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28/04/2014

C'est à partir du 1er mai 2014 que l'ensemble du territoire colombien sera soumis, pour une durée indéterminée, à une série de blocages de routes et à des manifestations entre autres contre les infrastructures énergétiques du pays. À quelques semaines du premier tour des élections présidentielles, cela pourrait influencer la réélection du président Juan Manuel Santos qui espère que les électeurs voudront le soutenir afin d'assurer la poursuite du processus de paix entamé avec les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) le 18 octobre 2012 à Oslo et qui s'est poursuivi depuis à la Havane.

En 2013, suite à un mécontentement grandissant de plusieurs secteurs de la société, notamment des paysans et des petits producteurs agricoles, une série de grèves et de blocages avaient bloqué les routes du pays et poussé le gouvernement à mettre de l'avant près d'une centaine de tables négociations. Il en est découlé un « Pacte Agraire » dominé par les secteurs agro-industriels prônant des subventions et des crédits pour une industrialisation accrue du secteur agricole. Voyant la manœuvre, l'ensemble du secteur paysan a rejeté ce pacte exigeant une négociation de fond sur les politiques agraires, minéro-énergétiques et les politiques sociales. Pour ces raisons, la paysannerie colombienne s’apprête de nouveau à livrer une bataille déterminante dans sa lutte pour sa reconnaissance socio-économique, culturelle et politique autrement dit pour assurer sa survie.


Une guerre et une paix pour le contrôle des ressources


Alors que les politiques agraires mises de l'avant par le gouvernement visent à supprimer la paysannerie traditionnelle pour la remplacer par de nouveaux « entrepreneurs » agricoles inféodés au capitalisme, les paysans veulent affirmer leur existence en tant que secteur social et acteurs politiques incontournables. Écrasés par les prises de contrôle aux mains de groupes armés (militaires et groupes paramilitaires affiliés au pouvoir) au travers desquels ont été imposés des projets agro-industriels et minéro-énergétiques, les paysans sont entrés, depuis 2013, dans une nouvelle phase de mobilisation intensive dans le but de freiner le projet d'uniformisation du modèle économique des zones rurales.

L'idée de mettre fin au conflit armé est devenu un objectif stratégique du gouvernement colombien et de ses alliés dans le but de développer les ressources naturelles du pays. Mais ce projet n'est pas nécessairement synonyme d'une véritable paix tel que l'entendent les secteurs sociaux. Ces derniers exigent des changements structurels pour garantir une paix durable basée sur la justice sociale et non un accommodement forcé au capitalisme.

Par exemple, la restitution des terres volées dans les dernières décennies est fondamentale tant pour les paysans déplacés que pour l'industrie minière (et en bonne partie l'industrie minière canadienne) qui, pour sécuriser ses investissements a besoin que la propriété des terres soit officialisée. De plus, les terres qui constituent un intérêt stratégique pour cette industrie se voient restituées en priorité dans une logique qui favorise leur revente rapide à l'industrie, tandis que les terres à basse valeur industrielle se trouvent en attente dans un processus bureaucratique lent dont on estime qu'il va encore durer 90 ans. Le processus de restitution des terres est par ailleurs financé en parti par le gouvernement canadien.

Malgré les années de persécution et de guerre, des centaines de milliers de paysans de la Colombie fonctionnent encore sur des modes d'organisation économique et sociale non-capitalistes et ils n'ont pas l'intention de renoncer à leur projet de société. Les réseaux de coopératives de production, les administrations municipales autogérées, les services publics d'aqueducs et d’infrastructures locaux sont le moteur d'organisations sociales régionales articulées nationalement autour de projets politiques communs.

Négocier le changement social

Tandis que les FARC négocient à La Havane et que les rumeurs de dialogue avec l'Armée de libération nationale (ELN) se maintiennent, le mouvement social colombien défend son projet de société. La vague de grèves de l'année précédente a amené les secteurs paysans, afro-descendants et autochtones à dépasser leurs divergences afin de construire une proposition unique de plateforme de revendications et de mécanismes de négociations.

Au terme de 12 sommets régionaux et un sommet national rassemblant plus de 4000 déléguéEs de l'ensemble du pays, ils sont parvenus à établir une plateforme commune intégrant non seulement les revendications rurales mais aussi les revendications du secteur syndical, les mouvements étudiants et des mouvements urbains en général.

Réunissant 128 points, incluant les enjeux territoriaux, l’économie paysanne, l'exploitation des ressources naturelles, les politiques anti-drogues, le droits des victimes, les droits sociaux à l'éducation et à la santé, le processus de paix et des garanties de participation politique, cette plateforme commune a été présentée officiellement au gouvernement le 11 avril dernier. C'est ainsi que du 28 avril au 5 mai une équipe de négociations d'une centaine de délégué-es des mouvements agraires tenteront d'arriver à un premier accord de principe avec le gouvernement dans le but d'établir un processus de négociation national sur l'ensemble des points.

À défaut de trouver un accord, l'ampleur du mouvement qui tentera de bloquer les infractructures du pays est difficile à évaluer, mais on sait déjà que seulement dans le centre du pays 100 000 travailleurs du secteur des transports ont annoncé leur volonté de joindre les dizaines de milliers de paysans qui se mobilisent partout au pays.

Afin de saisir l'importance du moment actuel, on ne peut oublier les origines du conflit armé : problème de distribution de la terre et impossibilité systématique pour la gauche d'exercer des droits politiques dans un pays marqué par un guerre de basse intensité entre les classes sociales...1 Les négociations actuelles avec la guérilla et avec les mouvements sociaux tournent autour de ces deux axes fondamentaux.

Ce qui se joue ici, c'est le droit de la société civile à négocier les conditions de la paix indépendamment des processus de négociation de l'État avec les groupes insurgés. Et au-delà de cela, c'est sa capacité de  s'imposer comme un acteur incontournable qui a le pouvoir de freiner les plans des élites colombiennes. Celles-ci voient la Paix et la démobilisation des guérillas comme une opportunité pour le capitalisme contemporain d’acquérir ses pleins pouvoirs sur les ressources et sur le mode de développement des villes et des campagnes du pays.

À l'heure de négocier la paix, le gouvernement Santos ne manque pas l'opportunité de faire l'amalgame entre mouvement de grève, paysans et guérillas. Le 26 avril dernier c'est Juan Carlos Pinzon, ministre de la Défense, qui a soutenu que « les FARC et l'ELN mobilisent les paysans pour faire pression au gouvernement », ajoutant également que les manifestations seraient infiltrées par les groupes de guérilla. Déjà, une militarisation accrue des routes du pays a été rapportée dans les médias et, pour la part, le ministre de l'Agriculture a déclarée « qu'aucun blocage de route ne sera permis ».

Dans ce contexte, il est à prévoir que Santos répondra une fois de plus à la mobilisation sociale par la répression armée.  La grève agraire du mois d'août dernier s'était achevée avec un bilan de 12 morts, 21 blessés par balles et 4 disparus.

 

1 En décembre 2013, alors que se négociaient à La Havane les possibilités de participation politique des membres de la guérilla des FARC, le Maire de Bogota, Gustavo Petro, lui-même ancien membre du M-19 (Mouvement du 19 avril, une organisation de guérilla colombienne dissoute au terme d'un processus de négociation en 1990), avait été destitué pour avoir municipalisé le ramassage des ordures. Il est accusé d'avoir nui aux principes constitutionnels de libre entreprise et de concurrence. Après une saga judiciaire de plusieurs mois, le Président s'est vu obligé de restituer Gustavo Petro, le 21 avril dernier.

Author
PASC