débutait le 15 octobre 2014, à Londres. En effet, des poursuites ayant été lancées contre BP Exploiration Compagny par les ressortissants colombiens, M. Rogelio Velez Montoya et Rodrigo de Jesus Mesa Leon, sont présentement en cours d’être jugées par la Haute Cour du Royaume-Unis. La multinationale se voit accusée d’avoir violé les licences environnementales par la construction de son oléoduc OCENSA durant les années 1990. Cette négligence serait à l’origine de graves dommages environnementaux sur les terres de ces derniers . M. Rogelio Velez Montoya et Rodrigo de Jesus Mesa Leon affirment que la construction de l’oléoduc aurait causé de sévères érosions du sol et des sédiments affectant ainsi les sources d’eau souterraines, une réduction de la végétation dans les espaces prévus pour l’agriculture ainsi qu’une pénurie d’eau essentielle à leurs activités agricoles. En outre, ceux-ci expliquent que depuis, n’ayant plus accès à l’eau potable, ils doivent difficilement trouver des sources alternatives d’eau.

Comme nous l’avons mentionné antérieurement, en 2013, l’entreprise canadienne Talisman rachète les actifs de BP en Colombie donnant ainsi naissance à son partenariat avec Ecopetrol. Cette entente économique se solde par l’achat d’Equion Energia Ltd où Talisman y détient désormais 49% des parts . Soulignons également, en décembre de la même année, celle-ci  vendit ses 12.5 % d’intérêt sur l’oléoduc OCENSA mais y détient toujours ses droits de transportation équivalant à 63 000 boe/d . Tout bien considéré, Talisman poursuit l’exploitation de BP qui est présentement en poursuite juridique devant la Cour Haute Cour du Royaume-Unis pour violations environnementales nuisant à la qualité de vie des locaux.


L’ÉPOQUE DE RARETÉ

Le danger que représente l’exploitation du gaz naturel par la technique de l’hydrofracturation ayant été précédemment dépeint, les convoitises de Talisman ne doivent pas être amorcées sous silence.

Nous vivons présentement à l’époque de la rareté. Les riches pétrolières ne peuvent plus simplement percer où bon leur semble pour qu’une abondante fontaine noire surgisse leurs permettant de s’abreuver sans le moindre effort. Aujourd’hui, ces avides doivent forer plus profondément, dans toute les directions, éliminer tout ce qui pourrait nuire à leurs profitables et dernières gouttes de pétrole. La compétition est féroce. Assoiffées, elles n’ont plus rien à perdre, elles assèchent les rivières, infectent les eaux potables, déplacent les communautés, détruisent l’environnement, usent de la force militaire contre toute forme de résistance et ce, jusqu’à qu’il n’y ait plus rien.

Devant l’immensité de la problématique, le discours anticapitaliste semble récursif et il est possible de ressentir un sentiment d’impuissance. Par contre, restons soucieux car au-delà des répressions orchestrées par les géants pétroliers, des faux discours politiques, et au-delà de l’agitation des mouvements d’oppositions, existe le peuple, existe l’être humain, existe un confrère.  

Bibliographie

Documents internationaux
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Jurisprudences
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Périodique
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Texte de loi
Loi canadienne sur protection de l’environnement (LCPE) C
Thèse
Melchiade Manirabona, Amissi. « La responsabilité pénale des sociétés canadiennes pour les crimes contre l’environnement survenus à l’étranger ». Thèse de doctorat présenté à la Faculté des études supérieures en vue de l’obtention du grade du Docteur en Droit (LLD.), Montréal, Université de Montréal, 2009, 412 p.

Author
Valérie Kelly, PASC